Epilogue - Ashley

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09 octobre 2016


Ce soir-là, mon coeur était si lourd. La déclaration de Travis, l'oncologue qui avait accompagné mon père, Jacob, jusqu'à ces derniers instants, m'avait bouleversée. Non pour l'affection qu'il m'avait témoigné, mais pour tout ce qu'il avait réveillé. Il ne savait pas ce qui m'avait poussée à emménager précipitamment à Montréal, mais mes yeux tristes n'avaient pu lui cacher que je pleurais la perte d'un homme. Au fil du temps, nos rencontres impromptues à la cafétéria de l'hôpital s'étaient transformées en déjeuner sur le pouce, et alors nos discussions formelles tournées autour de nos patients avaient pris une autre direction, plus personnelle. Notre amitié m'était précieuse. C'était un homme exceptionnel. Et portant, lorsqu'il s'était penché pour m'embrasser sur la joue, juste après m'avoir avoué qu'il m'aimait et que notre amitié ne lui suffisait plus, qu'avais-je fait? Qu'avais-je dit?

J'avais tout gâché.

En pauvre idiote, mon coeur s'était raccroché à celui qui ne m'appartenait plus. Pour qui je n'étais plus que le souvenir lointain d'un amour tari. Jack était marié. Sa fille allait souffler sa première bougie. Chaque soir en me glissant sous mes draps, ma solitude me rattrapait, elle m'écrasait la poitrine. Mon âme restait fidèle à un homme dont les mains et les baisers enflammaient un autre corps que le mien. Je me détestais d'avoir rejeté, Travis. Il était merveilleux. C'était l'une des plus belles personnes que je connaisse. Mais après un an et quatre mois, je n'étais toujours pas en phase de rémission. Telle une condamnée à perpétuité, chaque jour je cochais mentalement l'instant où tout avait basculé. L'instant où je l'avais perdu.

Après m'être excusée auprès de Travis, j'avais appelé, Claire. Non pour m'épancher sur ma détresse, mais pour savoir. Prendre de ses nouvelles. Avoir la confirmation que tout comme moi, il souffrait en silence. Que mon absence lui était aussi insupportable. Il fallait que je sache si dans le noir quand il fermait les yeux, c'était mon visage qu'il cherchait. Étant marié avec Henry, ma meilleure amie côtoyait régulièrement Jack et sa femme. Lorsque je m'étais séparée de lui et qu'elle de son côté s'installait avec son futur mari, Claire et moi avions passé un pacte. Jamais, elle ne me parlerait de lui. Mais avant hier soir, la douleur était telle que je l'avais suppliée de rompre notre accord. Seulement, elle n'avait pas cédé. À la place, elle avait décidé de débarquer à la maison avec Henry ainsi que ses deux filles Talia et Aria. Dans sa folie, Claire avait réussi à entraîner Catherine, Hurl, Dave et ma merveilleuse filleule. Sur son ordre, toute cette tribu allait élire domicile chez moi. Un marathon de soixante-douze heures entourée de mes proches, durant lequel nous célèbrerons l'Action de grâce.

Dans moins d'une heure, le calme avec lequel je cohabitais en toute symbiose depuis mon installation à Montréal allait être rompu par un tsunami de rires, de chamailleries et de conversations en tout genre. Bientôt, ma maison sera spectatrice de ces instants ordinaires de la vie dont je l'avais privée. Il n'y avait pas quelle que j'avais privé de moments de bonheur. Bêtement, j'avais espéré que le temps ferait son oeuvre et qu'il cicatriserait cette plaie béante que Jack avait laissé. Catherine et Claire m'avaient confortée dans le pouvoir qu'il avait d'atténuer toutes les peines. Pourtant, son absence restait le pire de mes châtiments. Tout mon être lui était encore dévoué. Mes pensées l'accompagnaient le jour ainsi que la nuit lorsque je recherchais le souvenir de la brûlure de ses lèvres sur ma peau. Mais pas aujourd'hui, pas ce soir. Après tout, lui, il avançait. Il était heureux. Sans moi à ses côtés. Il avait ce qu'il avait toujours désiré, une famille. Et ces trois prochains jours, je comptais profiter pleinement de la mienne.

Quitter Toronto était une question de survie. Pour échapper à son fantôme. À son empreinte trop asphyxiante. Dans chaque pièce du foyer que nous avions construit, dans chaque rue que nous avions foulée en nous tenant enlacé comme si le monde extérieur nous importait peu, Jack était présent. Là-bas, il était partout. Dans le bruissement du vent faisant danser les feuilles sur les arbres, dans le Starbuck situé en face de l'immeuble de Claire, dans la cafétéria de l'hôpital. Animée par cette volonté de m'éloigner de lui, je m'étais aussi éloignée de ceux que j'aimais. Claire avait raison, il était temps que cela cesse.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siWhere stories live. Discover now