Chapitre 13 - Jack

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17 Juin 2012

Pourquoi ne l'avais-je pas crue? Pourtant, elle avait été honnête. Elle m'avait prévenu que rester inactive à l'appartement ferait ressortir ce qu'il y avait de meilleur en elle, mais aussi de plus détestable. Depuis notre retour à New-York, son humeur fluctuait entre gaité, tristesse et colère. Totalement embrouillée par son flot d'émotions, elle passait du rire, aux larmes et à des fureurs digne d'une ogresse. En deux mots, elle était épuisante et épuisée.

Chaque jour, elle avait le même rituel. Lire et relire les journaux intimes de Lyly. Elle y consacrait ses journées entières, se confiant très peu sur leur contenu, comme si garder cela secret lui permettait de créer ce lien avec sa mère qui lui avait tant manqué enfant. Un soir, alors que sa joue reposait sur mon torse, elle m'avait avoué qu'apprendre à connaître Lyly à travers ses écrits était une chance, mais aussi une malédiction. Les barrières qu'elle s'était construite tout au long de sa vie sous couvert de l'aversion que sa mère lui inspirait, reposaient sur un mensonge. Et cette vérité la terrifiait car alors qui était-elle vraiment sans les murs qu'elle s'était forgée? Et si à mes yeux, elle était l'unique femme qui rendait mes journées plus belles quand chaque matin, mon regard se posait sur ses traits endormis, Ashley exigeait d'autres réponses. Peut-être se trouvaient-elles dans le seul carnet qui n'avait encore livré ses secrets?

Plus d'une fois, je l'avais surprise à l'observer le tournant et retournant entre ses mains, puis parcourant de son index la fleur d'orchidée dessinée en relief sur la couverture. Sécurisé avec un système d'ouverture à code, Ashley se retrouvait impuissante pour découvrir les pensées de sa mère couchées dans ce carnet. Pour effacer le chagrin dans l'iris vert de ses yeux, je lui avais proposé de faire appel à un professionnel afin qu'il découse la lanière en cuir sans altérer le journal, mais j'avais toujours eu droit à la même réponse, non merci. Après un quatrième refus, son absence de curiosité avait fini par m'intriguer. Elle qui maintenant était si désireuse d'en apprendre davantage sur sa mère, pourquoi ne voulait-elle prendre connaissance des écrits de Lyly? Des écrits si intime qu'elle avait préféré les mettre à l'abri dans un carnet dont l'ouverture nécessitait une combinaison à quatre chiffres. Et hier matin, en voyant une énième fois, le chagrin s'emparer d'elle, la réponse que je m'exhortais à ignorer, me frappa. Les mots sur ces pages l'effrayaient tellement qu'elle préférait se résoudre à ne pas les lire. Ou peut-être ne pas les relire? Comment ne pas me demander s'ils n'étaient pas la cause du chaos qui s'était emparé de son coeur ?

Depuis notre retour de l'hôpital, Ashley ne m'avait pas expliqué les raisons l'ayant conduite à perdre pied dans sa maison familiale. Dès que j'abordais le sujet, elle me repoussait avec tact, me réclamant de lui laisser du temps. Jusqu'alors, j'avais réussi à me contenir même si le doute ne subsistait plus. Son accident était lié au contenu de ce journal, et ce soir j'en aurai la confirmation en l'amenant à se confier à moi.

Afin de discuter en toute tranquillité, je m'étais organisé avec mon second pour lui laisser les commandes du restaurant. Avant de prendre la direction de mon appartement, je fis un détour par la boutique du chocolatier, Jacques TORRES où j'achetai un assortiment de chocolats noirs. Cette petite attention égayerait les papilles de mon exaspérante, mais pas moins attachante colocataire. Peut-être même qu'elle aurait le pouvoir de lui délier la langue? Ou peut-être pas? En passant le seuil de la porte, mes espoirs s'éclipsèrent. Le silence régnait dans l'appartement. Le genre de silence qui n'augurait pas une soirée paisible devant le crépitement d'un feu de cheminée. Sur l'îlot central de la cuisine, je me débarrassai de mes achats, puis me dirigeai vers le canapé. Ashley y était affalée, sa jambe plâtrée posée sur la table basse. Elle portait directement à sa bouche, le goulot d'une bouteille de vin largement entamée. Sur sa cuisse valide, le fameux journal de sa mère était entrouvert. Ses larmes coulant à foison sur ses joues avaient formé des auréoles sur les pages blanches jaunies par le temps, faisant baver l'encre bleue. Mes soupçons étaient donc fondés.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siDonde viven las historias. Descúbrelo ahora