Chapitre 36 - Jack

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Je n'avais dormi que quelques heures et ouvrir les yeux fut un véritable calvaire. D'ici moins d'une heure, j'étais attendu pour un brunch et arriver en retard n'était pas une option envisageable. Surtout si pour excuse je me retranchai derrière mon foie qui n'arrivait pas à filtrer les quantités astronomiques d'alcool que j'avais consommé hier soir. Ma mère ne me le pardonnerait pas et incomber mon retard à mes aînés aurait été malhonnête.

Ces deux-là m'avaient fait passer une soirée d'anniversaire tumultueuse, et j'espérais que ce matin leur réveil serait aussi difficile que le mien. Après tout si je me retrouvais dans cet état de fatigue c'était uniquement de leur faute. Sous couvert de fêter ma bougie supplémentaire, Éric et Isa en avaient profité pour fuir leur quotidien. Pour commencer les festivités, dans une ambiance électrique, nous avions bu quelques cocktails au PDT tranquillement installés à l'abri des regards dans une alcôve privée. Puis sous les coups de trois heures du matin, à l'initiative de ma soeur, nous avions débarqué dans une boîte de nuit huppée où tout le gratin new-yorkais aimait se retrouver afin de s'enflammer sur des sons de house et de hip hop. Dans sa folie, ma soeur avait commandé un magnum de champagne. Sous une pluie de bougies étincelantes, porté sur un plateau en argent à bout d'épaules par deux serveuses perchées sur des talons aiguilles vertigineux, le millésimé avait fait son apparition. Avec des gestes dignes des servantes d'un pharaon, elles avaient rempli nos flûtes. La suite de la soirée ne fut qu'un mélange de tintement de verres, de pas de danse et de discussions désinvoltes avec des inconnus.

Heather Court, une wedding planneuse, s'était invitée à notre table. Sa société venait de décrocher l'organisation du mariage en troisième noce d'un magnat de la finance. Quatre cent cinquante-six convives étaient attendues et admiratrice de ma cuisine, elle désirait que j'assure le dîner. Peut-être était-ce l'alcool, ou l'effervescence qui régnait autour de nous, mais j'avais prévu de la revoir dans quinze jours pour discuter au calme de sa proposition.

Le taxi me déposa avec cinq minutes d'avance à l'angle de Spring et de Crosby Street, juste devant la brasserie Balthazar. Proposant une cuisine française de qualité, l'établissement était le péché mignon des bobos new-yorkais, et ma mère ne faisait pas exception. Rayonnante dans sa longue robe au style bohème, elle m'attendait sur le trottoir le sourire aux lèvres. À mon approche, ses bras s'ouvrirent laissant retomber sur le dos de sa main, une autre tradition de la famille Hunter. Après ma naissance ainsi que celle d'Éric et Isa, mon père avait offert à ma mère un bracelet avec inscrit à l'intérieur notre prénom suivi de la lettre H. Intérieurement, je souris. Cette lettre était devenue ma préférée parmi toutes les autres, et non parce qu'elle était l'initiale de mon nom de famille. Dorénavant, elle lui appartenait, et dès qu'elle s'échappait d'entre mes lèvres, cette petite lettre me propulsait dans la stratosphère. Un jour, tout comme ma mère, elle aussi la porterait sans jamais la quitter. Un rappel constant qu'elle était la femme d'un seul homme, moi.

— Bonjour, mon chéri, m'accueillit ma mère en m'enveloppant dans ses bras. Alors cette soirée?

— Comme à chaque anniversaire, commençai-je avant de l'embrasser sur les joues. Très ...trop arrosée. Ce fut une débauche d'alcool.

— Ce qui explique ton intolérance à la luminosité, souligna-t-elle en désignant d'un geste du menton mes lunettes de soleil.

— Oui, confirmai-je en entrelaçant son coude pour la conduire vers l'entrée du restaurant.

Passé les portes de la brasserie, attiré par les délicieuses effluves s'échappant des plats que les serveurs déposaient devant les clients, mon estomac qui était encore en vrac en descendant du taxi retrouva toute sa vitalité.

Notre serveur, un jeune homme à l'accent russe très prononcé, prit rapidement notre commande. Ma mère dont le penchant pour la pâtisserie était sans égal ne se fit pas prier pour commander plusieurs spécialités françaises, le tout accompagné d'une tasse de thé blanc. Quant à moi, mon choix s'arrêta sur un café et des œufs norvégiens. Pour m'aider à évacuer mon trop plein d'alcool, ma mère demanda que l'on me prépare un cocktail revitalisant au gingembre.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siWhere stories live. Discover now