Notre valse en trois temps - tome 2 - Et si

Chapitre 28 - Ashley

Un cocktail à la main, je tentai de faire bonne figure. Pour cela, j'avais paré mon visage du masque Ma vie est merveilleuse. Depuis mon retour de New-York, il était devenu mon meilleur alibi. Le compagnon parfait pour cacher à mon entourage la douleur dont je ne parvenais pas à me défaire. Celle qui me tirait par les chevilles pour m'enfoncer jour après jour un peu plus profondément dans une mare de tristesse. Naïvement, j'avais cru que reprendre la direction du bloc opératoire allait estomper cette sensation de noyade, pourtant après une semaine passée à ouvrir des thorax pour réparer des coeurs endommagés, je devais accepter l'évidence. Même un millier de coup de bistouri ne parviendrait pas à remettre le mien en état de fonctionnement. À cor et à cri, il ne me réclamait qu'un remède. Le seul que mon obstination n'interdisait de lui donner.

Tout en restant ancrée à la pathétique réalité de ma vie, je répondis à l'invitation de Hurl et soulevai mon verre pour trinquer. Souhaitant se vider la tête après sa semaine de travail, mon ami d'enfance nous avait invité Claire et moi à le rejoindre ainsi que son mari dans un bar situé à quelques rues de notre appartement. Désireuse de ne plus penser à Jack, en tout cas le temps d'une soirée, j'avais opté pour un cocktail volcanique à base de cachaça et de téquila, le tout adouci d'un trait de maracudja. Après deux gorgées, je me promis de consommer plusieurs autres verres. Pour cette nuit, juste celle-ci, je voulais être en paix. Je ne désirais pas être hantée par son souvenir. Depuis que Jack avait accepté la fin de notre histoire en coupant tout contact, son absence était devenue plus oppressante. Ne plus entendre sa voix, même à travers mon répondeur, savoir que je n'occupais plus ses pensées, que son amour, son obsession s'en était allée, me déchirait de l'intérieur. Et pourtant l'issue qu'avait pris notre relation, aussi douloureuse soit-elle, était celle qui nous rendrait plus heureux d'ici quelques temps.

— Ma pauvre Ashley, pour une femme qui prêtant ne pas être accro à son petit cuistot, tu regardes ton téléphone avec le désir inavoué qu'il te libère en te faisant entendre la voix grave de ton bel étalon.

Je relevai la tête me rappelant soudainement où je me trouvais. Enchevêtrée dans mes réflexions, je n'avais pas réalisé que je m'accrochais désespérément à mon portable, espérant qu'après une semaine de silence, il sonne à nouveau. Maudit alcool! Il ne m'aidait pas à me sevrer. C'était même le contraire, il exacerbait ma sensation de manque. Heureusement qu'il n'avait pas endommagé ma faculté à mentir à mes proches. Mes lèvres, complices, se détendirent pour former le plus beau des mirages.

— Ça peut attendre, dis-je en rangeant l'objet du crime dans mon sac à main. Je l'appellerai ce soir en rentrant à la maison. Et puis, il y a beaucoup trop de bruit autour de nous pour que je puisse lui parler tranquillement.

— Claire, enchaîna Hurl en ricanant, tu ne trouves pas cela aimable de la part de notre Ashley de nous préserver de ses ébats sexuels téléphoniques?

Intérieurement, je priai pour que ma meilleure amie ne me dénonce pas, mais à son regard revêche, je savais qu'il y avait peu de chance qu'elle se taise. Tout comme Catherine, elle n'approuvait pas mon comportement envers Jack, et elle ne s'était pas privée de me le faire savoir.

— Ashley, me demanda-t-elle les yeux emplis d'étincelles, dois-je répondre en toute honnêteté à Hurl?

Le grand monsieur tout en haut n'avait visiblement pas entendu ma prière, ou en raison de mes derniers péchés, avait-il tout simplement préféré l'ignorer? Je déglutis.

— Claire, ajoutai-je d'un ton froid, il s'agit de ma vie privée, et j'apprécierai qu'elle le reste. Alors mêle-toi de tes affaires.

— Il se passe quoi, les filles?

À l'inquiétude qui transperça dans la voix de Hurl, le changement d'humeur qui venait de s'opérer entre Claire et moi n'était pas passé inaperçu et le regard qu'elle braquait sur moi, n'aidait en rien à le rassurer.