Alter Ego

Prologue

Dès qu'une personne fait mention d'une performance d'un autre pendant l'Alter-Ego, tous s'extasient et parlent d'héroïsme, de talent, de stratégie à toute épreuve, ou de tactiques aussi vicieuses qu'habiles et performantes. Mais toutes ces belles paroles ne sont que mensonges et illusions. Je suis bien placée pour le savoir.

Il n'existe aucune tactique, aucune stratégie à appliquer. Pas la moindre, quoi qu'en disent les gens. Il n'y a que des manipulations mises au profit d'intérêts personnels ou objectifs variés et propres à chacun. Le seul talent mis en valeur est notre capacité à mentir, à trahir les autres, à poursuivre son but sans jamais regarder en arrière.

Qu'aurions-nous à regretter ? Blesser une personne par nos actions et nos paroles est devenu courant, presque commun. La méchanceté s'est banalisée et se camoufle sous l'image d'un jeu vidéo. Un simple jeu sans danger en apparence mais qui n'est qu'une mince façade destinée à camoufler une idéologie plus grande. Celle de pousser tous les humains dans leurs retranchements, de les forcer à révéler les parties les plus sombres de leur être en les faisant jouer. Leur Alter-Ego.

Si j'avais compris cela plus tôt, je n'aurais probablement pas participé à l'Alter-Ego. Ou tout du moins, j'aurais joué différemment. En connaissance de cause. En ayant toutes les clés en main. Sauf que je ne les avaient pas, et je ne les auraient sûrement jamais toutes. Après tout lorsque l'on est jeune et que l'on met notre avenir en jeu, que pouvons-nous faire d'autre qu'obéir ? On nous tend une perche de salut, un pont censé nous apporter la solution. Mais ce que l'on ignore est que ce pont est suspendu au-dessus du vide et qu'au bout, quelqu'un est en train de scier les cordes avec application. Et si celles-ci finissent par se couper, avant que l'on n'ait traversé, il faut s'accrocher aux planches, rester suspendu au-dessus du vide seulement retenu par la force de ses bras.

Alors il n'y a plus que deux solutions. Se laisser tomber ou se battre pour gravir la paroi et atteindre le sommet. Si l'on prend cette décision, il faut donc rencontrer ceux qui ont fait ce choix. Ceux qui tentent aussi d'escalader les restes du pont. Malheureusement notre survie ne peut parfois se faire qu'au dépend de celle des autres. Pour réussir, il faut sacrifier toutes les autres personnes accrochées au débris de ce même pont sans distinction aucune. Ce n'est pas toujours le cas bien sûr, mais ce n'est pas nous qui décidons. Personne ne peux choisir son rôle dans l'Alter-Ego. Et une fois celui-ci reçu, la suite ne dépend que de nous. De notre objectif. De notre caractère. De ce que l'on est, ou non, prêt à faire.

C'est ainsi que fonctionne l'Alter-Ego. La victoire d'une minorité forte et la chute des autres. Des plus faibles. Des moins bons.

Pour y gagner la seule méthode viable n'est pas l'entraide, je le sais bien. Ce n'est pas non plus le fait de jouer en solitaire face à tous les autres. Non. Ce que tous appellent stratégies et tactiques portent aussi une autre appellation plus véridique. La manipulation. Manipuler les autres. Rallier à sa cause des personnes pour ensuite les trahir plus tard. Mentir à d'autres pour les pousser à s'en prendre aux mauvaises personnes. Jouer avec les mots et les informations que l'on possède. En faire une arme. Voilà le fonctionnement caché du jeu. Ce qu'il nous force discrètement à faire.

Certains me traiteraient de menteuse, d'idiote sans cervelle, ou peut-être d'enfant irresponsable n'ayant pas la moindre idée de ce dont je parle. Hors c'est faux. Je le sais car je l'ai vécu. J'ai participé à ce jeu des enfers alors que j'avais seize ans. A cette époque j'étais encore naïve. Ma seule peur était de me faire éliminer dès le début du jeu et de finir dans la strate des Exilés. Je ne cherchais pas alors à savoir si oui ou non l'Alter-Ego était positif, néfaste ou s'il se trouvait quelque part entre les deux. Comme à mi-chemin entre le moralement acceptable et l'immoral. Pour moi il ne s'agissait que du dernier obstacle qui devait me permettre de devenir majeure et de rejoindre ma strate définitive. A ce moment, le monde me semblait bien plus simple et doux. Après tout, ce n'était qu'un jeu. Un simple jeu fait pour tester mes capacités. Pourquoi me lancer dans des actes jugés héroïques par d'autres ? Je n'en voyais pas l'utilité. Je n'avais qu'un objectif. Un seul. L'héroïsme serait peut-être le chemin qui me permettrait de l'atteindre.

Sauf qu'il n'y a rien d'héroïque dans ce jeu. Rien du tout.