1- L'Appel

172 16 44
                                    

J'avançai à pas feutrés en me baissant pour éviter les branches. Le vent froid d'hiver me transperçait la peau, mon mince manteau en peaux ne me protégeant en aucune manière. Des trous c'étaient formés sur ce cuir rapiécé. Des fils de couture apparaissaient ça et là, pour maintenir les morceaux de peau de daims ensemble.  Les ombres menaçantes de la forêt projetaient une ambiance sinistre mais cela faisait longtemps que ça ne m'effrayait plus. Sept ans désormais que chaque matin je m'aventurais dans la forêt défendue pour aller chasser afin de subvenir aux besoins de ma famille. Sept ans que je me levais avant l'aube. Sans bruit, sans remous pour ne pas réveiller mon frère ni ma mère je prenais simplement mes dagues et m'en allai. Je m'appelle Arcanya Lake, et aujourd'hui j'ai dix neuf ans. Un jour particulier non pas pour moi mais pour tous... Je vis dans le royaume d'Oriolen, gouverné par le roi cruel et sans pitié Ménévras Erhavsha. Chaque année afin de maintenir son règne de terreur il tirait dans tout le royaume au sort vingt jeune gens entre dix neuf et vingt deux ans. Ils étaient ensuite envoyés au Palais noir pour se rendre esclaves de la famille royale. Chaque année, l'Appel avait lieu dans mon petit village.

Aujourd'hui, ayant l'âge requis, je suis apte à être désignée. Et personne ne souhaitait être désigné. La famille Erhavsha est composée d'êtres immortels qui possèdent à ce jour des pouvoirs mystiques. Nul ne sait exactement de quoi ils recèlent mais les rumeurs vont bon train parmi les gens issus de la basse société comme moi. Leur règne durait depuis des temps immémoriaux. Personne ne se rappelle de leur arrivée ou s'ils ont tout simplement toujours été là. Tout ce qui est sûr c'est que ceux qui pénètrent dans l'enceinte du palais Noir n'en ressortent jamais... On n'entend plus parler d'eux, ils disparaissent tout simplement. Je continuai de marcher mais à un pas plus rapide désormais. L'appel à la conque pour désigner les heureux élus allai bientôt résonner et on ne veut pas arriver en retard au tirage. Le sort réservé aux retardataires n'est pas plus enviable que ceux désignés... Les soldats du roi y veillaient bien. Bizarrement certains des plus récalcitrants étaient désignés la saison suivante.

J'esquivai une branche tombante et sautai par dessus un petit ravin. Tous les sens aux aguets, le souffle bas et mesuré, je regardai à la ronde. La légère brise glaciale des sous bois, agitait les fourrés et les branches basses. Si ce mouvement furtif ne signifiait rien, même le plus infime des soubresauts me faisait frémir. Les gardes étaient rares à s'aventurer ici. Je ne risquais que peu de choses, mais me faire attraper pour braconnage, en revanche... Mon poids me rattrapa et je me laissa chuter en contrebas. Se faisant, je sortis une de mes dagues de ma manche et la lançai sur le côté tour en roulant sur moi même pour me réceptionner. Le petit couteau se ficha droit dans le cœur du daim qui se cachait sous les feuilles du ravin. cela faisait bien dix minutes que je suivais ses traces. il n'avait aucune chance. Après tant d'années à chasser, ma maîtrise des armes blanches était quasiment parfaite. Ma panoplie de couteaux était assez conséquente. Je les volaient sur le marché aux étals et les collectionnaient depuis mon plus jeune âge. Du petit couteau rouillé, à une plus grande lame incurvée, ils faisaient comme partie de moi. Je bondis sur une branche et glissais le long de celle ci en m'aidant de mes bras pour m'équilibrer. Mes jambes se détendirent au moment où elle celle ci ployait sous mon poids et j'atterrissais sur le tapis de feuille mortes au moment même où l'appel se déclencha. La conque se mit a résonner dans la forêt.

- Et merde, sifflai je entre mes dents.

Je me dépêchai de charger le daim sur mes épaules et me mit à courir.
Ma musculature me permettait de transporter des poids lourds et mon endurance de parcourir de grandes distances sans m'essouffler. Aussi, ce daim ne pesait pas lourd pour moi. Mes mèches d'un rouge écarlate venait tourbillonner autour de mes yeux. Une couleur singulière et qui ne passait pas inaperçue. En fait je ne ressemblai en rien à ma famille ni aux autre gens du royaume. Mon frère avait les cheveux aussi bleus que ceux de ma mère ce qui était une teinte très répandue parmi les gens du bas peuple. A ma connaissance j'étais la seule fille aux cheveux rouges qui n'est jamais vécu dans tout les villages que comportait la Ville Basse. Mais je m'en fichais. Cela ne m'avait jamais apporté quoique ce soit de plus. J'atteignis l'orée de la forêt et bifurquais vers les premières habitations. Les gens avaient déjà désertés les rues et devaient déjà être sur la place. J'allais avoir de très gros ennuis. Je cachais le daim derrière un gros rocher au détour du chemin et me mis à courir à vive allure. Les ruelles étroites se succédaient. Je traversais de nombreuses petites places désertes.  Celle du marché, celle à la fontaine, où les pauvres gens que nous étions, pouvaient venir se battre pour la moindre goutte d'eau en période chaude. Puis enfin, celle où se tenait chaque année, ce sombre rassemblement. Je déboulais sur la place. Un attroupement s'était formé autour de la grande estrade placée là quelque jours plus tôt et je jouais des coudes pour tenter de rejoindre mon frère non loin de là. Alors que j'apercevais sa chevelure bleue, je fut brusquement plaquée au sol. J'eus tout juste le temps de voir la petite troupe tremblante et larmoyante que formait les Désignés sur l'estrade.

-Je l'ai ! Elle est là, s'exclama l'homme qui me maintenait encore au sol.

Une demi douzaine d'autres gardes déboulèrent au pas de course et se postèrent en cercle autour de moi. Mon retard avait été remarqué. J'allais être durement châtiée. Je priai pour que cela ne m'empêche pas de chasser. La survie de ma famille en dépendait. Perdre l'usage d'une jambe ou d'un autre membre s'était déjà vu dans la région. La phrase prononcée me fit tiquer. A travers ma panique déjà grandissante, je pris conscience qu'ils m'attendaient clairement. Au prix d'un grand effort je relevai ma tête vers les Désignés. Mes craintes se confirmèrent et mon sang se glaça dans mes veines. Il n'y avais pas vingt personnes debout sur cette estrade maudite. Il n'y en avais que dix neuf. On me releva brutalement et on me poussa en direction de ce triste groupe.

Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose...

Le Royaume perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant