2- L'Appel partie-2

112 13 187
                                    

Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose...

J'avais été tirée au sort. Ma vie n'avait plus aucune valeur. Mes jours étaient comptés. Et par conséquent ceux de ma famille également. Jamais ma mère parviendrait à trouver assez de nourriture pour elle et mon frère. Tandis que je marchais vers l'estrade toutes sorte de pensées me traversaient l'esprit. Tel un flot discontinu qui tourbillonnait dans ma tête m'empêchant de me concentrer. Un étrange bourdonnement persistait au creux de mes  oreilles, estompant le brouhaha. Les deux hommes resserèrent leur grippe autour de mes bras et m'entrainèrent au devant de la scène avant de me poster à côté d'une des Désignées qui sanglotait tout en se tenant la tête. Je pris conscience que je ne pleurais pas. Peut être que la réalité n'avait encore fait son chemin jusqu'à mon cerveau. Je croisai alors le regard de ma mère dans l'assemblée. Elle non plus ne pleurait pas. Elle se contentait de me fixer avec intensité, une étrange lueur dans le regard. Cet échange visuel me permit de garder un peu plus le contrôle de mes émotions. Je fixais ses yeux. Je ne voyais aucun chagrin. Aucune larme. Mon cœur se serra. Je savais nos rapports tumultueux mais pas à ce point là. Je la regardai en retour en tentant malgré tout  de lui communiquer mon amour, car je connaissais le règlement: les au revoir n'étaient jamais au programme. La dernière image que vous aviez de votre famille se résumait à des pleurs échangés à distance. Le roi Ménévras faisait tout pour tenir le peuple de la Ville Basse dans son étau afin de répandre la tristesse, la désolation et la terreur. Tandis que la Haute ville, la cité qui entourait le Palais Noir, regorgeait de richesse et de joyaux. Je baissai alors les yeux, en faisant tomber un rideau de cheveux rouges devant mon visage, pour ne pas avoir à affronter le regard de mon frère, Zahir. Il n'avait que onze ans, je ne voulais pas lui laisser cette image de moi comme dernier souvenir. Captive et sans défense, face au pouvoir cruel de notre roi. Impuissante et insignifiante. Je lui devais bien plus que cela. Je ne crierais pas, ne pleurerais pas, afin qu'il ne garde pas cette image traumatisante. C'était, dans ma vie, la seule personne à m'apporter du réconfort et de l'amour. La seule personne que je chérissais de tout mon cœur. Je regardai donc mes pieds tout en serrant mes points aussi fort que je le pouvais. Puis des gardes arrivèrent et nous conduisirent hors du centre de notre village. Le reste devint un mélange flou et bruyant. Je choisis d'en faire abstraction.

Mes derniers pas dans mon village natal, ne me tirèrent aucune tristesse. Rien ne me manquerait ici, hormis mon frère. Lucide, je savais que je n'y remettrais plus jamais les pieds. Que j'arrive à m'échapper ou non, je ne pourrais plus m'y réfugier. Ce serait le premier endroit où l'on me chercherait. A la sortie, plus personne ne nous suivait hormis des gardes. Tous étaient rentrés chez soi, soit soulagés de ne pas avoir été pris, soit pour pleurer un proche. Des charrettes miteuses nous attendaient là, sur un sentier. Nous montèrent dedans sans un mot et le paysage commença à défiler. La forêt, ma forêt, où j'avais appris à manier les couteaux et où j'avais appris à chasser défilait sous mes yeux. Chaque arbres, fourrés et rochers, qui passaient devant mes yeux mornes, je pouvais les citer. Au fil des années, ils étaient devenus des repères dans mes parties de chasse. La tristesse me serra enfin le cœur à la pensée de cet endroit que j'abandonnais derrière moi. C'était un lieu sacré pour moi. Un lieu où je gardais les seuls souvenirs de mon père. Je le regardai s'éloigner tout en sachant que c'était la dernière fois que je le contemplais. Je le regardai s'éloigner, jusqu'à ce qu'ils ne deviennent plus qu'une ligne à l'horizon. Ce n'est qu'à ce moment là que je détournai la tête. Je me fis la promesse de tout faire pour rester en vie. Je n'étais censée restée captive de ce roi infâme qu'une année seulement. J'en étais capable. Et même si jamais personne ne s'en était sortie, il devait forcément y avoir un moyen de survivre dans ce château maudit. Et ce moyen je le trouverai.

Je croisai le regard d'un garçon en face de moi. Lui non plus ne pleurai pas : l'allure fière, il toisait d'un air dédaigneux tous ceux qui pleuraient. Nous échangeâmes un regard moqueur. Visiblement, nous étions les seuls à ne pas nous morfondre. Ou les seuls à envisager une potentielle chance de survie. Mais un idiot pouvait vouloir ce qu'il voulait, ne l'obtenait que celui qui s'en donnait les moyens. Je n'avais pas besoin d'alliés et détournai donc mon regard. Le trajet dura quatre longues heures, et le Palais Noir se dessina enfin devant nous. Le crépuscule laissait encore entrevoir la route et là où elle menait. Bien qu'il ne soit pas en totalité noir en apparence à l'extérieur, le palais était surnommé ainsi pour tout les secrets et atrocités qu'il renfermait. Si le roi conviait bien souvent la haute société a des bals et autres activités mondaines, seul son cercle privilégié y avait accès à leur bon vouloir. Ce petit groupe n'était connut que de nom. Jamais personne n'avait vu leur visages assez longtemps pour pouvoir en parler. L'on savait juste que c'était des immortels comme le roi qui le secondaient depuis toujours, dans les affaires du royaume et qu'ils étaient aussi abjects que la famille royale.

Le Royaume perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant