Chapitre 7

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26 novembre

Lise marchait devant, le nez en l'air. Si les maisons à colombages colorées du vieux Bergheim ne l'émerveillaient plus depuis longtemps, ce n'était pas le cas des décorations de Noël. 

Comme tous les ans, la mairie avait mis le paquet. Un arbre géant décoré de grosses boules scintillantes sur la place principale, celle qui rêverait sous peu la visite de Saint Nicolas. Des guirlandes lumineuses dans les marronniers. De grands bonshommes de neige en bois. Des sapins découpés dans des planches et ornés de poésie. Des illuminations, pour le moment éteintes, tendues entre les maisons. Et les célèbres étoiles indiquant où se trouveraient les crèches installées par les habitants.

Des habitants qui n'étaient pas en reste, nombre d'entre eux avaient déjà installé faux pères Noël, ours en peluche, branchages et couronnes malgré la date.

Comme chaque fin d'année, le village revêtait son habit de Noël, et Lise adorait ça.

Chris observait sa sœur à la dérobée, un sourire tendre aux lèvres.

[Et Cam m'observait à la dérobée, un sourire tendre aux lèvres. Mais évidemment, je ne voyais rien. S'il ne me l'avait pas dit par la suite, je ne l'aurai jamais su !]

Lui aussi aimait Noël, même si ce n'était pas au même point que la jeune fille.

Avec la Saint-Valentin, c'était la fête qui le faisait le plus réfléchir. 

[À ce stade, je pense que je vais fournir quelques explications.

 Il faut savoir que mes parents ( et quand je dis mes parents, je pense à ma mère et au père de Lise, pas à mon géniteur) ont choisi de nous laisser croire au Père Noël. 

Même si j'ai été un peu déçu quand j'ai appris la vérité, j'ai admiré mes parents pour l'abnégation dont ils ont fait preuve pendant près de neuf ans. Neuf ans à nous offrir du bonheur sans que nous n'ayons soupçonné l'espace d'une seconde que c'est à eux que nous devions cette magie ! C'est quel degré d'amour inconditionnel, ça ? D'offrir sans aucune contrepartie et sans attendre la moindre reconnaissance ?

Je crois que c'est en apprenant que le Père Noël n'existait pas que j'ai compris à quel point mes parents nous aimaient.

En revanche, j'ai eu du mal à comprendre pourquoi nous avons continué la mascarade, après ça. Noël avait perdu de son intérêt puisque tout le monde savait. Tout le monde attendait des cadeaux de tout le monde.

Un peu comme à la Saint-Valentin, je n'ai absolument jamais compris ça : pourquoi les gens se ruent-ils dans les magasins ou les restaurants le 14 février ? Ça n'a pas de sens ! Il y a 365 jours pour montrer son amour alors... pourquoi le faire ce jour-là . Je ne saisis pas. 

Cupidon, en revanche... j'adore l'idée parce qu'elle me rappelle la magie du Père Noël. Un Ange qui rapproche des personnes pour leur simple bonheur alors que lui même n'a rien à y gagner.

Oui, j'adore cette idée, et c'est sans doute pour ça que j'adore jouer les Cupidons !

Et c'est aussi pour ça que j'ai fini par accepter la proposition de Py de faire ce live de Noël en dépit des conditions extravagantes qu'il m'a imposées.

Mais ça, le Chris du 26 novembre n'était pas encore au courant ! ]

Chris trébucha soudain sur un pavé un peu plus haut que les autres. Cam le retint aussitôt, s'inquiéta de savoir si le jeune homme s'était fait mal. Et Lise éclata de rire.

— Vachement attentionné pour un pote, hein !

— Arrête, Lise. Cam est pas comme nous.

La jeune fille se figea.

— Je vais passer sur ce "nous" comme si tu n'avais rien dit et te poser une question. Sincèrement, tu le fais exprès ou t'entraves vraiment que dalle ?

[Le fameux " Chris entrave que dalle", proféré d'un ton à la fois désabusé et moqueur. Le premier d'une longue série. Bon, peut-être pas non plus, mais j'y ai encore eu le droit quelques fois après ça.]

— Moi, je reviens sur ce nous, parce que c'est ça l'important, répliqua Chris avant de baisser d'un ton. Moi, je suis gay, c'est un fait. Toi, je sais pas, mais t'en pinces pour Lizzie, c'est un fait aussi. Mais la généralité, c'pas ça, la généralité, c'est les relations hétérosexuelles, et...

— Attends, t'es vraiment en train de me faire une leçon, le coupa Lise. Tu crois que j'ai dix ans ou quoi ? Et puis, franchement, quand on s'est monté la tête pour un mec sur un jeu en ligne, on a rien à dire ! 

— Lise !

[Le cri, là, il venait de Cam, pas de moi. Moi, je me décomposais de l'intérieur. D'une part parce que j'ignorais comment elle était au courant de ça, d'autre part... non, en fait, il n'y a pas d'autre part. J'allais découvrir plus tard comment elle avait eu cette information, et ça n'allait pas me faire plaisir du tout. 

Mais pour le moment, je me contentais de me murer dans le mutisme, perdu dans mes pensées. Ressassant encore et encore ma relation avec Côle. Me demandant aussi ce que Cam en penserait, s'il apprenait tout ce qu'il s'était passé.

Parce que Cam ne savait que le peu que je lui en avais dit : j'étais sorti avec un mec qui avait rompu à mon refus de le rencontrer. Pourquoi lui en aurais-je dit davantage alors qu'il n'était que le voisin un peu étrange qui squatte mon lit les soirs ?]

Chris ne se dérida pas avant d'atteindre la cabane à livres. Là, la curiosité l'emporta. Il ne sortait que peu de chez lui, et les rares fois où il le faisait, c'était pour se rendre à la poste où au proxi (parfois à la boulangerie, pendant les heures creuses), autant dire qu'il ne mettait jamais les pieds dans le jardin des Sorcières.

Trop proche de la bibliothèque et du multi-accueil. Trop de risques de croiser des gens.

Par bonheur, les lieux étaient déserts. 

Il s'approcha en douceur de Cam et Lise, en pleine conversation sur le dernier roman lue par la jeune fille, et glissa les doigts sur le bois peint de la cabane.

— Quand t'as dit cabane, je pensais trouver une boîte. Mais là... elle est superbe !

— Elle a été peinte par les enfants du village ! s'enthousiasma Lise. Je la trouve trop belle aussi, et les livres sont souvent renouvelés, c'est trop cool ! 

Elle ouvrit la porte et commença à fourrager dans les étagères. 

— Raaah, il n'y est toujours pas !

— Tu cherches quoi ?

— Un livre que Suelnna a conseillé sur son instagram !

À la question silencieuse des deux garçons, elle précisa :

— C'est une bookstagrameuse. Elle ne poste pas souvent, mais je l'adore, on a les mêmes goûts livresques ! Et elle a conseillé "Alec au pays Vermeille"...

— Connais pas...

— C'est pas très connu, mais j'ai déjà trouvé plusieurs romans de cet auteur.e ici alors j'espérais un peu... mais tant pis. Peut-être la prochaine fois ! 

Elle ramena son sac devant elle pour en extirper trois brochés qu'elle rangea avec soin sur l'étagère la plus visible.

— Tiens, les deux-là sont de l'auteur.e. Le troisième, là, c'est une New Romance.

— J'ai rien compris, grommela Chris.

— Je crois que j'ai envie de découvrir celui-là, s'exclama Cam en prenant le premier des trois nouveaux pensionnaires.

— Dark Cupidon ! Très bon choix, et tu devrais le lire à Chris, ça le déplumerait ! Bon, on va où maintenant ?

— Au proxi, c'est pour ça qu'on sortait, à la base.

[Oui, c'est pour ça qu'on sortait. Pour ça aussi que j'étais allé voir ma mère. Et j'allais bientôt m'apercevoir que ma propension à trop réfléchir m'avait encore joué des tours.]


Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlWhere stories live. Discover now