Chapitre 26

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2 décembre.

— Chris, t'es prêt ? hurla Lise en déboulant dans la chambre de son frère.

Vautré sur son lit, les cheveux en bataille et encore en T-shirt et boxer, le jeune homme releva le nez de son téléphone en grommelant.

— Tu te fous de moi, Grumpy ? Lizzie va arriver sur la place dans cinq minutes et Cam t'attend déjà devant la maison !

— Pourquoi il est pas monté ?

— Je lui ai dit de pas monter pour pas te mettre en retard. Si tu le vois, tu vas phaser, tu vas baver et... déjà que t'es pas prêt.

— Depuis quand je bave quand je vois Cam, bougonna Chris en enfilant une veste avant de la zipper.

— Je dirais depuis à peu près six mois. Sinon, je vois pas pourquoi tu l'aurais laissé zoner chez toi.

— Laisse tomber et file-moi mon pantalon.

Lise leva les yeux au ciel, mais s'exécuta avant de faire les cents pas dans la pièce. Elle s'arrêta devant le four. Se recoiffa. Vérifia son piercing. Se recoiffa. Tira sur sa doudoune.

— Lise... tu es parfaite.

— Parfaite, ça suffit pas, Lizzie va faire un live pendant notre balade, je te rappelle. À cause de toi. T'abuses, c'est mon premier rendez-vous !

Chris se mordit la lèvre, penaud, et s'empara de son écharpe après avoir boutonné son jeans.

— Déso. On y va ?

— Tu as oublié : « Je vais faire ce live et te laisser passer un moment romantique et adorable parce que je suis le meilleur des Cupidons ».

— T'as pas honte d'essayer de me culpabiliser ?

[Bien sûr que non, Lise n'a jamais eu honte de me culpabiliser. Avant, quand Ely habitait encore à la maison, ma cadette se contenait un peu. Mais depuis qu'Ely est à Strasbourg, c'est une catastrophe !]

— Ça dépend, ça marche ?

— Non, désolé, mais ma panique l'emporte sur mon étique.

— Panique, panique, faut pas déconner ; c'est juste faire un live, t'en as fait des dizaines déjà et t'as même montré ta tronche hier !

Chris enfonça son bonnet jusqu'aux yeux avant de balancer d'une voix froide.

— Arrête, Lise, t'as aucune idée de ce que ça me fait. Si tu veux pas que je reste ici, tu la fermes.

Elle se crispa, renifla et son frère ajouta, radoucit :

— Enfin, s'il te plaît. Je sais que tu le comprends pas, mais je fonctionne pas comme toi. C'est pas nouveau et faire semblant que ça n'existe pas, ça t'aidera pas. Ni moi.

[J'adore ma sœur et ma sœur m'adore, mais elle a toujours eu du mal avec ma spécificité. Trop différent pour être comme elle, mais pas assez pour entrer dans les cases de ce qu'elle considère comme « spectre de l'autisme » ou truc dans le genre. Mon refus de me faire diagnostiquer n'a rien arrangé, et Lise reste persuadée que c'est juste une bizarrerie de ma part et qu'il suffirait que je fasse des efforts pour devenir « normal ».

Je suis pour beaucoup fautif dans cette situation. Comme je déteste devoir parler de visu avec ma famille, j'ai préféré fuir toutes les conversations qui se rapportaient à ma neuroatypie. Lise ne sait presque rien de mes véritables ressentis et du foutoir dans ma tête. Elle ne sait rien de mon anxiété sociale non plus.

Du moins, elle ne savait rien jusqu'à ce jour.]

— Si tu prenais un peu sur toi...

Chris se pinça le nez, voulut glisser une main dans ses cheveux, ce qui fit tomber son bonnet :

— Ecoute, Lise... je ne peux pas prendre sur moi. Pas parce que je veux pas, j'ai déjà essayé, mais parce que mon cerveau est pas câblé comme le tien. C'est pas de la mauvaise volonté, c'est juste comme ça. Et... je... je fais aussi de l'anxiété sociale.

— Pardon ?

Penaud, le jeune homme se détourna et alla fouiller dans sa table de chevet pour en tirer une plaquette de médicaments.

— Capucine m'a prescrit des anxiolytiques pour les pires situations.

— La boîte est neuve.

— Ouais.

— Pourquoi elle est neuve ? demanda Lise en ramassant le bonnet de son frère avant de le lui tendre.

— Parce que j'en ai jamais pris.

Elle lui jeta un regard torve .

— C'est pas facile de causer avec toi, hein. Pourquoi tu n'en as jamais pris ? Hier soir, par exemple, si t'étais si mal que ça ?

— Parce que ça me semble disproportionné de me droguer avec ça pour seulement une heure, marmonna Chris en rangeant la boîte. Je veux pas devenir dépendant de ce truc.

— Donc, tu préfères galérer.

— Je préfère essayer de me débrouiller seul.

— Et par seul, tu veux dire « sans mes potes et sans ma famille », aussi ? Ou tu parles juste des médocs.

— Médocs et famille, avoua Chris, honteux, avant de remettre son bonnet et d'aller enfiler ses chaussures. Enfin, M'man et Ellie forcent, mais papa et toi...

Elle leva sur lui un regard blessé qu'elle détourna presque aussitôt.

— Je sais que je suis qu'une gamine par rapport à toi, mais... je veux que tu puisses compter sur moi, Chris. T'es mon grand-frère adoré et préféré et... je t'aime. Je me sens conne, là.

[Je sais qu'à ce moment-là, j'aurais dû la rassurer. Trouver les mots, trouver le temps, trouver l'envie, peut-être. Mais je n'étais pas dans de bonnes dispositions pour le faire. Trop de stress à gérer. Trop de pressions pour le projet de la Team. Trop d'excitation et d'appréhension à propos de ma promenade avec Cam. Trop de crainte de me faire capter par Lizzie.]

— Faut pas, lâche Chris d'un ton tendre. On y va ? Cam attend.

Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon