Chapitre 40

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6 Décembre

Debout devant la porte de sa maison, les mains serrées sur la bandoulière de son sac, Chris sautillait d'un pied sur l'autre. Il se sentait bien. Vraiment bien.

[Un peu trop bien à cause de l'anxiolytique doublé d'une bière que j'avais avalé à peine un quart d'heure plus tôt. Pas la meilleure de mes idées, ça.]

Il leva le nez vers la maison de ses voisins d'en face. Des enfants étaient en train d'installer des décorations sur les vitres. Des anges, des chatons très kitchs avec des bonnets de lutin, des couronnes de l'avent. Les décorateurs d'un soir riaient aux éclats, se bousculaient, déplaçaient les autocollants, encore et encore. Quand une adolescente apparut, Chris détourna le regard ; il ne voulait pas être pris en flagrant délit. 

Trop tard. Toutefois, la jeune fille lui adressa un sourire, puis un petit signe de la main avant d'ouvrir la fenêtre pour l'interpeller.

— Hey, tu vas voir le concert de Cam ?

Chris sursauta et écarquilla les yeux.

— Qui... moi ?

Elle esquissa un sourire amusé.

— Oui, toi, tu vois quelqu'un d'autre dans la rue ?

— Comment tu... peu importe.

Il secoua la tête et lorgna ses pieds. Si seulement Lise pouvait se dépêcher de le rejoindre et le tirer de cette inconfortable situation.

[Sauf que Lise était occupée par ma faute. 

En bon Cupidon, et pour me faire pardonner d'avoir manqué le live de la veille, je m'étais chargé de l'organisation de leur rendez-vous post concert. Petite balade sur les remparts, chasse aux galets de Noël (à la lampe de poche, évidemment, puisqu'il fera nuit noire. c'est plus drôle comme ça !) et pour finir, un dîner en tête à tête à la cabane à cigogne. Merci à Cam d'avoir convaincu son père de leur réserver une table malgré l'abondance de touristes.

Mais ce n'est pas pour ça que Lise était encore en train de se pomponner alors que nous aurions déjà dû rejoindre son amoureuse devant le proxi.

C'est parce qu'après avoir eu vent de la tenue et du maquillage de Lizzie, je suis allé trouver ma soeur, non seulement pour lui donner l'info, mais aussi pour lui apprendre qu'un des grands rêves de mon amie gameuse, c'est une sortie entre "amoureuses assorties".

Ma sœur était donc occupée à se mettre aux couleurs de Noël, de son piercing à l'arcade à ses chaussettes.]

— Ce n'est pas compliqué, expliqua la jeune femme. Tu es ami avec Cam. Il passe du temps chez toi, souvent. Toi, tu ne sors presque jamais. Et ce soir, il y a le concert, et bizarrement, tu sors. Tu y vas forcément.

— Oh.

— Moi, continua-t-elle, je n'y vais pas.

— Je vois ça, murmura Chris, mal à l'aise.

[La vérité, c'est que j'avais retenu un "sans déconner" un peu sarcastique.]

— Parce que je dois garder les deux mioches que tu vois, là.

— Ha.

[Cette manie qu'on les gens de te raconter leur vie alors que tu n'en as rien à faire.]

— En fait, ils auraient dû être au concert, mais ils sont malades. Et mes parents ont accompagné ma sœur.

— OK.

Chris contint un soupir, cherchant un moyen de clore cette conversation. 

[Et ils ne comprennent jamais que ça ne nous intéresse pas, en plus ! Certains sont capables de faire des monologues ou tout ramener à eux pendant des heures sans voir qu'ils pompent l'air de tout le monde.]

— Perso, j'aurais préféré y aller ! Surtout pour voir Cam, il est tellement beau.

— Hm hm.

Cette fois, ce fut une grimace que Chris retint de justesse. Le ton de la voisine lui semblait un brin trop excité.

— Dis... toi qui aimes jouer les Cupidons... me regarde pas comme ça, t'as arrangé un coup à Cam, et maintenant à ta sœur ! 

— J'me sens comme espionné.

— Peut-être un peu, mais c'est plutôt Cam que je regarde. En fait, je voudrais que tu... que tu lui glisses un mot de ma part. J'ai une lettre que j'ose jamais lui donner et... je voulais le faire ce soir, parce que l'ambiance sera ultra romantique, mais à cause de mes frères... je vais te la chercher !

— J'ai pas dit oui ! bougonna Chris alors qu'elle disparaissait en claquant la fenêtre.

Agacé, il claqua de la langue et, naturellement, ses doigts vinrent crocheter les bosses de son bracelet. Il se concentra tout entier sur la sensation. Appuyer sur les mini-dômes un par un, de la gauche vers la droite. Veiller à ce qu'aucun ne se défasse avant d'arriver jusqu'au bout, quitte à revenir en arrière. Et, une fois toutes les bosses transformées en creux, plier le poignet de sorte à tout "poper" en même temps.

[Ça et le petit claquement sonore, c'est terriblement satisfaisant !]

Chris n'eut besoin que de trois tours de bracelet pour se calmer.

— Je donnerai pas sa lettre de toute façon, souffla-t-il à voix basse alors qu'une porte claquait.

— Je suis prêêête ! Alors ? Qu'est-ce que tu en penses ?

Lise se plaça devant lui et tourbillonna sur elle-même.

— Te manque que les tresses et on dirait que Mercredi Adams a bouffé le père Noël.

— Je souris quand même plus que Mercredi !

— En même temps... faut être un, cadavre pour sourire moins. 

— Oui, même toi t'atteins pas son stade ! Et pourtant, t'es presque aussi gratiné qu'elle. Tu vois, là, tu fais la même moue et le même regard de tueur !

Chris braqua sur sa sœur un regard blasé avant de renifler avec exagération.

— Bref. On y va ?

Elle hocha la tête tandis que lui enfouissait ses mains dans ses poches. Mais alors qu'il tournait les talons, la voisine l'interpella de nouveau. Sous le regard curieux de Lise, Chris s'approcha de la fenêtre à contrecœur. S'empara de l'enveloppe tendue et grimaça un sourire en promettant de bien remettre le pli au beau, à l'adorable, au délicieux Cam.

[Si mon regard avait pu tuer à ce moment-là, je serai recherché pour meurtre.]

Lise peina à le suivre alors qu'il avalait les mètres d'un pas rageur. Elle finit par l'attraper par le bras.

— Alors, je sais que t'aimes pas ça, frérot, mais là tu vas faire peur à tous vos abonnés. Qu'est-ce qu'elle t'a fait, la voisine ?

— Elle veut que je joue les Cupidons voyageurs pour Cam. Sérieux. j'ai la tronche d'un pigeon voyageur ?

— Non, mais d'un Cupidon, clairement. Ta réputation te précède.

— Ouais, ben là, Cupidon, il voudrait bien se garder la cible pour lui. 

— Tu crois que Cupidon à le droit à l'amour ? se moqua Lise avant de tendre la main. Donne la lettre, je  m'en occupe à ta place.

— Que dalle, rétorque Chris, touché en plein cœur par la question. Je vais m'en débarrasser.

Joignant le geste à la parole, il montra l'enveloppe à sa sœur avant de la déchirer en petits morceaux. 

— Première poubelle que je vois et je balance ça.

— Chris ? Tu serais pas un peu jaloux ?

S'il n'avait pas eu les mains encombrées de minuscules papiers, Chris se serait frotté le visage.

— Nope. Pas un peu. Je crève littéralement de jalousie.

Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlWhere stories live. Discover now