Chapitre 65 - Evan

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Comme prévu, je retrouve Zoé une vingtaine de minutes après qu'elle soit venue me rejoindre au bureau.

Elle est en train de rire avec Sofia autour d'un café et s'interrompent lorsqu'elles me voient puis partent dans un fou rire dont je suis visiblement le seul à ignorer la raison.

— Il ne faut vraiment pas que je vous laisse toutes les deux.

— Probablement pas.

J'aime vraiment le fait qu'elles soient aussi complices. Je dois dire que ça me retire un poids.

— Eh ! Tu ne vas quand même pas nous reprocher de bien nous entendre ?

— Ça, non. Aucun risque.

— J'ai fini, dis-je à Zoé. On peut y aller.

Elle essuie les larmes du fou rire qu'elle vient d'avoir puis me rejoint.

— À demain, Sofia.

— Comptes sur moi.

Je dis moi aussi au revoir à ma sœur puis saisit la main de Zoé avant de l'emmener à l'extérieur. L'hiver s'est officiellement installé et les premières décorations de Noël sont en train d'être mises en place.

La neige, elle, semble avoir pris les devants et un épais manteau blanc recouvre désormais toute la ville.

— Alors... Une chance que je sache de quoi ma sœur et toi étiez en train de parler avant mon arrivée?

— Absolument aucune, me répond-elle en secouant la tête, espiègle.

Je prends un air faussement vexé.

— Quelques mois de relation et déjà des secrets entre nous !

Zoé sourit et opte désormais pour un coquin.

— Je me ferais pardonner si on arrive à la maison avant le retour d'école d'Abby.

Cette fille maîtrise l'art de la manipulation sur le bout des doigts. Et je suis sa victime préférée.

— J'imagine que, vu sous cet angle, je vais devoir te pardonner.

— En ce qui concerne l'angle, je te laisse décider la façon dont on va s'y prendre. Et pour ce qui est de me pardonner ou de me punir... Je te laisse choisir aussi.

Elle a beau être emmitouflée dans un épais manteau et ne laisser paraître qu'une infime partie de son si somptueux corps, dans mon pantalon, sa remarque provoque une nette agitation.

— Tu sais que tu vas finir par me tuer un de ces jours avec ce genre de phrases ?

— Te tuer ? Non... En revanche peut-être que je pourrais déclencher deux ou trois palpitations cardiaques que je me verrais dans l'obligation de soigner ensuite...

— Si tu joues à l'infirmière avec moi, il y a peu de chance pour que mon cœur se calme. Mais je suis prêt à essayer. Quand tu veux.

Zoé rit dans mes bras.

— Peut-être qu'on ne devrait pas avoir ce genre de conversation au milieu de la rue.

— Oh je t'en prie, qui n'a jamais discuté de ses fantasmes au milieu d'une foule d'inconnus ?

— Et bien moi, j'imagine. Mais si tu veux tout savoir, jouer à l'infirmière avec toi me paraît être une excellente option.

— Alors qu'est-ce qu'on fait encore ici au lieu d'être en train de réaliser ce fantasme ?

— Le principe même du fantasme est que c'est idéal. Dans la réalité, ce n'est jamais aussi bien.

— Comment est-ce que toi dans une tenue d'infirmière pourrait ne pas être un truc idéal ?

Elle rit de nouveau et ressaisit ma main.

— Allons discuter de tout ça au chaud, je suis glacée.

Il est vrai que sa main est particulièrement froide.

— Avec grand plaisir.

Je suis garé juste en bas du bureau et nous atteignons la voiture en un rien de temps

Abby sort de l'école dans environ une heure. Ce qui signifie que j'ai encore une petite chance de profiter de Zoé au calme avant le retour de la tempête.

La tempête étant ma délicieuse, mais néanmoins très agitée petite fille.

Je fais le tour de la voiture pour lui ouvrir la portière et elle sourit en me voyant agir ainsi.

— Tu es tellement prévenant.

Je hausse les épaules.

— On ne se refait pas.

Elle s'engouffre dans la voiture et je referme derrière elle. Je m'apprête à faire demi-tour et à en faire autant lorsque le reflet d'un visage dans la vitre m'interpelle.

Il me faut un peu de temps pour que mon cerveau analyse de qui il s'agit. Mais il y a des gens que l'on n'oublie pas. Que l'on oublie jamais.

Et dans ma tête, les choses se mettent lentement en place.

Les pièces d'un puzzle que j'ai envoyé valser il y a presque vingt ans sont en train de se réunir et de se raccrocher lentement les unes aux autres.

Ce n'est pas possible.

J'ai forcément rêvé

Comment pourrait-il en être autrement ?

Je ferme les yeux pour chasser cette image de mon esprit, persuadé qu'il vient de me jouer un mauvais tour et que tout ira mieux d'ici quelques secondes.

Mais lorsque je les rouvre, ce reflet est toujours là.

Ce n'est donc pas le fruit de mon imagination.

J'ai l'impression que le sol se dérobe sous mes pieds.

Je n'ose pas me retourner.

Comme si, tant que je ne lui faisais pas face, tout ça resterait dans ma tête.

Mais je suis bien trop pragmatique pour savoir que ce n'est pas le cas. Je sais que je vais devoir affronter la personne qui se tient derrière moi. J'ignore combien de temps il se passe, mais il me semble que cela dure une éternité et finit par me retourner parce que je sais que je n'ai pas le choix.

Ce visage fin aux traits délicats est loin d'être le même que dans mes souvenirs. Pourtant... Le doute n'est pas permis. Je le reconnaîtrais parmi des millions.

Parce qu'il m'a accompagné pendant de longues années et que chaque matin, lorsque je me regarde dans la glace, je le vois en partie.

Quelques rides sont venues s'ajouter aux coins de ses yeux et sur son front, mais elle est toujours la même. De longs cheveux blonds désormais parsemés de mèches blanches et des yeux gris verts dont j'ai hérité.

Autour de moi, tout disparaît et nous nous faisons face dans un silence absolu malgré l'agitation qui règne autour de nous.

Je suis incapable de dire quoique ce soit. Ai-je vraiment envie de le faire de toute façon ?

Que pourrais-je lui dire après toutes ces années ?

Finalement... après un interminable face à face, c'est elle qui brise le silence.

— Bonjour, mon fils.

Une seule nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant