Chapitre 70 - Evan

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Je n'arrive pas à croire que nous sommes vraiment en train de partir à la rencontre de notre mère.

Le fait que Zoé découvre sa véritable identité en venant vivre ici était déjà hautement improbable, mais là...

J'ai eu beau tourner et retourner la situation dans tous les sens, je ne parviens pas à comprendre comment elle a pu nous retrouver.

Je me suis toujours montré extrêmement prudent.

Ce n'est pas pour rien que nous sommes toujours passés à travers les gouttes des services sociaux.

En théorie, je n'aurais jamais pu garder Sofia près de moi.

Je n'étais même pas majeur quand nous sommes partis de chez nous, mais la dépendance de nos parents vis-à-vis de la drogue nous a poussés très jeunes à apprendre à nous débrouiller.

Et ça fait partie des choses qui m'ont aidé à tout mettre en place pour que nous vivions en paix, elle et moi.

Notre mère nous a dit qu'elle résidait au Mayfield et c'est donc pour cet hôtel que nous sommes en chemin.

Honnêtement, c'est un endroit plutôt chic.

Je sais que Sofia aussi se pose la question de savoir comment elle fait pour se payer une chambre ici. Mais sur la liste des choses à éclaircir, c'est loin d'être prioritaire.

Une fois arrivés devant la porte de l'établissement, nous nous stoppons.

Je veux laisser à ma soeur une dernière chance de me dire qu'elle ne veut pas aller plus loin.

Peut-être qu'une partie de moi l'espère, même.

— Tu es sûre de toi ?

Elle semble l'être en tout cas.

La petite fille de douze ans que j'ai emmenée il y a de cela des années à disparu et a définitivement laissé place à une femme forte et déterminée.

— Oui.

Elle ne dit pas un mot de plus, mais c'est tout ce que j'ai besoin d'entendre.

— Alors, allons-y.

Nous franchissons ensemble les portes de l'hôtel avant de nous diriger vers la réceptionniste qui nous accueille avec un grand sourire.

— Bonjour, que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour, nous venons voir Gabrielle Smiles. Je... Je pense qu'elle doit nous attendre.

La jeune femme acquiesce.

— En effet, elle m'a prévenue de votre arrivée. Je vous demande juste une minute.

Elle se saisit du téléphone placé devant elle et se fait rapidement confirmer le fait que nous pouvons monter.

— Chambre deux cent six, au deuxième étage, nous indique-t-elle.

— Merci.

Sofia m'emboîte le pas et nous montons en silence. Je m'apprête à frapper quand la porte s'ouvre devant nous. Et comme prévu, ma mère est là.

Elle nous fait rentrer et c'est à ce moment-là que je remarque que Sofia a pris ma main.

Je la serre dans la mienne avant de refermer la porte derrière nous.

— Je vous remercie d'être venus. Tous les deux.

L'effet de surprise est passé pour moi et je prends donc le temps d'observer la femme qui se tient devant moi avec plus d'attention. La dernière vision que j'ai d'elle n'était pas glorieuse, mais j'ai bien conscience que le changement est spectaculaire.

Elle n'a plus rien de la junkie qu'elle était il y a de cela des années.

Ma sœur ne dit pas un mot.

— Vous êtes tellement beaux.

Je peux lire la détresse dans son regard, mais ça ne change rien.

— Comment est-ce que tu nous as retrouvés ?

Je n'ai aucune envie d'échanger des banalités. Nous sommes là pour avoir des réponses.

— Je... ne peux pas vous le dire.

— Tu plaisantes là ? Tu crois pouvoir débarquer comme ça et ne nous dire que ce que tu as envie qu'on entende ?

Ma mère sursaute, ne s'attendant visiblement pas à ce que je m'emporte.

— Je ne voulais pas...

— Tu ne voulais pas quoi ? Explique-toi. Tu es ici pour ça, non ?

Je pensais pouvoir garder mon calme, mais c'est nettement plus difficile que prévu.

— Je me suis... remariée. Mon mari est policier.

Là, je dois reconnaître que je tombe de haut

— Où est papa ?

Ce sont les premiers mots que Sofia prononce.

— Il est... en prison.

Ça fait beaucoup de choses à assimiler, mais je fais de mon mieux pour y parvenir.

— Pourquoi ?

— Il a été condamné pour violence. Contre moi. Et détention et usage de stupéfiants.

Ça ne devrait probablement pas me toucher, mais le fait d'entendre qu'il a battu ma mère me fait de la peine. Et je me calme un peu.

— Tu nous as retrouvé grâce à ton mari ?

Elle acquiesce, l'air penaud.

— C'est pour ça que je ne voulais pas vous le dire... il pourrait perdre son emploi si ça se savait.

Ça semble logique, en effet.

— C'est quelqu'un de bien, vraiment. C'est grâce à lui que je suis... Clean. Depuis quinze ans.

Sofia est redevenue silencieuse. C'est sa façon de faire face à tout ça et je le respecte.

— Pourquoi es-tu ici maman ? Tu es clean visiblement. Très bien. Je te crois. Mais qu'est-ce que ça change ? Ça change toutes les années que Sofia et moi avons dû passer seuls ? Ça change le fait que c'est moi qui aie dû faire face à la majorité de ses premières fois parce que tu étais trop défoncée pour t'en occuper ? Est-ce que ça change aussi que vous étiez prêts à l'échanger à ce salopard contre une dose ? Elle avait douze ans, putain ! Douze ans ! Que crois-tu qu'il se serait passé si je ne l'avais pas emmené loin de vous ce soir-là ?

Face à moi, ma mère est livide. Et je m'en veux de m'être emporté. Pas contre elle. Elle mérite ma colère. Mais derrière moi, Sofia n'a pas l'air de vivre ça très bien.

Elle tremble et je la prends immédiatement dans mes bras. Nous sommes tous les deux projetés presque deux décennies en arrière. Et c'est violent.

— Je mérite tout ça, Evan. Tu as raison. Je mérite pire encore et le fait que vous soyez venus est déjà extraordinaire pour moi. Je sais que le fait d'avoir quitté ce milieu ne vous oblige pas à me pardonner. Rien ne vous y oblige. Je vous ai fait vivre un enfer. J'ai été une mère abominable. Je le sais. Et il y a des années que je travaille pour réparer le tort que j'ai pu causer. Mais je vous cherche depuis longtemps. Depuis le premier jour. Alors quand Phil... Mon mari... m'a dit qu'il vous avait retrouvé... J'ai pensé que c'était le destin qui m'offrait une seconde chance. Même si j'ai conscience de ne pas la mériter. Je voudrais simplement avoir une chance de vous expliquer comment j'en suis arrivée là.

Sofia et moi l'écoutons calmement.

— Et si vous décidez que je dois sortir de vos vies à nouveau, je respecterais ça. Je vous le promets.

Dans mes bras, les sanglots de Sofia se calment. Et elle finit par reprendre la parole.

_Je veux entendre ta version des faits, dit-elle.

Si c'est important pour elle, alors je suis prêt à rester et à l'entendre moi aussi. Mais quoi qu'elle ait à nous dire, ce sera sa seule et unique chance.  

Une seule nuitWhere stories live. Discover now