Lettre à Jennifer

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Une pensée pour ma grand-maman, dont j'ai appris le décès lors de l'écriture de cette lettre à Jennifer.

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Chère Jennifer,

Je ne suis vraiment pas la fille la plus brillante ou la plus enjouée qui soit, contrairement à ce que je veux toujours laisser paraître. Je suis une belle idiote, Jenn, une bien belle idiote. Tu sais, parfois, il m'arrive d'avoir de la difficulté à discerner l'imaginaire de la réalité. Ça ne t'ait jamais arrivé, à toi, de te plonger dans tes souvenirs sans savoir lesquels sont véridiques ou lesquels ont été déformés avec le temps? Moi, ça m'arrive souvent. Et la plupart du temps, ceux qui tiennent entièrement du vrai sont ceux dont j'ai le plus honte.

De temps en temps, je compare ma vie à un labyrinthe. Chacun de mes tournants sont calculés. Une seule mauvaise décision et je n'atteindrai pas la fin. Depuis quelques mois, je ne prends que de mauvais tournants, en m'enfonçant de plus en plus profondément dans la mauvaise direction. Et c'est seulement maintenant que je frappe le mur du cul-de-sac. La réalité finit toujours par nous rattraper; dans mon cas, le coup a simplement prit plus de temps à arriver.

Ma mère me disait toujours de ne vivre que du positif et de belles choses et d'oublier tout le reste. Mais moi, je me demande... Existe-il vraiment du positif sans négatif? Comment connaître le bonheur si on n'a jamais connu la douleur? C'est comme demander à un homme qui n'a jamais connu la neige s'il est heureux qu'il n'y ait aucune tempête glaciale là où il vit. Il vous répondra probablement par l'affirmatif, mais sans vraiment connaître de ce quoi il parle.

Alors, il n'y a-t-il donc pas un peu de bien à retirer d'une mauvaise expérience? Selon moi, du moins, oui. On en ressort plus sage, plus brave, plus renfrogné peut-être, mais toujours grandi.

Je suis une belle idiote, Jenn, une bien belle idiote. Car si la plupart des gens sortent bonifiés de telles expériences, moi, je doute que je ne puisse jamais chérir des morales que mes faux-pas m'ont apprises. Je serai punie pour quelque chose que je n'aurai jamais l'occasion de réparer. Je le sais déjà. Je t'écris ceci le soir juste avant le bal. J'ai très peur pour toi, mais je sais que, si tu es en train de lire ceci, c'est que j'ai réussi à te faire déguerpir juste avant qu'Atenas ordonne à ses hommes d'empoisonner ta boisson à la fin de la soirée.

C'est grâce à Daniel, si tu es toujours en vie présentement. C'est lui qui m'a demandé de te prévenir. Tous les matins, avant que les autres se réveillent, je traverse l'arche et me rends aux escaliers du métro. Daniel m'y attend toujours et me fournit toutes les informations nécessaires pour assurer ta survie, c'est-à-dire les messages que ses visions lui fournissent, alors que moi, je lui délivre tout ce que le Conseil m'a appris sur leurs plans. Je dois obéir à mes dirigeants, vrai, mais j'utilise aussi le fait que je me trouve dans le champ ennemi pour venir en aide à la bonne cause.

Enfin, en supposant que j'ai réellement fait plus de bien que de mal.

Daniel et moi nous connaissons depuis très longtemps. En fait, j'étais très petite lorsque je le vis pour la première fois. C'était le soir de mon septième anniversaire, et je venais de recevoir ma stillad, ce dont j'étais très fière. Je sortis jouer dans la forêt près de chez moi et, en oubliant les règles, je glissai la stillad dans mon poignet avant les temps... La chose précise à ne pas faire. Une horrible douleur traversa mon corps de fillette et je m'effondrai sur le sol. Je me mis à pleurer sans pouvoir retirer le bracelet de mon poignet. Tout mon corps était secoué de spasmes et ma vision s'embrouillait. C'était insupportable. Au moment où j'allais perdre connaissance, un homme accourut à moi et retira la stillad de mon poignet, faisant soudainement taire la douleur.

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