Chapitre 6: Des questions peu de réponses

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Je regarde Daniel faire des allés retours un peu partout dans sa maison malpropre. J'attends qu'il me donne des explications, mais visiblement il cherche quelque chose. Je ne sais pas quoi. Ça doit forcément être important. Après quelques minutes, mon oncle, la bouteille de bière à la main, revient me voir avec une photo. Elle est endommagée et vieille, mais je réussis à distinguer ce qu'elle représente. On y voit deux enfants: une fillette de cinq ans environ et un garçon qui ne doit pas avoir plus de trois ans, ainsi qu'une jolie femme qui doit être dans la trentaine. Il y a aussi un homme du même âge que la femme, grand et élégant.

- Daniel, c'est toi sur cette photo, non? m'exclamé-je, surprise.

- Oui, répond-il avec une légère tristesse dans la voix. Avec ma femme et mes deux enfants.

- Ma tante et mes cousins.

Pourtant, je ne les reconnais pas. Je ne les ai jamais connu. En fait, je ne savais même pas que Daniel avait déjà eu une relation amoureuse avec qui que ce soit. Je plisse les yeux et remarque que Daniel et sa femme ne sont par normaux.

Ils sont comme moi. Je frissone.

Je regarde ensuite les deux bambins qui, eux, semblent complètement humains.

- Quel âge ont-ils, aujourd'hui? demandé-je en les pointant.

- Ils devraient avoir vingt-trois et vingt-cinq ans.

- Devraient...? m'estomaqué-je.

- Je ne sais pas s'ils sont encore en vie.

Un lourd silence s'installe. Je décide d'aller jusqu'au bout:

- Que s'est-il passé?

- Tu n'as pas envie de le savoir, murmure-t-il.

- Oui, j'en ai envie. Je suis venue ici pour avoir des réponses.

Daniel s'assied sur le vieux sofa défoncé à la droite du mien. Il boit une gorgée de sa bière avant de se lancer.

- Il y a vingt ans de cela, lorsque j'ai donné un bracelet à la fête de ta soeur, sache que ce n'était pas par choix. On ne donne pas une stillad à quelqu'un juste pour le plaisir.

- Une quoi?

- Une stillad. C'est le nom qu'on donne à ces bracelets. J'en ai remis un à Alicia parce que c'était mon devoir. On ne devient pas ce qu'on est; on naît comme ça. Tu as toujours été ce que tu es en ce moment, Jennifer, mais tu ne pouvais pas le voir tant que le moment n'était pas venu. (Il prend une nouvelle gorgée de sa boisson avant de reprendre.) Dix-sept ans et demi. Voilà l'âge à laquelle tout chance dans notre vie, car c'est le moment où on doit se rendre à la cité... Enfin, si on est comme toi et moi...

Lentement - mais beaucoup plus vite que moi je l'avais fait -  Daniel retire ses verres de contact. Il a les yeux violets, comme les miens. Je suis parcourrue d'un frisson.

- Et... que sommes-nous, exactement? demandé-je, inquiète.

- La majorité des gens te répondront que nous sommes ce que les autres ne sont pas, ricane Daniel. Moi, je te dis que nous ne sommes pas ce que les autres sont.

- C'est-à-dire...?

- Qu'on n'est pas normaux.

Il ingurgite une autre gorgée de bière en riant. Puis, il reprend:

- Enfin, toi, t'es pas normale. Toi, tu pars demain.

- Racontez-moi ce qui s'est passé pour votre famille! m'impatienté-je devant ses devinettes.

UndergroundWhere stories live. Discover now