Chapitre 74 : Et avant même que je ne m'en rende compte, j'ai lancé l'appel.

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Maëlle,
Ne te demande pas comment j'ai pu finalement me procurer ton adresse, ni comment ai-je pu savoir qu'il s'agissait de la bonne. Tout ce que tu peux savoir, c'est que j'ai passé de nombreuses heures à la chercher.
Avant de commencer, j'aimerais tout d'abord m'excuser pour le mal que j'ai pu te faire lorsque nous étions plus jeunes. J'étais une adolescente qui ne pensait qu'à la popularité, à l'amour des autres et j'en ai fini par oublier le plus important : l'amitié. TON amitié. Les mots ne pourront décrire le poids de la culpabilité que je porte toujours depuis tout ce temps. Je t'ai laissée tomber au moment où tu avais le plus besoin de moi, même quand je t'avais promis d'être toujours là pour toi.
Lorsque je t'ai revue, il a quinze jours, j'ai réellement cru que nous pourrions tenter d'avoir une discussion civilisée, mais à la réaction que tu as eu, j'ai compris que je t'avais blessée plus que je ne le croyais. Je suis tellement désolée pour cela, Maëlle.
Il y a quinze jours, lorsque je t'ai vu de manière inattendue dans ce supermarché, j'ai essayé de te faire part d'une partie de mon histoire, de ce que j'ai vécu il n'y a pas si longtemps, mais ton petit ami est intervenu et tu es partie.
Alors voilà, je le fais dans cette lettre, dans laquelle j'ai du mal à exprimer toutes mes pensées et tous mes sentiments... mais j'essaie.
Il y a deux ans, j'ai fait la rencontre d'un homme plus âgé que moi. Le genre bad boy, fêtard, plus âgé, celui qui t'apporte le paradis, tu vois ce que je veux dire ? Il me blessait constamment mais revenait toujours vers moi pour me supplier de lui pardonner. Et c'est ce que je faisais. Je l'aimais passionnément, j'étais dingue de lui et j'espérais que nous finirions bien par avoir une happy ending. Mais ce genre de fin n'arrive que dans les romans à l'eau de rose et malheureusement, nous n'étions pas un personnage de ces fameux romans. Lui et moi avons vécu la passion amoureuse seulement un an et demi, mais cela m'a paru tellement plus long. Nous avions rompu tellement de fois, je m'étais promis si souvent de ne plus céder ! Pendant un an et demi, j'ai cru en l'amour. J'y ai vraiment cru. Il me mettait en danger tout en me promettant de me protéger, il me disait m'aimer inconditionnellement à chaque fois qu'il déconnait et cela suffisait à me faire retomber.
Il m'a trompée. Une fois. Avec celle que je considérais comme ma meilleure amie. Seulement six mois après le début de notre relation. Six putains de mois, tu te rends compte ? J'ai mis un mois à lui pardonner. Il venait sonner à ma porte, me supplier de le reprendre, me répétait que cette fille n'était rien pour lui, que j'étais celle dont il avait besoin. Le soir où nous nous sommes réconciliés, il s'était mis à pleurer dans mes bras, me disant qu'il n'y arrivait pas sans moi, que j'étais l'amour de sa vie et qu'il n'avait jamais ressenti cela auparavant, et nous avons couché ensemble. C'est à ce moment-là que je me suis rendue compte qu'il avait planté si profondément ses griffes en moi que je ne pourrais jamais lui résister et m'en éloigner.
Je me consumais dans cette relation, mais espérais qu'il soit mon ancre, ma bouée de sauvetage lorsque je coulerais, le pilier sur lequel m'appuyer.
Je suis tombée enceinte après cette nuit-là. Je l'ai très vite découvert - environ un mois plus tard. Quand je le lui ai annoncé, il a pété les plombs, m'a insultée, puis m'a dit qu'il n'était pas prêt à être père. Mais moi non plus je ne n'étais pas prête à être mère ! Je n'avais que dix-huit ans et mes parents ont pété un câble en l'apprenant, eux qui n'aimaient déjà pas mon ex. J'ai alors repensé à toi qui avait eu besoin de moi et qui t'étais vue abandonnée lâchement. Je me suis sentie coupable et me suis dit que les choses auraient été différentes si nous étions restées amies... Je vivais un moment horrible et c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte du mal que j'ai pu te faire. Je suis un monstre égoïste, n'est-ce pas ?
Il est revenu. J'étais enceinte de cinq mois lorsqu'il est revenu. Il m'a dit qu'il avait beau essayé, il ne pouvait cesser de penser à moi, à mon "joli sourire" et à mon "rire mélodieux". Enfin bref, il m'a sorti tout le baratin du type amoureux et tu aurais dû voir à quel point j'étais heureuse ! Je me suis dit que cette fois, je la tenais mon Happy Ending, et pour de bon ! Il a très vite trouvé un appartement où nous nous sommes installés. Au début, les premiers jours, c'était bien. Il me complimentait, me disait que j'étais belle, désirable, adorait la poitrine que la grossesse me faisait. J'étais aux anges, pour la première fois depuis des mois, je me sentais de nouveau VIVRE. Mais les choses ont commencé à dégénérer au fil des jours (même pas des semaines, putain...). Il a commencé à sortir les soirs pour aller se bourrer la gueule. En fait, plus je grossissais et plus il s'absentait. L'arrivée du bébé le rendait dingue et j'avais hâte d'accoucher en espérant que notre fille (cela devait être une fille et nous avions décidé de l'appeler Lila) le fasse revenir à la raison et le rende heureux...
Mais un soir, il est rentré totalement torché. Je rentrais à peine dans mon septième mois et tout le stress qu'il me provoquait n'était bon ni pour moi ni pour le bébé. Ce même soir, une violente dispute a éclaté au sujet de l'heure à laquelle il rentrait (plus d'une heure du matin, alors qu'il était parti dans l'après-midi). J'aurais peut-être mieux fait de me taire en fait, car le sujet était si idiot. Il hurlait et moi aussi, je me suis dit que la passion était en train de nous consumer et j'ai décidé qu'il était grand temps pour moi de prendre une décision d'adulte. Pour moi, pour mon bébé. Mais quand j'ai voulu rompre, il est sorti de ses gonds. Il semblait être détaché de lui-même, comme possédé, et c'était la première fois qu'il me faisait peur à ce point. Il a levé la main sur moi, ce soir-là. Il m'a tiré les cheveux, m'a jeté au sol, m'a rouée de coups au visage et au ventre. J'ai protégé mon bébé du mieux que je le pouvais, lui hurlant d'arrêter, qu'il me faisait mal et que je resterais. Mais cela n'a pas suffit. Au moment où il a tenté de m'étranger, j'ai réellement cru que je ne passerais pas la nuit, que je ne connaîtrais jamais ma fille.

Je remarque que le papier a été mouillé à cet endroit. Comprendre qu'elle a pleuré en ce remémorant son passé me fend le cœur.

Il m'a ensuite relâchée, juste avant que je ne perde connaissance. Je suis restée allongée au sol, je me sentais trop mal pour bouger. Mon cœur battait à tout rompre, j'avais mal à la gorge. J'aurais dû partir, m'en aller, mais au lieu de ça, je suis restée. Tu vas me prendre pour une idiote et tu as raison. Je n'étais qu'une idiote. Quelques heures plus tard, je ne pleurais plus, mais j'avais toujours mal, physiquement et mentalement. Je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse aller si loin. Je me suis relevée tant bien que mal et suis allée soigner mes blessures dans la salle de bain. Je suis ensuite entré dans la chambre où il dormait et me suis allongée à ses côtés. Sans le toucher. Évidemment. Le lendemain a été le pire jour de ma vie. Je me suis réveillée en sentant des baisers mouillés sur mon cou et puis des gouttes, aussi. J'ai ouvert les yeux et l'ai supplié de ne pas me toucher. Il pleurait. Il s'est excusé, me disant qu'il ne savait pas ce qui l'avait pris, qu'il était sous l'emprise de l'alcool et qu'il ne recommencerait plus jamais, ne boirait plus jamais autant et ne me frapperait plus. J'étais tétanisée, j'avais peur de le quitter, qu'il recommence encore et que cette fois, il ne me loupe pas. Qu'il me tue. Il a pleuré comme un gosse, semblait sincère quand il me suppliait de lui pardonner, quand il me disait m'aimer plus que tout. Je n'ai pas pu faire autrement que le laisser m'embrasser, quand il voulait faire ses fameux "bisous magiques" sur mes plaies. J'étais malheureuse, mais je l'aimais tellement. Il m'a promis de prendre soin de moi et m'a laissée dans la chambre pour me préparer un petit déjeuner. J'ai fondu en larmes quand je me dis retrouvée seule, car j'étais condamnée à lui. Je n'étais plus seule, maintenant, je portais son enfant, NOTRE enfant. Je me suis levée pour aller aux toilettes, et c'est là que la descente en enfers a débuté. J'ai perdu les eaux. Je venais à peine de finir mon sixième mois et j'étais déjà sur le point d'accoucher. Il a paniqué aussi, nous avons appelé son frère pour qu'il nous conduise à l'hôpital. Aucun d'eux n'a voulu prévenir mes parents ni même ma sœur pour l'accouchement. Mon visage était tuméfié et même le fond de teint n'a pas réussi à dissimuler entièrement ce qu'il m'avait fait subir la veille. On m'a placé dans une chambre, et ensuite les choses se sont enchaînées rapidement : j'ai accouché, Lila est née prématurément. Tout est flou encore dans ma tête, mais je me souviens parfaitement avoir tenu mon minuscule bébé dans mes bras et ne pas l'avoir entendu pleurer. Je me souviens parfaitement avoir lu la panique sur le visage des infirmières, je me souviens parfaitement de ce médecin qui m'a emmenée dans une pièce remplie de bébés reliés à des fils. Mais surtout, je me souviens des mots cruels qu'il a prononcé seulement quelques heures après la naissance de ma fille : "Je suis désolée, Anaïs." Ils ont débranchée ma fille et j'ai hurlé de douleur. Elle n'avait jamais vu la lumière du jour, ne verra jamais mon visage. Le 03 février 2018, ma fille est née, puis morte.
J'ai porté plainte contre ce salopard pour coups et blessures volontaires, ainsi que pour tentative de meurtre et suis tombée en dépression. Dans deux mois, ce sera son deuxième anniversaire. Elle devait avoir deux ans, mais elle sera aussi partie depuis deux ans...
Voilà, tu connais maintenant mon histoire, Maëlle, tu sais ce que j'ai vécu.
Peut-être était-ce le Karma ?
Peut-être que je méritais, au fond, de perdre mon enfant ?
Tu peux continuer à me haïr pour le mal que je t'ai fait, je ne t'en voudrais absolument pas.
Mais si tu veux me joindre, ce qui me fera énormément plaisir, je joins à cette lettre mon numéro de téléphone, mon adresse et mon mail.
Prends soin de toi et de ta belle petite famille, Maëlle.

Anaïs Jones

Avant même que je n'aie le temps de reprendre mes esprits, je m'écroule au sol, les larmes ruisselant sur mes joues.
Anaïs a vécu un enfer. Un enfer tandis que moi, je me la coulais douce ici avec mon petit ami parfait et mon fils adorable.
Elle n'a pas été là pour moi quand j'avais besoin d'elle, mais au moins j'avais mon frère, ma mère, les garçons, Adrienne...
Elle n'a eu personne, pas même sa famille.
Elle a vécu cet enfer toute seule, s'est retrouvée enfermée dans ce cercle vicieux, infernale, et a perdu la chose la plus belle qui pouvait lui arriver.
Je ne peux plus la laisser seule. Je n'ai pas ce droit. C'est au-dessus de mes forces.
Et avant même que je ne m'en rende compte, j'ai lancé l'appel.

Come back to me » h.s ─ TOME 2 (PARTIE 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant