chapitre 15: colin-maillard

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Sous un ciel parsemé d'une palette de couleurs orangées ondulant négligemment entre les vagues de bleu ciel persistant de cette longue journée, Charline me raccompagnait à l'internat à travers les jardins colorés de l'enceinte de l'école. Elle s'intéressait de prés au célibat prolongé d'Alex. Comme quoi Mathilde avait raison: le coeur de Charline changeait régulièrement d'objectif, prêt à harponner la première proie à sa portée. En poussant la porte de notre chambre, nous trouvions Lise, les yeux bandés, affairée à tapoter le dessus de mon lit et Sam, perchée en haut de mon armoire, en proie à une crise de rire qui trahissait sa proximité. Elles nous proposèrent de nous joindre à leur partie de colin-maillard.

Bien sûr, je fus la première victime. Après quinze tours sur moi même, sans aucun repère, je partis à la recherche de mes colocataires. Je me cognai au mur qui séparait nos box. S'ensuivit quatre chutes jusqu'à ce que j'attrape enfin un pied. Je remontai au visage. Cette masse de cheveux ondulés ne pouvait appartenir qu'à Charline.

Sam voulut essayer à son tour. Elle était en train de tourner au centre de la pièce pendant que nous cherchions des cachettes. Lise me devança pour grimper sur mon bureau et Charline me doubla pour se percher sur le sien. Je tentai de me hisser jusque sur l'étagère mais Sam m'attrapa trop tôt.

Elle remonta ses mains le long de mes jambes, les glissa sur mes hanches et vint les poser sur mon visage. Un instant, je crus que le monde s'arrêtait. La peau de ses mains, qui m'avaient déjà fait un drôle d'effet par le passé, était désormais sur mes joues brulantes. Elle passa ses doigts sur mon cristal, me sourit, mentionna mon nom et enleva son bandeau. Ses yeux noirs étaient plongés dans les miens, son visage à quelques centimètres de moi. Quelque chose se contracta dans mon ventre, un étaux enserrait mes tripes, je fus prise d'une irrésistible envie de l'embrasser.

Je secouai la tête pour me remettre les idées en place.

— Charline! À ton tour, dis-je dans la précipitation!

Celle-ci enfila le bandeau mais nous n'eûmes pas le temps de nous cacher. Elle tournais encore en rond quand la surveillante entra. Nous nous tûmes pour ne pas envenimer la situation. Sauf que, notre colocataire, momentanément aveugle, se mit à quatre pattes au milieu de la pièce pour stabiliser ses appuis. Je retins un sourire, non sans peine. C'est alors qu'elle commença à avancer en direction de la surveillante. Elle toucha un pied et hurla:

— J'en ai une!

Elle remonta jusqu'à son visage et commença à lui attraper les joues.

— Ben... C'est qui?

On ne put retenir notre fou rire plus longtemps. Elle enleva son bandeau et changea de couleur. La surveillante resta stoïque.

— C'est l'heure de la douche.

Puis elle ferma la porte. Charline se retourna vers nous.

— ça vous coutez trop cher un raclement de gorge, un petit coup de pied ou une main sur l'épaule pour me prévenir?

— Beaucoup trop cher.

On retourna sans nos box respectifs pour aller nous changer. Lise partit la première, suivie de prés par Charline qui chantait comme à son habitude. Elle n'était pas rancunière. Sam, habillée d'une simple serviette, jeta un coup d'oeil dans ma direction.

— On prend un douche pour deux?

Je fis semblant de rire pour qu'elle ne pense pas que sa plaisanterie me déstabilisait totalement. Elle ne fut pas dupe et rigola de plus belle.

— Une autre fois peut-être.

Si j'étais déjà perdue au milieu de cette mélasse de sentiments, risquant la noyade à tout instant, elle était loin de m'aider à en sortir. Chacune de ses plaisanteries équivalait à appuyer sur mes épaules pour m'enfoncer encore un peu plus dans les sables mouvants que ses regards provoquaient sous mes pieds. En avait-elle au moins conscience?

J'eux beaucoup de mal à m'endormir ce soir là. Tous ces contacts physiques avec Sam me confrontaient à une réalité que je ne pouvais plus nier. J'en étais amoureuse. Cette fille provoquait en moi des choses que je n'aurais jamais cru possible, à commençait par un désordre intestinal flagrant. Quand elle était prés de moi, j'avais envie de me surpasser, de toujours donner le meilleur de moi même, du moins d'essayer. J'avais besoin de la voir, constamment. Même si mes sentiments ne seraient jamais réciproques. Sa présence, juste la savoir dans la même pièce que moi, me comblait de bonheur. J'aurais pu rester des heures juste à l'écouter parler. Quand j'arrivai enfin à sombrer dans le sommeil, la porte de la chambre s'ouvrit et la lumière provenant des yeux de Lise m'éblouit. Je me demandais si c'était propre aux Asimes d'avoir une petite vessie. Monseigneur Kigrat n'aida pas à me rendormir. Il passa le reste de la nuit à faire ses griffes sur l'une des armoires. 

Emmerson école pour futurs Guerriers, Mages et DiplomatesWhere stories live. Discover now