chapitre 27: danse de la victoire

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La lumière douce du levé de soleil à travers le ciel hivernal vint chatouiller mes paupières. Mon corps s'enfonça un peu plus dans mon édredon. Après une semaine de douces nuits dans ma chambre de Tolane, j'en avais oublié les couvertures rêches d'Emmerson. Qu'il était bon de rester allongée sur le matelas cotonneux de mon grand lit deux places, ma tête ensevelie sous une déferlante d'oreillers en plumes. Seul une petite brise d'air frais, venant frôler le bout de mon nez, aurait pu m'inciter à quitter mon enveloppe soyeuse en ce matin de réveillon. Mais elle ne venait que parfaire le tableau, en me rappelant à quel point le reste de mon corps se sentait flotter dans ce nid bien chaud.

Du moins, jusqu'à ce que la porte de ma chambre s'ouvre à grands fracas. Deux masses animées sautèrent sur moi. L'une poilue, l'autre pesant bien une bonne cinquantaine de kilos.

— Titi! C'est l'heure! Maman a fait des croissants au chocolat!

Ma soeur sautait à pieds joints sur mon lit dans l'espoir de me faire tomber, faisant rebondir Monseigneur Kigrat sur le matelas à chacun de ses sauts. Iode avait beau avoir bientôt vingt ans, dans des moments comme celui-là, elle semblait en avoir douze.

Je grognais et me retournais sous mes couvertures.

— Debout! Aller! Sinon Tristan va tout manger!

Je ressortis un oeil de mes draps. Il me fallait des éléments sures pour m'arracher aux bras puissants du confort.

— Tristan est là?

— Pas encore, mais je suppose qu'il ne va pas tarder.

Dilemme, cuisine de maman contre grasse matinée. Je me résignai à quitter mon cocon douillet pour enfiler de gros chaussons en laine et une robe de chambre. Par la petite fenêtre hexagonale de ma chambre, je vis que la cour était couverte de neige. Un plaisir égoïste m'envahit. Celui d'être à l'abris dans sa maison quand le froid menaçait au dehors. Comme si le monde pouvait entièrement geler, seul resterait sur pied la demeure que nous avions toujours habitée, invincible.

Dans la cuisine, une douce odeur de croissants au chocolat et de lait chaud s'empara de mes narines. Je m'installai sur l'un des hauts tabourets autour du plan de travail en chêne massif où Iode se gavait déjà de toutes choses comestibles à sa portée. Ma mère lisait les nouvelles assise en face de nous. J'avais l'impression de retomber en enfance. Rien n'avait changer. Ni la chaleur qui émanait de la cuisinière en fonte, ni le bac à eau en granite sous la fenêtre à petits carreaux, ni les placards au vernis usé que mon père promettait de repeindre tous les ans, ni même les bruits de mastication de ma grande soeur... Ce matin de réveillon était similaire à tous les autres, à un détail prés.

Je demandai à quelle heure arrivait Tristan. Ma mère me répondit sans lever le nez du bulletin des actualités.

— Il n'y aura que Cécilia cette année, Tristan s'est inscrit à un stage d'entrainement intensif pour les vacances. Il espère intégrer l'école militaire de Cassant pour devenir garde impériale comme son père.

Iode stoppa sa mastication, mâchoires encore ouvertes.

Notre mère avait dit cela dur un ton neutre, comme s'il n'y avait rien de choquant au fait que notre ami d'enfance s'engage dans l'armée. Cela ne semblait pas l'inquiéter plus que ça. Dans des moments tels que celui là, je me demandais si ma mère se rendait compte qu'elle n'exprimait aucun sentiment, comme si les événements lui passaient « au dessus », comme si le monde extérieur ne l'atteignait pas. Et puis Tristan, pourquoi ne m'avait-il rien dit? Mon seigneur Kigrat me ramenait une lettre par semaine. Ne pas être là pour le réveillon et s'inscrire dans une école militaire était un sujet qu'il aurait dû ne serais-ce qu'effleurer!

Emmerson école pour futurs Guerriers, Mages et DiplomatesWhere stories live. Discover now