Chapitre 35: cours particulier

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Le soleil du petit matin me fit plisser les yeux alors que je traversais la cour pour assister à mon premier cours particulier avec Monsieur Sodiar. La nuit ayant été courte et connaissant la capacité de ce professeur à assommer n'importe quel élève, ce ne fut pas sereine que j'entrais dans sa salle. S'endormir dans un amphi théâtre empli d'élèves était une chose, le faire alors qu'il était vide en était une autre.

Monsieur Sodiar arriva avec plus d'une demi heure de retard et dans une tenue que je n'avais pas l'habitude de lui voir. Il ne portait pas l'uniforme Rouge et Jeune de l'école qui le boudinait comme à l'accoutumé, mais une simple toge beige, des lunettes étaient posées sur sa calvitie naissante et il tenait une reliure de cuir dans la main gauche, accompagnée d'une plume et de son encrier dans la droite. Il semblait tout droit sorti du lit.

Il se laissa tomber de toute sa masse sur le siège à côté du mien.

— Bonjour Ethyléne, Celestine ne m'avait pas dit qu'il s'agissait de vous.

Il ouvrit la pochette en cuir, en sortit un parchemin vierge et posa ses lunettes sur son nez.

— Donc, cristal violet, rappelez moi de quel élément il s'agit.

Ça commençait bien...

— Le vide.

Il regarda par dessus ses lunettes. Apparemment, il ne connaissait pas cet élément. Je lui expliquais donc.

Il me sourit, il trouvait ça drôle. Soit ça, soit Monsieur Sodiar souhaitait que je lui fasse manger son bloc note en jouant avec mes nerfs.

— Je plaisantais, dit-il beaucoup plus amusé que moi. Je me souviens que ta soeur faisait des merveilles en magie de l'air. Oh mais tu n'as rien à lui envier si tu réussis à faire des téléportations instantanées.

— Eh bien à vrai dire professeur, c'est en partie à cause de ses téléportations instantanées que je suis là.

Je doutais sérieusement du jugement de Madame Valdès quand à la capacité de notre professeur de rudiments magiques à régler mes problèmes, d'autant plus si elle ne l'avait pas informé des problèmes en question.

Il me demanda de lui expliquer tous les événements notables qui s'étaient produits avec mes pouvoirs, dans le détail. Il voulait tout savoir: lieu, date, contexte... J'aurais préféré confier à quelqu'un d'autre qu'un prof aux yeux rouges et au rire cynique que j'avais lancé des éclaires parce que les Nymphes du feu n'étaient « pas gentilles » avec moi. Sans compter qu'il me fallut narrer sans censure mes téléportations non contrôlées. J'étais très gênée de lui raconter ça, mais je n'avais pas le choix, il n'arriverait pas à m'aider si je mentais.

— La deuxième fois... C'était lorsque notre colocataire nous a surprises dans le même lit avec ma copine.

Il nota quelque chose dans son cahier sans commentaire oral avant de m'inciter à continuer. Le récit de mes exploits se prolongea avec les deux inondations en magie de l'eau, la boule de neige pendant le tournoi, la tempête en magie de l'air...

Mis bout à bout de cette manière, je devais avouer que ce n'était pas glorieux.

— Hum hum, grogna-t-il en gribouillant un autre commentaire narquois sur son parchemin. Vous ne m'exposez là que les échecs. Qu'en est-il des réussites?

Mes réussites? Je n'avais pas encore examiné les choses de ce point de vue là.

— Eh bien... J'ai réussi deux fois à me téléporter de Tolane à ici. Dont une fois avec des passagers. Ah oui, j'ai gagné une bataille de boules de neige contre ma soeur aussi.

Ses deux sourcils se dressèrent au milieu de son front.

— Contre Iode?

— Oui.

— Impressionnant.

Il gribouilla autre chose. J'aurais donné cher pour savoir ce qu'il écrivait. Je tentais de jeter un coup d'oeil qui se voulait discret, mais il inclina le bout de cuir pour me couper la vue. Pas dupe le vieux.

— Et pour ces sorts là, à quoi pensiez-vous?

À Sam. Gros dilemme. Allais-je confier au gars qui allait corriger mes examens de fin d'année que la seule réussite de ma vie dépendait essentiellement de ma petite amie, ou allais-je garder le peu de dignité qu'il me restait?

Deuxième option.

— Je ne sais pas Monsieur.

— Racontez moi, en détail, c'est important.

« Aller Ethyléne, c'est pour ton bien » me répétai-je. Je pris une grande inspiration.

— La première fois, c'était un weekend. Nous étions sur la place de Tolane, Charline, Mathilde et moi. On a voulut aller à un concert à Kadoff.

Autant zapper le passage du démon susceptible d'être lié au commerce de magie noire.

— Pourquoi étiez-vous rentrées à Tolane si vous vouliez y aller?

— Parce que je n'en avais pas envie au départ.

— Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis?

Rah! Ce prof allait me rendre dingue! Autant céder maintenant, cette mule ne lâcherait jamais.

— Sam, ma copine, qui ne l'était pas encore.

Quand il me demanda pourquoi j'étais rentrée plus tôt des vacances, je répondis Sam. Quand j'énonçais l'anecdote du changement de lit volontaire, je citais Sam une fois encore. Je m'apprêtais à lui raconter la bataille avec Iode mais ce ne fut pas la peine. Il avait déjà tiré ses conclusions.

— Je vois pourquoi la Directrice vous a confié à moi. Sans l'ombre d'un doute, vos pouvoirs sont affectés par vos sentiments. Si vous avez réussit à les maîtriser en présence de votre soeur, c'est parce que vous étiez en parfaite confiance. Quand à cette Sam, elle a l'air de vous repousser dans vos retranchements et vous permet de vous surpasser. L'inscription sur votre bandeau de combat me conforte dans cette idée. Je pense que la partie à travailler essentiellement est la méditation.

Je jetai un coup d'oeil au bandeau que j'avais au poignet. Il m'avait vraiment examiné pour pouvoir y lire le nom de Sam. Cela ne fit qu'augmenter mon inconfort.

— Méditer sur quoi, demandai-je?

— Apprendre à vous concentrer, peut-être sur cette fameuse Sam.

J'étais des plus septique.

— Vous voulez dire que je vais passer douze heures par semaine à penser à la fille que j'aime?

— Exactement. On se voit demain.

Non, vraiment, je doutais de ses techniques éducatives et de celles de Madame Valdés.

Charline et Alex voulurent un compte rendu du « piège » que nous avions tendu la veille. Ils en vinrent à la même conclusion que nous. Il fallait fouiller l'armoire de Lise pour y trouver des preuves, savoir si elle avait des complices et comprendre d'où venait ces fioles.

Nous dûmes nous interrompre quand Mathilde vint nous rejoindre à table. Le Mendrid au drôle d'accoutrement passa à côté de nous. Il avait choisit un habit noir à l'effigie d'une chauve sourie jaune ce matin. Je n'aurais pas dû le fixer car il me sourit. Cet imbécile avait pris ça pour une autorisation à me montrer ses dents. Charline y fut plus sensible que moi.

— Beau gosse, dit-elle une fois qu'il fut monté à la deuxième mezzanine du réfectoire. Je crois que je suis amoureuse.

Mathilde leva les yeux au ciel.

— On est mardi. 

Emmerson école pour futurs Guerriers, Mages et DiplomatesKde žijí příběhy. Začni objevovat