Chapitre 19: Potion magique

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À la nuit tombée, mes camarades de chambre et moi nous dirigions ensemble vers la forêt, libérées de nos uniformes au profit de vêtements civils. J'avais emprunté une robe à Mathilde, décorées de petites fleurs qui me donnaient des allures de champs printanier, sous laquelle j'avais enfilé de gros collants en laine. Sam et Lise portaient des tenues de chasseurs qui ne les rendaient pas moins féminine, ce que je trouvais très injustes, on m'aurait prit pour une homme des bois si j'avais enfilé cette tenue. Charline, comme à son habitude, avait choisit une robe qui mettait ses innombrables atouts en avant à défaut de lui tenir chaud. Je la tenais par le bras de peur de m'entraver dans l'obscurité. Lise marchait les mains dans les poches. Elle y voyait clair avec ses yeux illuminés. Quand à Sam, elle gambadait joyeusement.

Elle semblait différente en dehors d'Emmerson. À l'internat, on avait l'impression qu'elle était en constante retenue. J'avais remarqué que lorsqu'elle parlait, elle jetait toujours un coup d'oeil autour d'elle pour savoir qui l'écoutait. Comme si le regard des autres l'impactait. Même lorsque nous avions joué sous l'eau, elle avait observé les fenêtres à plusieurs reprises. Elle avait beau faire preuve d'assurance, je pensais que c'était surtout une carapace. Ce que j'avais prit pour une force n'était qu'un jeu de dupe. Un jeu auquel elle gagnait la plupart de ses adversaires.

Là, elle n'était pas comme ça. Cela me rappelait la fois où je l'avais surprise dans le réfectoire. J'appréciais de la voir dans cet état, sans artifice.

Une fois dans les bois, nous suivîmes un chemin de Terre. Monseigneur Kigrat jouait les éclaireur à l'avant du cortège. Durant quinze bonnes minutes, aucune trace de civilisation ne croisa notre route. L'idée que les filles m'aient fait une mauvaise blague et m'amènent là pour me ligoter à un arbre me traversa l'esprit. Je n'allais pas vite car le chemin accidenté donnait l'impression de m'en vouloir. Sam prit mon autre bras.

Arrivées à la fête, la magie opéra.

Une trentaine de petites cabanes étaient construites et décorées de lucioles qui virevoltaient dans des pots de verre. Dans chaque cabanes trônait une marmite d'un liquide dont les convives se servaient à la louche. Le campement était entouré de petits feux où les élèves se réchauffaient. Au centre, un grand feu de joie réunissait une dizaine de Fenrirs qui jouaient de la mandoline, de la flute et du tamtam.

Sam se pencha à mon oreille.

— C'est magique, dit-elle avec un sourire malicieux.

Et ça l'était, magique. J'avais beau avoir grandit dans les montagnes Nymphes, les ressources des élèves de cette école ne cessaient de m'étonner.

Nous nous installâmes dans l'une des huttes où mes camarades firent rapidement descendre le contenu du chaudron. Moi, je faisais durer mon verre. Alex vint nous rejoindre accompagné de Tarib, Nico et Kenza qui avaient troqué leurs uniformes pour de grands ponchos colorés.

Le Fenrir avait apporté sa guitare. J'étais certaine qu'il voulait éblouir Charline par ses talents de musicien. C'était mal connaitre Charline. Après quelques accords improvisés, elle superposa sa voix à la mélodie. Mon amie chantait depuis notre enfance, depuis la mort de son père d'après Mathilde. La musique lui donnait de la force dans les moments de doutes, du courage quand il lui en manquait. Le chant était son meilleur remède et lui permettait de rester elle même quelque soit la situation. C'était également son arme de séduction majeur.

Alex en rata un accord. Puis, par un jeu d'improvisation d'une sensualité à mettre mal à l'aise leurs spectateurs, ils arrivèrent à nous transporter. Ils ajoutèrent encore un peu de magie à cette soirée. Nous étions plongés dans un de ces moments surréalistes que l'on ne pense possible que dans les histoires. Lorsque le héros se retrouve à une place qu'il n'aurait jamais dû occuper mais qui lui convient comme s'il y avait toujours été. Leur chanson, même si la mélodie était maladroite et les paroles lançaient à la va vite sans réel sens, nous permit une communion à tous l'espace de quelques instants. Nous étions là, nous étions bien et j'y serais resté toute ma vie si j'avais pu...

Quand l'inspiration de Charline vint à manquer, Alex gratta trois accords de plus pour conclure. Tarib se gratta l'oreille.

— C'était beau, dit-il.

— Ouais! On devrait s'entrainer, déclara Charline avec enthousiasme.

Le Fenrir opina d'un signe de tête puis rangea sa guitare. Sam parut soudain moins à l'aise. Elle se leva, regarda par la petite porte et ferma le rideau qui nous séparait du reste de la fête. Elle sortit une minuscule fiole qui contenait une drôle de fumée noire. L'espèce de vapeur colorée semblait vagabonder à sa guise dans le récipient. Le chat se mit à cracher. Alex parut suspicieux.

— Comment tu l'as eu?

— Par l'ancienne méthode, répondit-elle froidement en soutenant son regard.

— Mais qu'est ce que c'est, demandais-je?

Alex me répondit d'une voix grave.

— De la magie noire.

— Qui en veut, demanda Sam comme si elle proposait de la gomme à mâcher?

Personne ne répondit.

Elle ouvrit la petite fiole et respira un peu de la fumée. Ses iris devinrent noires et de petites veines de la même couleur apparurent sur ses tempes. Elle tendit la fiole à Alex sur un air de défi. Défi qu'il accepta. Puis il proposa à Tarib qui fut catégorique.

— Tarib déjà le plus fort. Moi pas besoin magie noire.

— On parit?

Alex lui proposa un bras de fer. Le biceps de Tarib faisait deux fois la taille du sien. Je ne me faisais pas d'illusion sur l'issus du match. Et pourtant, Alex, ou plutôt Alex noir, gagna haut la main.

Dans son coin, Lise semblait en proie à un dilemme intérieur. Se disputais-elle avec Choris? Puis elle se leva.

— Moi aussi j'en veux.

Charline leva le sourcil droit d'étonnement. Moi, j'étais outrée. Ils prenaient de la magie noire, une magie interdite et dangereuse, comme ça, comme si c'était un jeu.

Sam voulut me calmer.

— Détends toi, c'est marrant. ça décuple les pouvoirs, regarde ce que je peux faire.

Elle posa sa main sur ma joue.

Un flash m'éblouit. Puis s'en suivit une sensation de chaleur et un défilement d'images.

Je revis ma rencontre avec Sam et le sourire qui l'accompagnait, puis son déhanché dans la salle à manger chantant dans le manche à balai, suivit de la fois où elle m'avait défendu devant Dimitri, ensuite je vis son regard devant les troubadours du Tonneau Devin, puis l'éclat dans ses yeux quand je lui avais rendu sa veste, quand nous avions couru sous la pluie, lorsqu'elle s'était collée contre moi dans le lit. Je revis chacun de ses regards, chacun de ses sourires jusqu'à cet instant, à peine une heure plus tôt, où je l'avais admiré sautiller sur le chemin de la fête.

Elle retira sa main, parut d'abord surprise, un peu désorientée puis afficha un air flatté.

— Viens, dit-elle.

Elle bu son verre cul sec. Charline me fit un clin d'oeil. Je descendis mon verre à la même vitesse. Sam me prit par la main et m'emmena dehors sans que je n'ai le temps de comprendre.  

Emmerson école pour futurs Guerriers, Mages et DiplomatesWhere stories live. Discover now