Chapitre 16

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Holly

Mentir à Leo en lui disant que cet appel provenait de mon patron m'a brisé le cœur. Je déteste lui mentir, à vrai dire, je déteste mentir à quiconque. Mais ce qui m'a d'autant plus brisé le cœur a été de lui demander de m'attendre à l'appartement tandis que je devais régler une affaire urgente au Times. Je n'aurais de toute évidence pas lui révéler la vérité sur cette petite sortie nocturne. Il aurait sans doute été dans une rage folle puis aurait finalement décidé de me laisser plantée là après m'avoir hurlé dessus durant une bonne heure. Je fais ça pour le protéger. Pour nous protéger. Après tout, je ne fais rien de mal, je me contenterai de ramener Kerian jusqu'à son hôtel puis le laisserai à la porte de sa chambre. Et ce court moment marquera nos adieux. Après ce soir je n'aurais plus jamais à recroiser sa route. Après ce soir il retournera à Paris en oubliant cette rencontre inopinée.
  En traversant la rue menant au bar, j'ai tout le mal du monde à rester calme. Plus j'avance et plus je bouillonne de l'intérieur. C'est pas vrai, j'ai l'impression de me retrouver sept ans plus tôt, m'apprêtant à tracter son corps saoul jusqu'à chez lui. Ma gorge se noue à l'évocation de cette idée. Il ne faut pas que j'y pense. Les choses ont changées. Plus rien ne sera plus jamais pareil, tout est fini depuis bien longtemps entre Kerian et moi et il est hors de question que je ne laisse des chimères du passé flouter ma jugeote. Je ne dois pas repenser au passé, me contente du stricte minimum. Toutes ces bonnes résolutions s'avèrent plus dures que prévu à la seconde où je mets un pied dans le bar. Mon regard se pose instantanément sur un grand blond au comptoir. Ses cheveux rougis par la couleur des néons m'ancrent un peu plus dans un de ces stupides souvenirs. Tentant de garder mon calme, je fonds sur lui avant d'attraper la manche de sa veste en cuir.

— On y va.

  Mon grognement fait se retourner le grand blondinet dans ma direction. Son regard empli de tristesse me déchire le cœur. Ne craque pas, Holly. Il en est hors de question. C'est inenvisageable. Ses pupilles sont dilatées au possible et rougis, j'ignore si cette couleur provient de l'alcool ou bien des pleurs mais la vue de ses sublimes yeux verts désormais rougeâtres me fend le cœur. Je desserre mon étreinte sur son avant bras pour finalement glisser ma main dans la sienne, l'aidant à se relever. Le simple contact de sa chaire contre la mienne parvient à faire entrer une chaleur divine en moi. L'espace d'un instant, j'ai l'impression de respirer. Je veux dire respirer comme il n'en a jamais été question. Un souffle de vie semble me transpercer à la seconde même où ma menotte se glisse dans la sienne et je dois me faire violence pour ne pas lui sauter au cou pour le serrer dans mes bras à cet instant précis. Je ne peux ignorer la mine indescriptible de Kerian tandis que ce dernier a le regard rivé sur nos mains. Je peux reconnaître un mélange de joie, de peine, de colère et de mélancolie. C'est ce dernier sentiment qui semble cependant primer sur le reste.

— Je te ramène, Kerian.

  Plus nos mains restent collées et plus je me rends compte que toute once de colère semble avoir disparu de mon corps. Mon cœur ne cesse de bondir de ma poitrine, il semble battre plus fort que jamais, plus intensément, si bien que j'hésite un moment à m'asseoir pour reprendre mon souffle. Je dois une nouvelle fois me faire violence pour enfin tirer Kerian à l'extérieur du bar.

— Reste ici. Je vais chercher ma voiture.

  Ma voix est tremblante. Je suis ridicule. Et je dois bien rester plantée là, devant le bar, deux bonnes minutes avant de finalement trouver la force de séparer ma main de la sienne. Mon cœur se déchire à la seconde où nos chaires se quittent et une nouvelle fois, ma gorge se noue. Kerian ne me répond pas, il se contente d'un hochement de tête, le visage toujours baissé. Il se sent honteux. Je peux le sentir.
  Il me faut moins de cinq minutes pour aller chercher ma voiture et enfin faire monter Kerian. Ce dernier reste muet, mais ça ne me dérange étonnement pas. Comme si la simple présence de l'autre parvenait à combler un vide incommensurable. Je pourrai rester des heures au volant de cette voiture, observant le crâne de Kerian appuyé contre la vitre, le surprenant tandis qu'il me toise du regard, je pourrai passer des heures à écouter le simple battement de son cœur raisonnant dans l'habitacle si silencieux ainsi que sa respiration saccadée. En arrivant enfin devant l'hôtel, mon cœur se resserre à nouveau. Pourquoi est-ce que je n'ai aucune envie de le laisser ? Pourquoi est-ce que je n'y arrive pas ?

— Accompagne-moi. S'il te plaît.

  Encore une fois, il n'ose pas me regarder dans les yeux.

— D'accord.

  Il semble surpris de ma réponse. Moi aussi a vrai dire. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Je dois rentrer. Je dois prendre mes jambes à mon cou tout de suite pour rejoindre Leo à l'appartement. Il le faut, sinon je suis fichue. Sinon il aura de nouveau une emprise sur moi. C'est impossible qu'il l'ait encore. C'est impossible qu'elle persiste après toutes ces années. Pas après les barrières que je me suis forgée. Mais c'est finalement mes jambes qui me tirent à l'extérieur de la voiture. Le chemin jusqu'à la chambre de Kerian est tout aussi silencieux que la celui en voiture. Ça me rassure dans un sens. Peut-être qu'il se contentera de me dire bonne nuit sur le pas de la porte. Et là, tout sera fini.

— Tu... fais la gueule ? Se risque-t-il à murmure alors que nous montons dans l'ascenseur.

— Non. Pas du tout.

— J'ai l'impression que si.

  Sa voix est bien moins pâteuse qu'au téléphone. Il commence peut-être à cuver !

— Pourquoi est-ce que tu m'as appelé ?

— Je pensais que tu n'allais pas décrocher.

  Son excuse est autant ridicule qu'elle me fait marrer.

— C'est faux.

  Je déglutis.

— Quoi ?

  Il se plante face à moi, le regard toujours empli de tristesse et le corps tremblant. Si je n'étais pas dans un fichu ascenseur plus petit qu'un placard à balais je reculerai d'au moins un mètre.

— J'ai menti. Je voulais entendre ta voix... sur ton répondeur.

  Ma gorge se noue et mon estomac se resserre.

— Ma... voix ?

— Laisse tomber. C'est stupide.

  Il bondit à l'extérieur de l'ascenseur lorsque ce dernier arrive au neuvième étage et sans trop savoir pourquoi, mes jambes me portent jusqu'à lui. Fuis, Holly. Tu dois fuir. Tu dois t'en aller avant de faire une boulette que tu regretteras. Je ne parviens pas le moins du monde à écouter ma conscience et mon cœur saigne d'autant plus en le voyant tenter péniblement d'entrer la clé dans la serrure de la porte. Je me saisie de celle-ci pour le faire de sa place tout en tentant d'ignorer son souffle chaud parcourant ma nuque. Le sentir à moins de deux centimètres de moi m'effraye autant que ça me rassure.

— Ça ne l'est pas.

  Ses yeux s'écarquillent alors que je fais volte-face, me retrouvant ainsi face à lui, à moins de quelques centimètres. Cette proximité fait bondir mon cœur de ma poitrine.

— Entre dans la chambre Holly. S'il te plaît.

  Son murmure fait virevolter les papillons dans mon ventre. Ils semblent se fracasser si fort contre mon abdomen que, l'espace d'un instant, j'ai la vague impression qu'ils s'apprêtent à le traverser. Les effluves d'alcool émanant de sa bouche ne me dérange étrangement pas. Et contre toute attente, je capitule.

Soulmate - Tome 3Where stories live. Discover now