Soulmate - Tome 3

Chapitre 53

Kerian

En passant la porte de ma baraque, j'ai bien du mal à tenir debout. J'aurais sûrement dû refuser ce dernier verre de whisky. Mais après tout, après tout ceux que je m'étais enfilé avant, je n'étais certainement pas à un verre près !
Ma tentative de ne réveiller personne en rentrant ce matin aux alentours de huit heures échoue lorsque je me ramasse lamentablement sur la première marche de l'escalier. Ma chute ridicule me fait presque marrer, je suis ridicule, j'ai l'impression d'être encore cet abruti d'adolescent passant sa nuit dans les bras dans le but d'arrêter de penser, ne serait-ce que quelques instants, à Holly. Mais encore une fois, cette tentative semble avoir grossièrement échouée.

- Je vois que tu t'es décidé à te repointer.

La voix portante de Rachel attire mon regard jusqu'au sommet de l'escalier. Elle se tient là, postée sur la dernière marche, assise, les bras croisés et le visage renfrogné. Je sais pertinemment que je vais m'en prendre plein la gueule ; pour avoir manqué ce stupide repas du réveillon, pour avoir fait fuir Holly et pour m'être tapé cette petite pute de Luna.

- Il faut croire.

Un rire presque narquois sort de sa bouche. Ses cernes sont tirés et ses teint palot.

- J'ai essayé de la joindre toute la journée, elle ne répond pas, et tout ça...

- Je sais, c'est ma faute, c'est ma putain de faute, comme d'habitude.

- Et tu n'es pas venu hier soir, maman était affligée. Elle vient tout juste de s'endormir. Je suis restée éveillée toute la nuit pour réparer tes conneries, Kerian.

Son petit ton hautain m'agace au plus haut point. Je reconnais bien là la petite merdeuse qu'elle était au lycée. Elle ne m'avait pas manqué, cette Rachel ne m'avait pas manqué. Je n'en peut plus de son constant regard accusateur.

- Je monte me coucher, je grogne en me décidant enfin à monter ce foutu escalier.

Je comprends qu'Holly puisse m'en vouloir, je comprends que je puisse la dégoûter au plus haut point, mais se tirer sans rien dire était une attitude purement enfantine. Putain, je ne l'ai pas trompé à ce que je sache, elle et moi étions séparer à cette époque.

- Non. Parle-moi, Kerian. Pourquoi est-ce que tu as menti ? Pourquoi est-ce que tu ne peux pas t'en empêcher ?

Sa voix presque suppliante me fait cette fois de la peine.

- Je voulais juste éviter toute cette merde. Je voulais... éviter qu'elle découvre que j'étais endetté jusqu'au cou et que j'étais retombé dans mes travers.

A mesure que je tente de m'expliquer auprès de ma sœur, tout l'alcool contenu dans mon sang semble brusquement disparaître. Et ma lucidité se trouve à son apogée à la seconde ou je vois débarquer ma mère près de Rachel, enroulée dans une robe de chambre rose, les yeux rougis par les larmes et les mains tremblantes. Toute la souffrance contenu dans le regard de ma mère me donne enfin de régurgiter tout l'alcool contenu en moi.

- Je n'en peux plus de toutes ces histoires, Kerian, je suis épuisée, je suis à bout de force, sanglote-t-elle.

Putain, j'aurais dû être là, j'aurais dû prendre sur moi pour passer ce foutu réveillon avec eux, j'aurais dû me forcer à y assister. Qu'est-ce que je peux être égoïste, je n'ai pensé qu'à moi-même, je n'ai pensé qu'à ma souffrance personnelle en ignorant totalement celle des autres. Ma mère était tellement ravie de pouvoir passer ce réveillon avec moi, elle était si heureuse de pouvoir enfin se trouver attablée en compagnie de toute sa famille. Et moi, je n'ai pensé qu'à ma gueule.
Observant les mines abattues des deux femmes face à moi, j'ai bien du mal à retenir mes larmes. Ma gorge se noue d'autant plus à la seconde ou ma mère fond enfin en larmes dans les bras de ma cadette. Observant les jambes tremblantes de ma mère alors que cette dernière doit s'asseoir sur les marches dans le but de se calmer, je ne peux passer à côté de leur extrême maigreur. Pourquoi est-ce que je ne l'ai jamais remarqué ? Pourquoi est-ce que je n'ai jamais remarqué depuis mon retour que ma mère avait perdu tant de poids ? Tout ça par ma faute ? C'est évident !