35 | Fort Miséricordieux

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S'accrocher à son bras, avancer. Trébucher et se remettre en marche. Encore et toujours, il le fallait. Elle le ferait.

Ragnar l'accompagna sur la majeure partie du retour, seulement sa longue liste de visite n'était pas encore terminée. Elle le regarda donc s'éloigner vers la mer, et c'est le coeur lourd qu'elle continua sa route.
Les fleurs dans ses mains, la mission pour laquelle elle s'était aventurée jusqu'ici, plus rien n'avait eu d'importance à l'instant même où elle avait compris. Son père avait vécu ici.
Il avait aimé ces sauvages. Il les avait choisi.
Il avait fallu un homme, un seul pour que sa paix soit à jamais renversée.

Floki avait tué son père.
Un jour elle se vengerait.

Ragnar avait choisi une autre voie, respectant ainsi les vœux de son père, seulement Edith ne l'avait pas connu. Elle ne pouvait prétendre être aussi bonne et juste que lui. Elle était seulement une femme, une fille. Ainsi, elle agirait comme telle.

Son escapade l'avait surprise et c'est au rythme du soleil couchant qu'elle se dirigea vers sa maison. Sa maison.

Était-ce réellement à cela dont elle devrait se référer ? Pourrait-elle un jour se sentir chez elle ici ? Aurait-elle un jour une raison de rester ici plutôt qu'ailleurs ? Un jour les choisirait-elle ?

La tête embrumée par cette charge émotionnelle bien trop lourde à porter, Edith ne prit pas la peine de s'annoncer. Amorçant son entrée, elle fut surprise par la lueur qui brillait à l'intérieur du lieu. Des chandelles scintillaient, un feu ronflait. La pièce était calme. C'est en cherchant Margrethe, qu'elle les aperçut. Enlacés, la viking exaltait.
« Je suis là », lui disait l'homme, « toujours ».
S'éloignant un instant pour mieux se retrouver, elle observa Margrethe apposer délicatement ses lèvres sur les siennes, soucieuse de ne pas l'étouffer. Seulement, Edith, elle, en eut le souffle coupé. Cherchant à tâtons la porte derrière elle, elle s'élança dans la ville. Marcher, s'éloigner pour enfin respirer.

Partir, courir, recommencer.
Revenir, demander, satisfaire.

L'air frais de la soirée s'annonçait, et c'est aux bords de l'eau qu'Edith trouva son repos. Pourquoi avait-elle si mal ? Comment pouvait-il lui rester des larmes, à elle qui avait tant pleuré ? Lassée de cette journée, de sa situation, elle se haï d'avoir ne serait-ce qu'une seconde pensée se trouver ici chez elle. Peut importe ce qu'elle avait cru être, il n'en était rien. Elle était ici, seule.

La bienveillance de Ragnar qu'elle voyait sincère, elle seule demeurait en elle. Elle l'appréciait, cela était indéniable. Et cela, elle se l'autorisait. Ragnar était différent. Instruit et bon, il l'avait aidé.

Pour le reste il en était terminé.
Elle en avait assez de se sentir utilisée, laissée au bon vouloir de ceux qui humblement s'intéressait à elle. Plaire pour survivre.
Plaire pour satisfaire. Plaire pour contenter un ego insatiable, voilà ce qu'il en était.
Plus jamais elle n'agirait de la sorte.
Elle en avait assez de rencontrer chez elle, et d'être contrainte à observer Margrethe en compagnie d'hommes. Ne devaient-elle pas vivre ensemble ? Ne devaient-elles pas cohabiter ? Ne devrait-elle pas au moins la prévenir afin qu'elle cesse d'assister à ces scènes ?

Ivar avait raison. Ici, Edith n'était rien.
Elle se sentait idiote et en colère.
La tristesse n'était plus.

Séchant rageusement ses yeux encore humides, Edith su ce qu'il lui restait à faire. Réajustant sa robe, et pinçant ses joues elle se dirigea là où on l'attendait. Rentrant par la porte dérobée des cuisines, Edith se mit à la tâche.

Rassemblant ustensiles et huiles, elle commença sa préparation. En soit, il ne s'agissait que d'un simple mélange aromatique. Le plus difficile serait sans doute de définir avec exactitude les mesures. Pour cela, Edith décida de suivre son instinct.
Au pire, se dit-elle, que pourrait-il arriver de pire ?

𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌 Where stories live. Discover now