𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌

58 | Le désossé

Maudit Ivar.

Maudit soit donc son égoïsme, son désir impérieux de voir devenir sien ce qui lui résiste. Maudis sois sa malice et son intelligence. Edith lui avait accordé sa plus complète confiance. Elle avait cru apprendre à déceler l'homme derrière l'enfant, celui qui malgré les apparences, n'était pas un monstre. Mais quand était-il désormais ? Est-il réellement celui qu'elle pensait ? La nuit suivant sa rencontre avec les deux frères, avait été courte. Margrethe l'avait tenue éveillée des heures durant, exposant à tour de rôle une succession de plan pour trouver une solution. Une solution lui permettant d'être heureuse. Elles avaient alors retourné la situation sous toutes ses coutures, forcées de constater leur impuissance. Nous ne pouvions défaire une promesse, une fois que les mots étaient dits il revenait de l'honneur d'un homme de les respecter. Et ceux, jusqu'à ce que leur sens soit réalisé : peu importe ce que cela demanderait. Bien joué, encore une fois Ivar avait mené son jeu avec brio. Si cette situation ne la touchait pas directement, Edith aurait pu féliciter son génie ; jouer sur la prévisibilité et l'impulsivité d'un garçon pour lui retirer la femme, objet de toute sa convoitise. Seulement, l'avait-il fait pour se distinguer de son frère aîné ? Pour le torturer gratuitement ? Ou bien, l'avait-il fait pour des raisons plus nobles et plus justes ? L'avait-il fait pour elle ? Non, cela n'avait sûrement rien à voir avec cela. Ivar n'agissait pas par amour : seulement par stratégie.

Les jours s'étaient donc étirés en se ressemblant. L'organisation du mariage occupait à tous une grande partie de leur journée. Même les garçons finirent par se joindre à elles, élaborant à leur tour des listes interminables d'invités. Des jarls furent évoqués, tandis que d'autres, plus modestes, se rejoignaient lentement à eux. La vie se déroulait dans une sorte de semi-réalité, où chacun espérait retrouver sa place. Lagertha réorganisa la police défensive de la ville. S'étant emparée de Kattegat depuis quelques temps maintenant, la nouvelle s'était répandue sur les terres environnantes. Bientôt, tous les peuples bordant la côte seraient au courant. Tous souhaiteraient alors menacer leurs frontières. La reine ne pouvait plus rien laisser au hasard : elle devait protéger son peuple. Après tout, ces gens avaient toujours été les siens. Les choses avaient enfin fini par retrouver leur cours naturel. Tout allait bien. Du moins, jusqu'à ce que les cloches se mettent à sonner.

La journée ne semblait pourtant pas bien différente. Il ne devait pas être plus tard que midi, lorsque l'agitation commença à se répandre comme une traînée de poudre. Un vaisseau apparaissait à l'horizon. Des murmures soupçonnaient – redoutaient, plutôt – la venue d'un jarl orgueilleux, tandis que d'autres, plus prudents, espéraient y trouver les ressources d'un marchand. En femme sage, Lagertha décida de déléguer un convoi sur les côtes afin de reconnaître leur bannière. En apprenant la nouvelle, Margrethe avait à peine levé la tête de son ouvrage. Bien trop occupée à tisser un nouveau châle, elle se contenta de murmurer comme beaucoup d'autres, « Un marchand sûrement », avant de continuer sa tâche. Pourtant, dès lors que le messager les avait laissés, Margrethe lui avait jeté un regard entendu, un léger rictus sur ses lèvres. Un sourire toutefois si discret, qu'elle crut l'avoir rêvé. Edith lui répondit alors de la manière la plus douce qui soit, « J'espère qu'il s'agit seulement de cela ». Si des revenants venaient à retrouver leur terre, ils devraient affronter son tonnerre. Aussi, était-il mieux pour tous, qu'ils continuèrent de piller quelques temps.

La journée aurait dû se dérouler dans cette énergie si douce, où nul ne se doute du mal à venir. Pourtant, lorsque les cloches sonnèrent trois coups, le doute n'était plus permis.

— Ils sont de retour !, leur apprit une vieille femme, le coeur en joie.

    — Ils sont de retour, se répéta Edith afin d'y croire, ils sont de retour.