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Edith n'avait jamais eu le pied marin. Les larges étendues d'eau qui s'étendaient à perte de vue l'effrayaient plus qu'on ne pouvait l'imaginer. Aussi, était-elle restée le plus longtemps possible éloignée de la mer, indomptable et sauvage. Peut-être était-ce le départ en lui-même qui l'avait toujours terrifié, l'idée de partir sans avoir la garantie de revenir un jour. La fille n'avait pris la mer qu'une seule fois. Le bateau l'avait alors menée jusqu'ici et jamais elle ne s'y était reprise.
Lorsqu'après deux nuits de sommeil obtenues ici et là ils arrivent enfin en bordure de la côte, la vue des bateaux qui les attendent lui glacent le sang. Il était tout simplement impensable qu'elle puisse un jour remettre sa vie entre leurs planches. À la moindre bourrasque de vent, ces chevaux de bois iraient s'écraser sur les rochers. C'était donc humainement impossible : ses pieds sont scellés dans le sable. Elle, qui s'était laissée guider en silence jusqu'à présent, commence à s'agiter.
L'homme qui tient la corde reliant ses poignets doit la tirer plusieurs fois avant qu'elle ne se décide à laisser échapper un « Nei » [non]. Croyant avoir malentendu, l'homme continue de la sorte avant de s'avancer, menaçant. Il va sans doute me frapper, se dit-elle afin de se préparer, c'est le moment. À sa plus grande surprise – jusqu'à présent – nul ne l'avait touché. Insultée ? Oui, bien sûr. Mais elle n'avait pas réellement souffert. Physiquement, du moins, elle va bien. Ses poignets la font souffrir, certes : la corde lui ayant lacéré la peau. Mais à part ça, la fille va bien. En apparence – si l'on fait abstention de l'incommensurable quantité de sang dont elle est souillée et de l'ex humide qui encercle son œil gauche – elle semble présentable.
Autour d'eux, les autres s'affairent à répartir sur leurs bateaux les quelques précieux biens qu'ils sont parvenus à rafler. Bientôt, ils devraient tous embarquer. Si elle souhaite tenter quelque chose, cela ne devrait plus tarder.
Son gardien est fatigué de devoir veiller sur elle, il l'aurait préféré morte qu'attachée. Des femmes, ils en avaient assez de l'autre côté de la mer alors pourquoi vouloir ramener une païenne ? Enfin, Raegan n'était personne pour prétendre comprendre les désirs d'un roi, encore moins pour les remettre en question. S'il voulait la gamine, qu'il la garde. Lui, il les aimait plus vieilles, plus fortes. La fille semblait trop faible. Si beaucoup aimaient leurs femmes dociles, lui aimait les sentir vivantes et fougueuses. La Païenne paraissait morte.Autant essayer de faire l'amour à un cadavre.
Ainsi Reagan se moque qu'elle devienne une esclave ou la troisième femme d'un roi tant qu'il peut recevoir en échange sa partie d'or et de rubis.
— Avansere [Avance].
Même si la fille ne tire pas suffisamment fort pour l'énerver, l'homme commence à perdre sérieusement patience. Voilà plus de six semaines qu'il dort d'un sommeil agité en territoire ennemi ; il a mal au corps et à l'esprit. Lui aussi aimerait connaître sa part de tranquillité. Il a bien essayé de transférer la surveillance de la fille à un autre, mais celui-ci avait refusé une telle responsabilité : il ne voulait pas être le sujet de la colère de Ragnar si quelque chose venait à lui arriver.
