𝟦. 𝘚𝘵𝘰𝘭𝘦𝘯 𝘓𝘶𝘭𝘭𝘢𝘣𝘺𝘦

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Édith avait connu le manque, la douleur aussi

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Édith avait connu le manque, la douleur aussi. Bien des fois, elle avait pensé qu'il s'agissait de la dernière fois ; que la prochaine émotion l'engloutirait et qu'elle la laisserait l'emmener. Pourtant, jamais elle n'avait jamais connu ce vide. Ce vide qui suit la perte et qui nous fait douter d'être entière. Est-ce de cette façon que l'on survit ?

Enfant, il lui arrivait de s'asseoir pendant des heures là où personne ne pouvait la trouver. Parfois, elle pouvait même entendre des voix si elle se concentrait suffisamment. Elle entendait celles qui venaient de dehors, d'ailleurs. Certaines criaient, tandis que d'autres, chuchotaient. Ces voix la surprenaient toujours. Les années étaient passées sans que cette habitude ne vienne à cesser. La fille avait continué à s'isoler du monde pour lui survivre et c'est ainsi qu'elle avait compris. Un jour, ces voix mouraient aussi.

Jeune fille, Édith s'était endurcie. Quelque chose en elle était brisée, usée. Comme si son corps avait vécu un millier de vies avant de lui revenir. Les humiliations avaient commencé et la fille avait appris. Édith avait appris à ne rien ressentir ; à tendre l'autre joue. Nous avions détruit sa colère et éteins sa rage. À quoi bon combattre si nous n'avons rien à défendre ? Édith s'était laissée tomber. Elle survivait. On avait dénaturé sa peine pour qu'il n'en reste rien. Son père était mort avant qu'elle ne soit née, pourquoi devrait-elle le pleurer ? Sa mère l'avait abandonnée et on l'avait méprisé pour ses péchés : c'était à elle de se racheter. Une vie pour une vie. Édith n'avait qu'à sacrifier la sienne.

« La rancœur est l'ennemie de la vie », l'avait-on sermonnée, « l'humain est bon et miséricordieux » ; tant de choses parfaitement inutiles qu'on lui avait répété encore et encore. Peut-être qu'à force, ils espéraient qu'elle les tiendrait pour vrai. Malheureusement, en dépit de leurs efforts, Édith ne s'était jamais séparée de ses démons. Cela lui était impossible, sa rage assoupie guettait son retour. Édith avait simplement appris à les tenir en laisse. Et que se passerait-il le jour où elle se déciderait à leur lâcher du lest ?

Les hommes étaient partis et désormais, il ne restait plus qu'eux ; ces fantômes à la mine grise dont le corps a pris le dessus sur l'esprit. Édith ne s'était pas effondrée. Aucune de ses larmes n'avait coulé : il ne lui en restait plus. Elle était restée sur la place, longtemps. Elle était restée jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Enfin, elle avait fini par rebrousser chemin. La vie avait repris et les autres filles du couvent avaient quitté leurs lits. De nombreux regards se posèrent sur elle, aucun qu'elle ne prit la peine de retourner. Cela n'a plus d'importance, qu'elles la regarde donc. Qu'elles la regardent tomber.

La nuit suivante, elle ne put fermer l'œil. Ni cette nuit, ni celle d'après. Elle ne dormit pas plus qu'elle ne quitta sa chambre. Étonnamment, personne n'y trouva rien à redire. Elle mangeait ce qu'on lui apportait et cela semblait leur suffire. Après tout, ils étaient seulement payés pour la maintenir en vie.

𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌 Where stories live. Discover now