52 | Début de la Fin

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      Chaussant ses bottes, réajustant sa corde, Ivar était prêt. Aujourd'hui était le jour.
Il avait fait ses adieux à la terre. Plus rien ne le retenait ici, il avait tout à faire là-bas.
Glissant hors de sa chambre avant que ne perlent les premiers rayons du soleil, il emprunta la route qu'il connaissait déjà si bien.
Sortir du village, avancer. Se battre dans le froid, la boue. Tout ça pour revoir ce qui l'avait forgé. Ce qui l'avait laissé vivre.

Il s'y rendait déjà enfant, lorsque l'attention de sa mère - d'origine vigoureuse - faiblissait. Floki lui avait montré l'endroit.
Les négociations n'avaient pas été faciles et à force de persuasion, Ivar finit par avoir gain de cause, comme toujours. Il avait toujours sut comment manier les mots afin de les transformer en armes. Sa mère n'avait jamais connu cette habitude et sans doute ne la connaîtrait-elle jamais. Il s'agissait de son histoire, de son secret. Ivar s'en était d'abord senti honteux, minable. Désormais, s'y rendre s'avérait cathartique : il y passait des longues heures à réfléchir, à se canaliser. Le garçon s'y était toujours rendu seul. Il se plaisait à dire que personne n'avait pu le suivre tant il était discret, plutôt que de s'avouer la vérité : personne ne l'avait jamais suivi, personne n'avait jamais essayé, personne ne s'en souciait. L'infirme pouvait bien passer son temps exclu du monde. Après tout, même lorsqu'il était parmi eux, n'était-il déjà pas à l'écart ?

Le bruissement des feuilles, la morsure du froid, étrangement l'homme qui ne pouvait pas marcher s'était toujours senti plus à l'aise sur la terre. Les relents de la mer le rendait nauséeux et irritable, du moins légèrement plus qu'il ne l'avait toujours été. Préférant se tenir le plus longtemps possible loin des embarcations, il devrait bientôt remédier à cela. « Ces choses-là se contrôlent », se répétait-il en boucle en essayant en vain de se convaincre. Pour l'instant du moins, la mer devrait l'attendre. Aujourd'hui, il avait des choses à faire, des dernières affaires à régler. Il se devait de pouvoir partir en paix.

« Tu te noieras » lui avait prédit sa mère, « je l'ai vu » l'avait-elle assuré.
Helvítis [Merde], qu'est-ce qu'Ivar pouvait bien détester la mer. Bien que cette mort n'avait rien de reluisante, elle restait préférable à une longue vie remplie de pitié et de condescendance. Au moins, même dans la mort, il resterait maître de son destin. À défaut de combattre les hommes, il combattrait les Dieux. L'occasion qu'il avait toujours attendue était enfin arrivée : pour rien au monde, il ne la laisserait lui filer entre les doigts. Suivre son père avait été sa première décision d'homme, sa première décision en ayant connaissance des risques. Ivar avait déjà bien vécu, lui, qui aurait dû mourir dans ces bois. Le reste n'avait été que du bonus.

     Les lieux étaient toujours restés les mêmes, seul lui semblait avoir changé. Plus grand, plus fort près du ruisseau où on l'avait déposé.
N'ayant aperçu des loups qu'un infime nombre de fois, le garçon se demandait souvent si ce jour-là certains seraient venus à sa rencontre. Peut-être que ses cris les auraient appelés, peut-être que ses larmes auraient guidé leurs pas. Combien de temps, alors, leur aurait-il fallu ? Combien de temps en plus avant que sa mère ne vienne le trouver ? Ivar avait été sauvé grâce à la volonté de sa mère. Souvent, il estimait avoir été sauvé pour elle. Elle qui n'aurait pu vivre avec la mort de son fils sur sa conscience, elle qui aurait tous les remords. « Le désossé », était son armure. Un des quelques cadeaux laissés par son père. Son nom, il le tenait de lui, le plus grand jarl que la terre ait porté. Lui aussi nommerait son fils, lui aussi serait un jour le Jarl dont tous se rappellent. Voilà quel était son destin, Ivar en était sûr.

La plus haute pierre du flanc était sa place. Une fois franchise, Ivar y présidait en roi, en Dieu. Nul ne venait troubler ses frontières, enfin ses murailles s'affaissaient. Enfant, il redevenait. Toujours seul, du moins jusqu'à ce jour. L'infirme n'était pas sûr qu'elle viendrait, encore moins qu'elle s'avancerait. La fille était néanmoins sortie des feuillages, les joues rougies, picotées par l'hiver.

𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant