53 | Une histoire d'amour

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' Pour chacune de ses larmes,
il eut bien donné un verre de son sang "

Les hommes partent à la guerre, les femmes le peuvent aussi. Côtes à côtes, allongés dans la même boue, maculés du même sang, ils meurent ensemble. Leurs derniers souffles secouent l'ensemble de la terre de leur tombeau éternel, en guidant les épées et sifflants les corps comme un dernier cadeau leur étant accordé par les Dieux. Leurs routes commencent et terminent en un même point : le leur. Guerriers et guerrières s'accordent dans un même but, dans une même destinée. D'autres, sentant la leur reliée à celle d'un autre se retrouvent contraints à le voir s'éloigner, avant de disparaître. Leur destin n'ayant qu'une moindre importance face à la volonté de ces Dieux possessifs qui les ramènent capricieusement à eux. Parfois, nous n'avons pas d'autre choix que celui de dire aurevoir.

Dissimulée dans cette marée de corps agglutinés sur la rive, Edith observait les derniers hommes se glisser à leur place. La mer, devenue écorce, secouait de toute sa force ses jouets de bois. "Jamais ils ne tiendront le temps du voyage", s'était-elle scandalisée la première fois qu'elle en avait vu. Pourtant, ces hommes l'avaient ramené, saine et sauve, même si d'autres avaient péri. Était-ce dû au destin ou au hasard ? Aujourd'hui, cela n'avait plus d'importance ; sa place était ici.
Margrethe tira un morceau de sa robe pour attirer son attention, "Par là-bas" était-elle parvenue à lire sur ses lèvres. La suivant docilement, Edith aperçu du coin de l'œil des amants, des familles se disant adieu.
Souvent larmoyants, le plus dur était les enfants. Les plus petits ne comprenaient sans doute pas qu'il s'agissait pour la plupart de la dernière fois où il verrait papa et maman.
Les plus grands, ceux en âge de comprendre, étaient rassurés par l'honneur que leurs parents leur avait insufflé.
"Nous sommes nés pour ça", justifiait nombre de ces départs. Une habitude pouvant servir à justifier un nombre inconsidéré de mort, un nombre inconsidéré de peine. Cet engagement perpétuel dans l'effort de guerre, jouait le rôle d'un héritage immémorial qui se répandait inlassablement malgré les genres, les âges et les classes. Face à la mort, chacun pouvait servir. Lorsqu'elle rencontrait le regard d'un enfant, Edith préférait détourner les yeux.

     "Ils sont là", donnant des coups d'épaules pour parvenir jusqu'à eux, Edith resta en retrait tandis que Margrethe les laissait partir. Commençant par Björn, qu'elle salua sobrement d'un "Bon voyage", elle se tourna vers Hvitserk. La constatant moins timide qu'elle ne l'avait été jusqu'à présent, Edith se rappela méchamment qu'il s'agissait d'une réaction normale au regard du nombre de fois où elle avait partagé sa couche. Le serrant vivement dans sa bras, ils ne se séparèrent qu'après un temps interminable. Prenant son visage dans ses mains, le garçon lui parla si doucement que les mots qu'il prononça lui restèrent étrangers. Toutefois, en se détournant de lui avant de la rejoindre, un léger sourire était apparu. Signe que, s'il avait souhaité la réconforter, cela avait du marcher. Lorsqu'elle ne fut plus qu'à un pied de la Saxonne, une voix lui demanda sombrement,

          —     Pas de bonne chance pour moi ? Ivar, assit derrière Ubbe, ne pouvait rester discret. Il devait faire remarquer ce genre de chose, préférant les confrontations pures plutôt que l'indifférence facile.

Le visage livide - sans doute à cause de ses mauvais souvenirs en sa compagnie - Margrethe s'était liquéfiée sur place. Jetant des regards apeurés aux hommes l'entourant, aucuns ne pris le soin d'intervenir : répondre à Ivar était prendre le risque de participer à une joute verbale à laquelle aucun ne souhaitait assister.

          —     Tu n'en as pas besoin, dépassant Margrethe - en attrapant furtivement sa main au passage, en signe de soutient - Edith vint se placer devant lui. Chacun crée sa propre chance.

𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌 Where stories live. Discover now