51 | Profane

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« Le martyr acheva
son chemin sur la plaine.
     – Où vas-tu l'ami ? »

     Un coeur aux multiples corps.
La nuit était tombée sur eux de sa noirceur la plus intense. Le vent, lui, avait déserté les lieux. Les saisons semblaient quant à elles suspendues, tenues en respect par le peuple les défiants. Les lieux n'avaient jamais paru aussi hostiles, barbares. Jamais, ils ne lui semblèrent aussi fiévreux. Des lueurs brûlantes s'échappaient des quelques barrières lumineuses qui commençaient à apparaître. Repoussant l'hiver de leurs lanternes, les mortels se présentaient aux ténèbres.

   La procession s'était rassemblée lentement au son des cornes et des chants. Quittant leurs postes et leurs occupations, tous se joignirent à l'appel. D'une seule et même voix, ils feraient se dresser les Dieux. Hommes, femmes, enfants et vieillards : nul ne manqua à l'appel. Marchant aveuglément jusqu'au rassemblement le plus proche, les bourdonnements n'en furent que plus forts.
Aucune distinction ne se frayait un chemin dans la foule, esclave et marchands avançant côte à côte au rythme de cette procession profane. Édith ne tarda pas à les rejoindre. Calquant son pas sur celui de Margrethe, elles attendirent. Une odeur d'encens se répandait entre la foule, brouillant les esprits et réchauffant les cœurs. La musique se fit plus hurlante, couvrant les chants et les balbutiements. Lorsque son esprit menaça de la trahir, ils apparurent enfin.

       Un homme, un seul, franchit la porte du Skali, devant lequel tous attendaient. La Chrétienne aurait pu jurer ne l'avoir jamais vu, et cela, malgré les couleurs qui recouvraient ses traits. Même si l'homme avait croisé sa route, il lui aurait été - de toute façon - impossible à reconnaître : recouvert de peinture noire et rouge, il était méconnaissable. Séparant la mer de corps comme l'aurait fait Moïse, le démon laissa découvrir une rangée de piques.
Forçant son regard, des formes rejaillirent de leurs sommets. Des crânes en ornaient leur sommet. Esquissant un geste de recul, l'Étrangère fut contrainte de s'avancer lorsque la main de Margrethe se glissa dans son dos.

     —     Tu ne peux pas reculer, se rappela-t-elle. Toi aussi, tu as une mission à accomplir.

Elles avancèrent à leurs tours, pressées par l'urgence. Les battements de son corps désormais logés entre ses tempes, accompagnèrent ses prières. Les mêmes hommes aperçus la vieille - ces « étrangers » - se placèrent en face de cette rangée funeste. Marmonnant des paroles incultes, Édith s'en trouva fascinée. Peut-être était-ce dû à l'encens ou bien à la chaleur infernale, seulement la Saxonne s'extirpait de son corps. Flottant au-dessus de l'enveloppe qui fut autrefois la sienne, Édith était partie. Édith n'était plus, Édith n'avait jamais été.

     Ils ne tardèrent pas à les rejoindre à leurs tours. Au-delà de la noirceur, la femme les reconnu à la lueur des flammes. Placés derrière une prêtresse écarlate, ils ouvrèrent la procession. Le regard fermement plongé dans le lointain, eux aussi n'étaient plus. Les Dieux étaient avec eux. Ils pouvaient presque sentir leurs souffles sur leur peau, leurs voix parmi les leurs. Leur mère, une lame dans la main, se dirigeait vers l'estrade. Elle protégerait ses fils, elle protégerait les siens. Elle ferait ce qu'elle avait à faire, et cela, peu importe le prix qu'il y aurait à payer. Aslaug était prête, elle était née pour cela Les Dieux lui avait parlé.

     L'animal fut traîné sur l'estrade. Deux hommes le présentèrent au peuple : il l'acceptait, le sacrifice pouvait commencer.
Le suspendant sans grand mal, Aslaug n'eut plus qu'à préparer la lame. L'enveloppant de paroles protectrices, ils l'acclamèrent. Sentant l'arme peser dans son poing, la reine pouvait sentir sa puissance s'en échapper. Le reste sembla irréel, comme diminué par les effets d'une forte fièvre. Pourtant. Édith s'en rappellerait chaque nuit pendant des semaines.
L'éclat du poignard se reflétant au travers de ses yeux, lorsque la reine l'enfonça dans la gorge de l'animal. Une giclée rougeâtre ressortie de la blessure, tandis que l'animal, vaincu, continuait de se débattre.

𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌 Where stories live. Discover now