Chapitre 2

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Je n'ai pas fermé la fenêtre, hier soir. En temps normal, cela m'aurait fait peur mais puisque mon appartement est au dernier étage, le balcon n'est accessible que par celui d'en face, qui semble inhabité. Je me suis endormie sur le canapé, le manche de ma Fender dangereusement posé en équilibre sur ma jambe. La même brise, légèrement plus fraîche que la veille, me caresse la joue. Il est tôt et le soleil vient à peine de se lever.
Je pars tout de suite m'habiller. J'avais rapidement analysé les vêtements des employés du disquaire, et j'en ai déduis que je pouvais me permettre une tenue de mon style habituel.
J'enfile donc un jean noir assez large, un t-shirt des Doors ainsi qu'une veste en cuir, mi-longue. Et mes éternelles converses beiges, trouées de partout et recollées à la Shoe-Goo. J'enfile mes pendentifs en pierre (œil de tigre et citrine, pour être protégée au maximum pour ce nouveau départ), ainsi que cinq ou six bagues.
Je m'aventure dans la ville encore endormie, dans l'espoir de m'acheter un petit-déjeuner dans un coin de rue. Alors que j'erre, perdue dans mes pensée, la même mélodie que la veille me revient dans les oreilles:
-Loro non sanno di che parlo
Voi siete sporchi, fra', di fango
Giallo di siga fra le dita
Io con la siga camminando
Scusami, ma ci credo tanto
Che posso fare questo salto
E anche se la strada è in salita
Per questo ora mi sto allenando...
Je connais cette chanson. En tant que fan de rock, ne pas la connaître serait un blasphème. Je connais Måneskin depuis 2018 environ, je les avais vu en concert ici même avec mon père. Les paroles sont murmurées, si bien que je peux juste en déduire que c'est un homme qui chantonne. Intriguée, je tourne la tête, mais rien.
Je l'achète des cannoli, et un cappuccino que je savoure avant de rentrer chez le disquaire.
- Anna, je présume ?
Je reconnais le patron, Luca, si je me rappelle bien.
- Tout à fait !
- Super, tu es pile à l'heure. Moi, c'est Luca. Je suis le boss, mais je crois que je suis plutôt sympa. Ahahah ! J'espère que tu vas te plaire, ici.
Il m'a l'air très jovial, et sa bonne humeur est contagieuse. Je sens que je vais effectivement me plaire ici.
- D'ailleurs, on vient de recevoir un arrivage de vinyles. Ils sont dans la réserve, tu pourrais aller les mettre en rayon ?
- Pas de soucis, je m'en occupe !
C'est ainsi que je passais l'heure suivante à ranger des cartons.
- T'as fini ? m'interroge Luca
-Oui, super ! J'espère que ça vous convient.
- Oh, tu peux me tutoyer tu sais. Mais sinon, j'ai cru voir dans ton CV que tu faisais de la photo. Je réfléchissais à refaire le site du magasin, alors est-ce que tu crois que tu pourrais en prendre quelques une ?
- Pas de soucis, je ramènerais mon appareil demain ! répondis-je
- Topissimo. Oh, tiens. Voilà Esther, ma nièce. Elle travaille ici à temps partiel.
Une jeune fille aux longs cheveux noirs apparaît devant moi. Ses yeux sont soulignés d'un khôl profond, comme les miens. Elle me tend la main :
- Enchantée ! Esther.
- Anna !
- Tu viens d'arriver, n'est-ce pas ? Si t'aimes le rock, on peut direct être amie.
- Mais figure toi que j'en suis fan, c'est pourquoi j'ai postulé ici.
Puis nous nous dirigeâmes vers la réserve, ou de nouveaux cartons de CD cette fois ci étaient arrivés. Nous discutâmes toute la matinée, de musique principalement, comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Elle me demanda pourquoi j'étais seule ici : la vérité était que mes parents ne se souciaient pas de moi. J'ai été un fardeau pour eux toute mon enfance, et en me donnant de l'argent à ma majorité, ils espéraient me revoir le moins possible. C'est triste, mais je ne suis pas plus attachée à eux que ça et cela me permet de vivre ma vie comme je l'entend. La seule chose qu'ils ont bien faite, c'est de me faire découvrir l'Italie. Être une enfant non désirée n'est pas chose facile à vivre, mais je n'avais pas le choix et j'ai préféré m'y faire.
- Bon, les filles, je me tire, nous glissa Luca. Les billets sont sur la table, Esther, si ça vous intéresse.
- Super idée ! Mon frère est meilleur ami avec Thomas, de Måneskin. Sachant qu'il s'entend aussi très bien avec Luca, il nous obtient des places parfois. Ça te dirais d'y aller ce soir ?me proposa t-elle. On pourrait mieux faire connaissance.
- Évidemment ! J'adore leur groupe, il est vraiment trop cool. Du rock comme ça, on en entend plus beaucoup.
- Alors c'est vendu. Rendez vous à 20h devant la boutique. Je dois y aller, à plus !
Luca revint sur cet entrefait.
- C'est déjà la pause. Je peux t'accorder une demi heure de plus si tu retournes chercher ton appareil photo.
- Pas de soucis ! J'y vais.
Je fis un rapide aller-retour, mais sans entendre la mélodie de ce matin et de la veille.
Une fois revenue, j'ai directement commencé ma mission. J'enchaîne les clichés, dans tous les coins du magasin.
Luca était ravi du résultat.
A 18h, je pris le chemin du retour, tout en pensant au concert de ce soir.
J'hésitais quand à ma tenue : je choisis le même pantalon qu'aujourd'hui, mais agrémenté cette fois si d'une sorte de top/corset marron. Du crayon et du fard noir sous les yeux, quelques bijoux et mes cheveux volumineux détachée avec ma frange rideau.
J'eus l'idée de prendre mon appareil photo, c'était une bonne idée.
A 20h pile, j'étais sur le lieu de rendez vous. Esther arriva à peine une minute après. Je pensais que le concert aurait lieu dans une grande salle de spectacle, mais au lieu de cela, elle m'emmena dans des rues de plus en plus tortueuses, jusqu'à arriver à l'entrée d'un petit bar.
L'intérieur était bondé, et je remarquai une scène dans le fond. C'était étonnant comme cadre, le groupe a tout de même une certaine renommée, je ne l'imaginais plus jouer dans des lieux comme ceux-ci.
Esther me saisis le bras et m'emmena vers cette scène, avant de pénétrer par une petite porte dans ce qui me semblait être les coulisses.
Un blond, une guitare à la main, fis un grand sourire et se dirigea vers Esther et moi.
-Thomas! Ça fait super longtemps.
- Carrément. Qui me présentes tu ce soir ?
-C'est Anna. Elle est française, et travaille à la boutique.
- Salut Anna ! me dit-il. Tu te plais ici ?
Je n'en revenais pas. C'était donc si facile de rencontrer des rockstars ?
- Genial ! Tout se passe au mieux. Mon job est super, lui répondis-je, en essayant de rester naturelle.
- C'est vraiment cool. Bon, je dois y aller, ça va commencer. On se voit à la fin du concert, nous salua t-il.
- Eh, répliqua Esther, Anna a un appareil photo. Ça pourrait être sympa de s'en faire quelques unes?
- Mais grave ! C'est un argentique ? me questionna Thomas.
- Tout à fait.
- Ça c'est trop cool. Ça plaira à Damiano. Hésite pas à en prendre pendant le concert, ça serait vachement sympa !
Puis il disparu.
Nous nous dirigeâmes donc vers la scène, ou tout se mettait en place.
Pendant l'attente, Esther me parla un peu du groupe :
- Victoria est un ange. Elle est super gentille, vraiment. Elle te plaira, j'en suis sure. Thomas, tu l'as déjà rencontré : un mec top. Ethan est un peu plus timide, mais super chouette comme type aussi. Damiano, ça dépend des moments : la plupart du temps, il est comme les autres, mais un peu mystérieux par moments : il est impossible à cerner. Mais il est quand même super sympa. Je te les présente juste après !
Soudain, les lumières s'éteignirent. La foule manifesta son contentement dans un brouhaha mêlé d'applaudissements, suivi d'un bruit de baguettes sur la batterie et le début d'une chansons .
Le concert était fantastique. L'énergie qui émanait de Damiano et des autres était transcendante : la foule, une centaine de personne environ, se laissait complètement emporter.
Damiano était fabuleux, encore plus beau qu'en photo. Il était torse nu, dévoilant ainsi ses multiples tatouages. Les clichés que je pris à ce moment là étaient magiques. Thomas et Victoria en transe sur leur guitare et leur basse, et Ethan les cheveux dans tous les sens.
Mais Damiano avait un don pour la foule. Il l'emmenait ou il voulait, la faisant hurler, larmoyer, danser.
Mes photos sont en noirs et blancs, et l'effet qu'elles rendraient une fois développées me faisait frissonner d'impatience.
Il ne me regardait pas, mais moi je ne pouvais détacher mon regard de lui. Comme un mix de Jim Morrison et de Kurt Cobain, ses yeux clos et sa voix rocailleuse.
J'avais l'impression que l'on était des millions, et que j'étais seule à la fois.
Quand la dernière note retentit, une salve d'applaudissements et de sifflements indescriptible résonna pendant une dizaine de minutes.
Mon regard croisa celui d'Esther. Son front ruisselait de sueur, ses pommettes étaient toutes rougies. Sans un mot, elle me pris la main et m'emmena vers la même porte que tout à l'heure, en coulisse.
Nous entrâmes alors, et Esther se dirigea tout de suite vers Victoria. Quand à moi, je n'avais pas fait trois pas que mon regard croisa celui de Damiano.

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