Chapitre 6

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Le lendemain, je rendis une dernière visite à Luca afin de le remercier.
- Ne t'en fais pas ! Une occasion pareille, t'empêcher de la vivre serait quelque chose de très cruel. Et puis ces jeunes gens m'ont l'air très réglos, ils m'ont déjà trouvé un remplaçant !
- C'est génial ! Je reviendrais souvent te donner des nouvelles. Sinon, sais-tu où je pourrais trouver Esther ? Ça fait un bon moment que je ne l'ai pas vue.
- Cela fait quelques jours qu'elle n'est pas revenue, elle m'a dit qu'elle avait des rendez-vous... J'espère que tout va bien pour elle.
- Je pense que l'on a pas de soucis à se faire. Elle me parlait d'entretiens d'embauche.
- Encore un replaçant à trouver, soupira Luca... Mais j'aime tellement ma nièce, je veux du fond du cœur qu'elle réussie à décrocher le job qui lui plait. Je te tiens au courant lorsque j'ai des nouvelles !

Je le saluais une dernière fois rapidement, puis me rendis, malheureusement en bus, au studio.
Quand j'y rentrais, une ambiance glaciale m'accueillit :
- Putain, mec t'es con où quoi ? Quand je commence à chanter t'attends quatre temps pour commencer tes accords, pas trois !
La voix de Damiano résonna dans tout le studio, ricocha sur les murs et couvrit la pièce d'un voile de fumée noire.
Cela ne devait pas être la première fois qu'il se permettait une telle remarque, les regards que j'ai intercepté entre les autres membres en disaient longs.
Je tentais malgré tout de prendre mes habituelles photos, en choisissant les moments où Damiano n'avait pas ses traits étirés par la colère.
Je ne servais pas que de photographe, sinon mon temps de travail aurait été trop réduit par rapport à celui que l'on avait convenu. J'ai ainsi obtenu les multiples rôles d'assistante retouche maquillage, secrétaire, et ici, en l'occurence, je sentais que mon job de médiatrice me lançait un SOS.
Je ne suis pas une membre d'une groupe, alors je préfère faire oublier ma présence la plupart du temps, quand ils sont au studio. Eux essaient toujours de m'inclure, ce qui me fait tout de même très plaisir. Mais dans les cas d'une dispute, je préfère rester en recul.
Je croisais par moments le regard de Damiano, en essayant d'avoir l'air le plus distant et froid possible. Je crois qu'il compris le message, car, malgré ces mimiques traduisant de son agacement, il ne se permit plus aucune remarque par la suite.
Midi arriva très rapidement. Alors que d'habitude, nous prenions le repas tous ensemble, Damiano partit tout de suite, sans saluer personne. Les trois autres restèrent la, les bras ballants.
- J'en peux plus. J'en peux plus, j'en peux plus.
Le ton de Victoria semblait épuisé, à bout de force.
Ethan lui mit doucement une main sur l'épaule :
- On essayera de lui parler sérieusement, promis. On a déjà essayé quelques fois, mais il s'enferme dans son mutisme. Personne ne sait ce qu'il se passe, il a complètement vrillé depuis hier. Mais c'est ma faute, c'est sûrement à propos  de cette foutue chanson que je lui ai demandé de jouer.
- T'y es pour rien, mec, lui répondit Thomas. Même quand on le chambrait avant, il rigolait. C'est lui. Qui a changé.

Je me sentais coupable de ce changement de comportement, mais je ne saurais expliquer pourquoi. Peut-être parce que tout avait commencé lorsque je suis arrivée, même si l'on m'a maintes fois répété que ce n'était qu'un indicateur temporel et que je n'en étais en aucun cas la cause.
La semaine qui suivit, aucune amélioration ne se fit voir : de 9h à midi, studio. De midi à 13h30, Damiano partait en claquant la porte, et Thomas, Ethan, Vic et moi mangions ensemble. Aucun des trois n'avait trouvé l'instant idéal pour entamer une discussion avec lui. Le dimanche soir, on se décida à se mettre au clair :
- Peut-être que toi, tu pourrais essayer ? tenta timidement Ethan. Je ne sais pas, c'est parfois plus simple de s'ouvrir à des gens que l'on connaît moins bien. Depuis moins longtemps, je veux dire. Tu m'as comprise.
J'étais un peu perplexe face à la requête d'Ethan. Et j'avoue que je ne me sentais pas trop à la hauteur.
- Ça ne risque pas d'empirer les choses ? Je veux dire, peut-être va t-il mal prendre le fait que vous préfériez lui envoyer la nouvelle photographe-secrétaire-assistante, à la place de vous ? Comme une forme de désistement... Ce n'est évidemment pas le cas, me rattrapais-je, mais vu son caractère, il pourrait l'interpréter ainsi.
- Tu n'as pas tort, répliqua Thomas. Mais si il y'a bien une chose dont il faut que tu prennes conscience, ce que tu n'es pas pour nous juste une photographe-secrétaire-assistante. T'es notre amie avant tout. Et même si il ne le montre pas forcément, Dam t'apprécie sûrement plus que tu ne le penses. Il n'est juste pas très expressif sur certains sentiments. Et bien trop sur certains...
Sa remarque me touchait. On ne se connaissait que depuis un cours laps de temps, mais ils avaient tous (ou presque) essayé de m'intégrer au mieux.
- Mais c'est décidé. Demain, je vais le voir. Mieux, on y va tous. On se pose sur le canapé,
et on introduit doucement le sujet.
- Je pense que c'est ce qu'il y'a de mieux à faire, répondit Victoria.
C'est vrai que c'était déjà le neuvième repas que nous prenions seuls, sans lui. Il revenait toujours vers une heure et demi ou 14h.
Effectivement, il revint, cette fois ci, toujours son air sombre tatoué sur le visage, quelques minutes avant les coups de deux heure de l'après-midi.
L'après-midi se passa de la même manière. Quand Damiano commentait mes photos d'un air très peu convaincu et avec froideur, Thomas me serrait un peu la main.
Cela n'échappait pas à Damiano, qui lui lançait des regards remplit de colère. Ces œillades me faisaient me dégager de son étreinte rapidement : je me sentais toujours terriblement coupable, et commencer à former des clans d'alliance au sein même du groupe m'était inimaginable.
Le soir, vers 21h, Damiano sortait toujours fumer une ou deux cigarettes. Sa consommation avait fortement augmenté, ces derniers temps. Tout le monde était sur les nerfs. Mais la confrontation n'avait toujours pas eu lieu...
Plus les jours passaient, et plus ces mauvaises ondes impactaient ma résistance  émotionnelle. Alors que durant certaines soirées, je tenais jusqu'à des heures avancées de la nuit (voir du jour), en ce moment, dès 22h, mon énergie était à plat. Je n'eus vite plus le cœur à rejoindre le groupe chez les afters habituellement arrosés et enjoués de Victoria. Avec toute cette histoire, personne ne pouvait prétendre que tout allait bien. Aucun de nous n'avait la force ni le courage de jouer la comédie.
Thomas, qui avait pris son rôle de chauffeur très à cœur, me ramenait tous les soirs. Il est adorable. D'ailleurs, ce soir la, il me posa une question qui me fit sourire intérieurement :
- Ca fait vraiment longtemps qu'on a pas vu Esther. Même en concert. Elle a beaucoup d'empêchements ?
- Oui, je crois... Même Luca n'a plus que peu de contact avec elle.
- Ah... N'hésite pas à lui dire qu'elle est toujours la bienvenue ici !
- Pas de soucis.
Il semblait très inquiet pour cette absence prolongée de mon amie. Je me suis promis de l'appeler demain, et de la pousser à passer nous saluer au moins une fois durant les prochains jours.
- À demain, Tom. Merci encore!
- De rien, arrête de me remercier tous les soirs, rit-il. Il se reprit : je suis tellement désolé pour tout ce qui arrive. Déjà 10 jours que l'ambiance et si tendue, on bat des records dans l'histoire de la formation du groupe.
La fin novembre était déjà là, et ce climat froid au studio n'allait pas pourvoir cohabiter avec l'hiver arrivant à grands pas.
- On y peut rien ! Écoute, demain on tente VRAIMENT le tout pour le tout. On se dégonfle pas comme à chaque fois.
- T'as raison. On joue le jeu. Allez, à toutes, bella !
- A demain !
Ma nuit fut agitée, et mes cernes ont été peu clémentes le lendemain matin sur la discrétion concernant mon manque de sommeil.
J'arrivais en première au studio. Je m'assis sur le canapé dissimulé dans un coin tout en étudiant les photos que j'avais prises la veille (j'étais désormais sur appareil numérique, l'argentique, malgré le fait que je l'adore, ne répondait plus correctement à mes besoins). Alors que j'avais finit de les retoucher, en sirotant un café, j'entendais la porte s'ouvrir et vis Damiano rentrer. Excédée par son comportement toujours aussi stupide, je me décidais à prendre les devants :
- Et merde, Damiano, c'est quoi ton problème ?
- Hein ? Quel est mon problème ? Tu me demande quel est mon problème ? réagit-il assez violemment.
- Oui, répondis-je avec un regard surpris et inquisiteur.
- J'ai pas de problème.
- Sérieux.
- Allez, arrête de me faire chier avec tes questions, retourne baiser avec Thomas!
Sur le coup, je crois que mon cerveau s'est déconnecté du reste de mon corps. Je restais ainsi la, le corps figé, la bouche ouverte.
Et c'est évidemment à ce moment là que le reste du groupe avait décidé d'arriver. Ils devaient avoir tout entendu, vu leur position et leur expression faciale.
- Tu... Quoi ? répliqua enfin Thomas d'une voix blanche.
- Tu quoi, Thomas ? Tu crois que personne a rien capté ? Quand je vous vois rentrer tout les deux, tu penses vraiment que l'ambiguïté entre vous ne se voit pas ?
- Quelle ambiguïté ? Mec, je la ramène juste chez elle le soir. Comme n'importe quel ami le ferait. Va te faire soigner.
- Arrête de nous prendre pour des cons !
Victoria intervint enfin :
- Damiano, au delà du fait que l'on va avoir une petite explication ensemble, j'aimerais vraiment que tu cesses de dire "nous". T'es le seul à penser comme ça.
Thomas et Ethan étaient prêts à sortir du studio, mais Victoria n'avait pas fini :
- T'es invivable . Soit tu nous dis ce qu'il y'a, soit t'arrêtes tes comportements puérils. J'ai pas mal de propositions, tu sais. Que je me casse ou pas, ça changera rien à mon succès. A notre succès, à Thomas Ethan et moi. Mais toi, si tu restes ainsi vautré dans ta colère, tu n'iras plus très loin. Je me tire d'ici, et je ne reviens pas avant qu'une des deux conditions soit remplie.
Ces paroles donnèrent l'effet d'un coup de massue à tout le monde. La température semblait être descendue de plusieurs degrés d'un coup.
Damiano, lui était devenu si pâle, qu'il tituba sur le canapé, les yeux vitreux et dans le vide.
Sur ces mots, Victoria partit d'un pas furieux. Ethan, Thomas et moi eurent besoin d'un temps de réaction un peu plus long avant de nous décider à la suivre.

Métro, boulot, Damiano Where stories live. Discover now