Chapitre 9

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Depuis ce jour, Dam et moi avions repassé quelques moments ensemble, comme la première fois. Toutes les tensions s'envolaient dès que nous rentrions dans mon appartement, et nous laissions simplement la musique nous envelopper.
Très vite, la période de Noël se rapprocha. Les rues s'illuminèrent, et l'odeur du vin chaud se respirait à tous les coins de rue.
J'adorais l'ambiance de Noël, mais cela me faisait tout de suite repenser à ma relation compliquée avec mes parents.
Je n'en avais jamais parlé à qui que se soit, juste à peine souffle un mot dessus à Esther.
Je ne suis pas une enfant désirée. Et ça, mes parents me l'ont vite fait comprendre. Durant toute mon enfance, ce fut ma grand-mère maternelle qui m'éleva. Je passais l'été avec eux, mais je sentais bien que c'était pour eux un devoir qu'ils se sentaient obligés de réaliser. Dès mes 18 ans, ils m'ont donné une certaine somme, qui m'a permis de m'installer à Rome, et ainsi s'assurer que je puisse commencer ma vie sans avoir à revenir vers eux.
Malgré cela, l'appartement dans lequel je loge leur appartient. Dès que j'aurais assez économisé je m'en irai, car il ne me cesse de me rappeler que je suis dépendante de ses deux intrus. Mais je resterais à Rome, bien entendu.

Je ne ressens pas de haine à leur égard, juste une indifférence profonde. Je leur suis juste reconnaissante de m'avoir emmener pendant tous ces été en Toscane, ainsi que dans la plaine du Pô. Grâce, à tout ça, j'ai pu découvrir l'Italie. Et, dans un ultime effort de redevance, mon père m'emmena en 2018 à un concert d'un groupe moyennement connu, mais au futur intéressant. C'est ainsi que,
lors de l'unique moment que je ne passa jamais avec mon père en tête à tête se déroula durant un concert des débuts de Måneskin.
Au studio, chaque membre repartait dans sa famille pour les fêtes. Je redoutais la question fatidique, que Victoria finit par me poser :
- Et toi, tu vas où pour Noël ?
- Je... Je reste là.
- Cool ! Ta famille te rejoint ici ?
- Non. Je suis seule, conclus-je avec un faible sourire.
- Oh... Je suis vraiment désolée, Ann'...
- Pas de soucis, ne t'en fait absolument pas pour moi !
Puis, la séance reprit comme si de rien n'était. La présence de mes parents ne me manquait donc pas, mais le sentiment de vide qui m'habitait en cette période était un malaise qui me hantait jour et nuit.
Vers 22h, comme tous les soirs, ce fut Damiano qui me ramena. La dernière fois avant deux semaines, car comme nous étions le 22 décembre, chacun s'était pris une quinzaine de jours de repos pour noël.
- À toutes ! Passe un joyeux Noël, Anna, me dit-il avec un drôle de sourire. Un sourire étrange, presque forcé.
- À toi aussi, Dam !
- Au fait, tu passes tes fêtes avec qui ?
-... Personne.
Il ne me répondit pas, mais la lueur que je vis dans ses yeux me transmis toute la compassion qu'il portait à mon égard.
Fatiguée et un peu déprimée, je me couchais tôt, sans jouer avec Damiano à nos jeux de langue des signes à travers nos balcons respectifs.
Le 24 au matin, je partis tout de même acheter de quoi réveilloner chez moi. Un repas sympa, devant un film que j'avais vu une bonne dizaine de fois au moins. J'hésitais entre le Cercle des Poètes disparus où Roméo + Juliet. Rien de très gai, mais je n'avais pas prévu un programme plus élaboré.
Vers 18h30, alors que j'étais dans mon salon en train d'accorder une de mes guitares qui s'était totalement déréglée à cause des changements de température, j'entendis frapper au balcon.
Je grommelais quelques mots, étonnée et légèrement inquiète concernant ce que pouvait bien être ce bruit.
On tambourina encore plus fort.
- Anna ! Ouvre moi, je me les pèles dehors !
C'était Damiano ! Quel imbécile, me dis-je intérieurement en riant.
La météo avoisinait le zéro, mais il se tenait devant ma porte vitrée, en débardeur, une bouteille à la main.
Je lui ouvris donc, surprise.
- T'es pas sérieux, m'esclaffais-je. Tu ne pouvais pas passer par la porte d'entrée comme tout le monde ?
- Non. Un peu d'originalité parfois n'a jamais tué personne. Et puis j'ai du champagne, alors rien que pour ça tu devrais éviter tes commentaires ! Ou je vais devoir le boire seul...
Je ris, tout en l'invitant à rentrer dans mon appartement.
-Quoi de prévu ce soir ? dit-il en jetant un regard à la table du salon. Le cercle des poètes disparus ? T'es sérieuse ? Le film est génial, mais pour un soir de Noël, je m'attendais à mieux... À moins triste, je veux dire.
- C'est vrai, mais je n'avais pas prévu qu'un bel Apollon me rejoigne dans mes festivités...
- Ah, je sais, je sais. Mais que dirais tu si je te proposais d'aller faire un tour en ville pour se donner des idées ?
- Ça me convient tout à fait. Mais peut-être que tu ne serais pas contre une veste, par dessus ton débardeur. Il fait quasi zéro.
- Tu es quelqu'un d'à la fois si réaliste et poétique, Anna ! Ah, je devrais encore écrire une chanson sur toi.
- Je suis ta muse. Je le sais, Damiano, je le sais...répliquais-je avec ironie.
Je crois que c'est à ce moment qu'il réalisa qu'il avait dit quelque chose de trop. Je n'avait pas relevé sa phrase non plus jusqu'à présent, mais la couleur de ses joues m'indiquait clairement que lui s'en était rendu compte. Il changea vite de sujet.
- Je retourne vite fais chez moi et j'arrive ! cria t-il en enjambant mon balcon.
Au bout de cinq minutes, il était de retour.
- C'est parti !
Il s'était équipé d'une fine veste noire. Pas très frileux, le garçon.
Et nous sortîmes donc dans les rues de Rome, illuminées par les décoration. La soirée s'était déjà avancée, il n'y avait plus grand monde en ce soir de réveillon.
On déanbulla dans la ville, en examinant les vitrines. Quand on passa devant une boutique de guitare, il insista pour rentrer et m'offrir un mediator doré.
- Mon cadeau. Doré, parce que c'est Noël.
Je le remerciais, et m'engageais à lui trouver un petit quelque chose également.
Alors que nous étions sur le point de rentrer, nous entendîmes non loin de nous un orchestre jouer. On s'approcha. Ce n'était pas des chants de Noël cette fois ci, mais des reprises de classiques du rock. Intéressant, décalé et parfait pour nous.
- There is, a house, in New-Orlean... chantait un homme d'une quarantaine d'années, accompagné de ses chœurs et de musiciens.
Damiano s'était mis à chanter la suite. Les gens, une bonne foule qui s'était amassée autour de la petite scène, échangeaient des regards amusés.
Puis, des couples de personnes âgées se mirent à danser, sur Can't help falling in love.
- Il faut faire baisser la moyenne d'âge des danseurs, me fit remarquer Damiano. C'est impératif.
Et sans attendre la réponse, il me prit par la taille et commença à me faire tourner au milieu des autres personnes. Ainsi, pendant deux ou trois chansons d'affilé, nous dansâmes ensemble, mes bras autour de ses épaules et lui, sa main gauche sur ma taille et l'autre dans mon dos. Je me balançais doucement au rythme de la musique, en suivant ses mouvements. Je ne voyais plus son visage, calé sur mon crâne. Je me sentais flotter.
Quand le reste du public se mit à applaudir pour saluer le chanteur, la bulle dans laquelle nous étions plongés éclata brusquement. Soudain, je repensais à l'image que nous avions dû donné aux autres gens, celui d'un jeune couple très amoureux. Cela me gêna tout de même un peu, malgré un petit bout de ma pensée qui me dit que ce n'était peut être pas si désagréable.
Un peu gênés, nous nous regardâmes dans les yeux avant d'éclater de rire. Nous repartîmes comme si de rien n'était, et poursuivîmes notre balade.
- J'ai faim. Très faim. On retourne chez toi ?
- Bien, chef. Mais je n'ai pas grand chose à manger.
- T'as des pâtes ? De la sauce tomate ?
- Oui ?
- Alors l'affaire est réglée.
- Mais je n'ai pas trouvé ton cadeau ! C'était le deal, pourtant.
-  Tu me l'as déjà donné ! La petite danse au milieu de vieux énamourés, c'était ça mon cadeau.
Je souris intérieurement. Cette version de Damiano m'était encore assez étrangère, mais elle me plaisait tellement que j'avais peur de tout gâcher avec une phrase qu'il interprèterait mal.
- Je sais que j'ai pas toujours été très sympa depuis ton arrivée, mais j'étais dans une mauvaise passe... Un peu compliquée. Je suis désolé, j'espère que mes torts sont réparés !
Il finit sa phrase avec une pointe de sarcasme.
- Évidemment. Sinon, comment aurais-je pu accepter de danser au milieu de vieux énamourés avec toi ?
- Pas faux.
Quand nous arrivâmes enfin à la maison, nous étions transis de froid. Heureusement que j'avais allumé le chauffage avant de partir.
- On part en cuisine ? me proposa t-il.
J'acceptais sa proposition, mon ventre gargouillant m'aurait trahi si je l'avais refusée.
On prépara des pâtes bolognaise, qui s'avèrent moins immangeables que prévu.
Je ne réalisais toujours pas ce que j'étais en train de vivre. Le premier Noël de ma vie, que je passais avec une personne que j'appréciais et qui (semblait) m'apprécier en retour.
Après le dîner, on passa le reste de la soirée à jouer aux cartes. Au sens littéral du terme. L'alcool m'était un peu monté à la tête, alors quand il gagna une énième fois la bataille, je proposais pour rire :
- Allez, strip-poker !
- Wohou ! C'est parti !
Il retira son t-shirt. Je pus alors distinguer en détails tous les tatouages qui recouvraient son torse.
Il se reprit soudain :
- Mais ... On avait pas dit juste amis ?
- Ah oui. C'est vrai. Poker normal, alors, fis-je
pour changer de sujet.
- Poker normal.
Il me lamina encore et encore, jusqu'à une heure avancée de la nuit.
Je n'avais jamais autant apprécié une soirée que celle-ci, Noël ou pas noël.
On s'endormît côte à côte, sur le canapé, vers cinq heures du matin. Quand je me réveillais le lendemain, à midi passé, il avait disparu. La lumière dans l'appartement d'en face me confirma qu'il s'y trouvait bien. Avais-je rêvé cette soirée de la veille ?
Mais le petit mediator doré, posé sur un coin de ma table du salon, vint me confirmer le contraire.

Métro, boulot, Damiano Où les histoires vivent. Découvrez maintenant