Chapitre 37

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Thomas.

La soirée se finit aux alentours de quatre heures du matin, alors qu'il ne restait que trois heures avant le lever du soleil. Vic et Ethan furent les premiers à se décider à partir :
- Si on retourne au studio dès demain, on a intérêt à être un minimum en forme, rit Vic. On passe vous chercher vers quinze heures ?
- Ça me va parfaitement, lui répondis-je.
Tout le monde acquiesça, puis Dam m'interpella :
- Eh, Thomas, quand est-ce que Esther rentre, déjà ? Elle ne devait pas bientôt revenir à Rome, puisque son père était en voie de guérison rapide ?
- Si, tout à fait. Elle doit m'appeler dans la journée, je vous tiendrais au courant !
Puis je partis à mon tour de l'appartement, laissant Dam et Ann' seuls.
J'étais dans un état de transe second, depuis le retour de Dam. Aucun mot ne pouvait décrire ce que je ressentais ; j'étais en train de flotter. Jamais également je n'aurais assez de mots pour remercier Anna pour toute la motivation qu'elle s'est donnée pour le retrouver ; sans elle, je suppose que nous serions encore à nous morfondre dans notre malheur, sans chercher à faire bouger les choses, ou même à essayer de les comprendre. Je crois que cela me rend presque coupable, au fond. J'étais, je suis son meilleur ami ! Comment ai-je pu rester à ce point inactif ? Tout l'amour que Ann' portait à Dam lui avait donné une force inouïe, sans laquelle nous n'aurions rien pu faire. Je m'en veux, de ne pas avoir compris assez vite la supercherie. Maintenant, avec le recul, il est évident que cela ne pouvait pas être Dam, le décisionnaire de sa disparition ! Je ne l'ai reconnu dans aucun de ses actes, mais je ne m'en suis rendu compte que trop tard. Quand tout était étalé sous mes yeux.
Anna m'a maintes fois répété que sans mon soutien indéfectible, elle n'aurait rien pu faire non plus. C'est sa manière d'arrêter de me faire culpabiliser, même si au fond, je ne sais pas si j'arriverais un jour à me le pardonner. Et il est évident que j'ai soutenu Ann', qu'aurais-je pu faire d'autre ? Mon meilleur ami disparaît, d'une manière incompréhensible et d'une façon qui ne lui correspond pas du tout, je me suis prostré dans le chagrin sans agir. Une seule personne ne s'est pas laissée complètement abattre ; et en plus, elle trouve le moyen de nous prouver qu'il y'a une solution imparable à ce problème. Qu'est ce que j'aurais pu faire d'autre, à part la soutenir ?
Depuis qu'Anna est arrivée parmi nous, elle a pris une place centrale dans notre groupe, et ce n'est évidement pas pour nous déplaire. Elle a su calmer nos tensions, nous écouter chacun indépendamment afin de mieux régler nos torts. Elle a su s'imposer par moment, sans obtenir un monopole égoïste des choses. Elle est d'une fidélité sans faille (comme elle vient de nous le prouver une nouvelle fois), et est la gentillesse et la bienveillance incarnée. Avec la montée de la célébrité, j'avais petit à petit perdu foi en l'humain. Et si le manager avait mit en marche son plan alors qu'elle n'aurait pas été parmi nous, je ne préfère pas imaginer où nous en serions actuellement. Et puis, c'est grâce à elle que j'ai enfin pu me mettre avec Esther.
Cela faisait deux ans et quelques que je l'avais remarquée, dans la boutique de son oncle. Je ne la connaissais évidemment pas encore assez pour en tomber amoureux, mais cela serait hypocrite de ma part de dire que je me rendais chez le disquaire uniquement par amour du vinyle.
C'est comme ça, d'ailleurs, que j'ai fait la connaissance plus approfondie de Luca. Il nous a été d'un soutien indéfectible, au court de ces dernières années. Distribuant des tracts de partout lors de nos premiers concerts, nous mentionnant à chaque discussion avec un client. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est aussi grâce à lui. Et à Esther, du coup. Parce-que sans elle, je ne sais pas si je me serais rendu autant de fois chez lui !
Mais je n'osais pas lui adresser la parole, j'étais d'une timidité bien trop maladive. Alors je me contentais de lui sourire, en achetant le vinyle du groupe qu'elle portait sur son t-shirt la dernière fois que j'étais venu et en espérant qu'elle m'adresse la parole. Sans grande réussite.
Parfois, je l'apercevais à certains concerts. Et dès lors, à chaque fois que mon regard croisait le sien, mes doigts oubliaient soudainement comment jouer de la guitare. Au lieu de les énerver, cela faisait rire les autres membres du groupe. Aucun d'eux n'étaient dupes, et tous savaient ce que je ressentais pour elle. Ils ont bien essayé de rentrer en contact avec elle plus souvent, mais ma timidité et ma peur du rejet me bloquaient à chaque fois. Et au moment où j'étais prêt à lâcher la rampe et à tenter de l'oublier, Ann' est arrivée. Nous nous sommes tous tout de suite très bien entendu avec elle, si bien qu'elle se joignit rapidement à notre groupe. Et puisqu'elle était également très proche d'Esther, elle aussi a commencé à nous fréquenter de plus en plus. J'en pleurais quasiment de joie !
Même si je restais pour autant toujours fermé devant elle, involontairement évidemment, j'ai appris à m'ouvrir un peu plus en sa présence. Mais toujours pas assez pour lui proposer de nous voir en dehors des séances studio, seuls à seuls. Puis, comme par miracle, un jour Anna' m'a appelé pour prendre un café avec elle et Esther. J'étais tout nerveux, et quand elle s'est soudain absentée et nous a laissé, Esther et moi, tout les deux, la panique a faillit reprendre le dessus. Mais dans un élan de courage dont j'ignore toujours la source, j'ai lancé la discussion sans bégayer, si bien que nous ne nous sommes séparés qu'à la nuit tombée, tant nous avions de choses à nous dire.
Nous nous sommes refixé rendez-vous le lendemain même, au cinéma. N'arrivant pas à choisir de film, nous en avons donc vu deux à la suite, avant d'en débattre de nouveau toute la nuit.
Je crois que c'est ce soir là que je suis vraiment tombé amoureux ; même si la graine était déjà plantée depuis longtemps. J'aimais tout chez elle, de ses grands yeux perdus aux détails les plus infimes, comme par exemple la manie qu'elle a de titiller ses bagues lorsqu'elle est nerveuse.
Et ainsi, pendant deux semaines, nous nous sommes vu quasiment tous les jours. Comme pour rattraper le temps perdu, ce qu'aucun de nous n'osa dire, malgré le fait que nous l'ayons très bien compris. Tout était si naturel, si fluide avec elle ! Je m'en voulais de n'a pas avoir osé aller la voir avant. Comme dans toutes
les situations, mon anxiété m'empêche d'accomplir beaucoup de choses. Avec Esther. Avec Dam.
Puis, il y'eut ce soir de décembre, où nous avions eu l'idée saugrenue de pique-niquer sur un promontoire donnant sur Rome, alors que les températures avoisinaient le zéro. Alors que nous étions en train de remballer nos affaires, elle m'avoua d'un air naturel qui cachait malgré tout une certaine inquiétude, que cela faisait des années qu'elle n'osait pas aller me parler à chaque fois que je me rendais dans la boutique de son oncle.
Et à cet instant, sans que je puisse l'empêcher, une vague d'audace s'empara de moi. Je posais brusquement au sol ce que j'étais en train de ranger, pris sa tête entre mes mains afin d'obtenir son consentement, et une fois obtenu, je me jetais sur ses lèvres.
Même encore plus d'un an après cela, j'ignore encore comment j'ai eu le courage de faire cela. Mais force est de constater que ça a payé, puisque nous sommes toujours ensemble depuis.
Ces derniers mois on été assez difficiles, mais nous avons tenu le choc. La maladie de son père l'a obligée à faire de nombreux aller-retour, et je m'en veux par moment, me demandant si j'ai été assez présent à ses côtés. Elle ne cesse de me répondre que j'ai été parfait, et que je n'aurais pas pu mieux faire, mais ma peur perpétuelle de décevoir mes proches finit toujours pas reprendre le dessus.

Cinq heures et demi du matin. Je me couchais alors dans mon lit ; vide. Je réglais mon réveil de manière à ce qu'il me réveille à dix heures. Je ne voulais surtout pas manquer l'appel d'Esher. À peine eus-je posé la tête sur l'oreiller que je m'endormis aussitôt.
Quatre heures et demi plus tard. Mon téléphone sonne, m'indiquant qu'il est l'heure de me lever. Encore tout engourdis de la veille, je me préparais mollement. Mon portable se mit alors à sonner : c'était elle.
- Allô ? décrochais-je.
- Coucou ! Je suis désolée, je n'est pas beaucoup de temps. Mais je t'appelle pour te dire que je prends le premier train pour rentrer à Rome demain !
- Non, sérieux ? Définitivement ?
- Oui ! Mon père est guéri, estiment les médecins. Il mettra plusieurs mois à s'en remettre, mais sa convalescence le conduira certainement vers une rémission totale.
- Putain, je suis vraiment super content ! J'ai la pression alors. Je dois ranger l'appartement, il est dans un état pas possible...
Je l'entendis éclater de rire derrière le combiné. Comme l'entendre heureuse m'avait manqué ! Elle était éreintée de ces six derniers mois passé au chevet de son père, et maintenant que tout rentrait dans l'ordre, nous allions pouvoir recommencer notre train de vie habituel.
- Et d'ailleurs, Anna m'a appelé, ce matin. Elle m'a dit pour Dam ! C'est fou comme tous nos problèmes ont la capacité à se régler tous en même temps... Oh merde, je dois raccrocher. Mon métro arrive. Bisous, à demain !
- À demain !
Je raccrochais alors en même temps qu'elle, un peu déçu par le peu de temps qu'avait duré notre appel. Mais la nouvelle de son retour prochain m'avait remonté le moral, tout autant que le retour de Dam. Elle avait raison ; après des mois passés dans un trou noir, les choses se remettaient petit à petit en place.
J'avais hâte de recommencer notre quotidien habituel, celui qui consistait à se lever, à aller au studio, à se coucher à l'aube. À manger dans des restos où tout le monde nous connaît, à boire comme des trous chez Dam et Aur'. Faire des concerts. Des pique-niques en plein hiver.

Je passais le reste de la matinée à ranger l'appartement en prévision du retour d'Esther, jusqu'à ce que Ethan m'appelle, m'indiquant qu'il passait me prendre pour aller au studio dans vingt minutes.
La routine peut nous paraître bien souvent trop fade et sans intérêt, mais c'est quand on la perd au profit de choses bien plus graves que l'on prend conscience du réconfort qu'elle nous procure.
Et se rendre, ensemble, au studio, c'était déjà remettre un pas dans ce quotidien qui nous avait bien trop manqué.

Métro, boulot, Damiano Where stories live. Discover now