Chapitre 29

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Quelques semaines étaient passées depuis la réception des lettres de Damiano, depuis que le manager nous avait annoncé qu'il mettait fin au contrat.
La colère s'était à peu près tue. La peine, elle, ne m'avait jamais quitté. Je l'aimais toujours, et je me sentais incapable de me défaire de ce sentiment.
Nous n'avions plus reçu aucune nouvelle de Dam depuis, et nous n'avions pas à cherché à lui en faire parvenir ; il avait été très clair à ce sujet.
Je n'avais jamais autant pleuré que durant cette période ; ce mois de décembre fut le plus affreux de toute mon existence.
Il n'y avait pas que pour moi que c'était dur, chaque membre du groupe était plongé dans une détresse profonde. Personne ne savait comment nous allions pouvoir réussir à nous relever de cela. Le Noël de cette année nous laissa tous un goût âcre sur le bout de la langue, un goût qu'aucun de nous n'arrivait à faire partir.
Mes larmes redoublaient d'intensité quand je repensais au Noël que j'avais passé avec Dam il y'a maintenant un an. Quand nous avions dansé au milieu de la foule, quand il m'avait offert un mediator doré, que j'ai toujours secrètement conservé, quand nous avions joué aux cartes jusqu'au levé du soleil.
Ce n'était pas possible. Dam ne pouvait pas avoir écrit ces messages de ses propres mains. Cette idée me semblait de plus en plus abstraite ; je refusais d'y croire. Était-ce l'amour qui me donnait des ailes ? Pour mes amis, visiblement.
- Ann'. C'est fini. On doit tous s'y faire, me répéta une énième fois Vic. Moi non plus, je ne veux pas accepter que ça soit Dam qui ai écrit tout ça. Mais c'est la vérité.
Elle et moi nous étions donné rendez-vous dans un café voisin, afin de passer l'après-midi ensemble.
- Je sais. Je suis désolée, Vic. Mais... Ces lettres ne peuvent être les siennes ! J'en mettrais ma main à couper. S'il te plaît, ne me lance pas ce regard. Je sais ce que tu penses. Que mon amour m'empêche de distinguer le vrai du faux, me cache la vérité. Mais non ! Je te le promet. J'essaie de me convaincre de la réalité, mais plus je m'y force, plus elle me paraît surréaliste.
- Mais si ce que tu dis est vrai, que quelqu'un a écrit ces lettres à sa place, où est-il ? Pourquoi est-il parti ? Pourquoi n'est-il pas réapparu !

Je ne savais pas quoi répondre à cela. Elle avait raison. Les arguments que j'avançais avaient beau être logiques, aucun ne l'était assez pour répondre à ceux de Vic.
Dam nous avait quitté. Dam s'était moqué de moi pendant plus d'un an. Il m'avait déclamé son amour, auquel j'avais répondu avec tout autant d'ardeur, avant de m'avouer que je n'avais été qu'un vulgaire pantin destiné à l'amuser.
Il nous avait tous berné, les uns après les autres. Il avait complètement disparu, pas même les paparazzis n'avaient réussis à le photographier ne serait-ce qu'une seule fois. Sa trace était perdue. Son compte instagram était inactif depuis son départ. Celui de Måneskin et de tous ses autres membres également.
Les gens commençaient à se poser des questions ; car nous n'avions pas encore osé annoncer la séparation du groupe au public. Il nous fallait encore un peu de temps pour accepter, pour tourner un peu plus la page. Il nous fallait encore du temps pour intégrer que tout, tout était fini. Tout.
Puis, il y'eut ce matin de février. J'habitais maintenant seule dans cet appartement, bien trop grand pour moi. Vic et moi avions convenues que nous allions à présent habiter ensemble ; afin de remédier à la solitude qui nous rongeait chacune de notre côté.
Nos amis avaient géré ce nouveau vide chacun à leur manière ; Esther et Thomas avaient emménagé ensemble, Ethan préférait s'isoler.

J'étais alors assise par terre, sur le sol de l'entrée, en train de trier des papiers qui traînaient sur mon bureau. Et soudain, au milieu de lettres froissées et de post-it griffonnés, un bout de papier me fila entre les doigts.
J'en lu les premiers mots, mon cœur battant comme si il avait conscience de l'importance de la chose qu'il venait de déterrer.
Anna,
Je suis tellement désolé pour tout. Pour ce qu'il s'est passé. Je m'en veux tellement. C'est de ma faute, tout est de ma faute ! Jamais je n'aurais dû te laisser seule.
La lettre que Dam m'avait laissé à l'hôpital, le lendemain que mon agression lors de la tournée. L'écriture était fine, appliquée. La main tremblante, en me promettant que j'allais brûler cette note dès que j'aurais fini mon tri, je m'essuyais le coin de l'œil.
Puis un autre papier attira mon attention. Au milieu de cette montagne de feuilles froissés, je retrouvais, alors que je la pensais réduite en cendres, l'enveloppe qui avait contenu les dernières lettres que Damiano nous avait adressées.
Une chose me frappa. Les écritures n'étaient pas les mêmes. La lettre de Dam, comme je l'avais dit précédemment, était d'un lettrage fin, appliqué, presque féminin. Quand à l'écriture de l'enveloppe, elle était pleine de ratures, grossière, et l'encre avait coulé sur les bords.
Or, pour que l'encre s'étale et bave, il faut être gaucher. Dam était droitier ; je le revois distinctement assis sur son lit, en train d'écrire sur son carnet à spirales le squelette d'une nouvelle chanson.
Mon cœur palpitait, le sang pulsait dans mes veines à une vitesse folle et mes membres tremblaient.
À cet instant, on sonna à la porte. Vic, qui venait m'aider dans mon rangement, comme nous l'avions convenu la veille. La voix chevrotante, les larmes perlant au coin de mes yeux, je lui expliquais ma découverte.
- Calme toi, Ann'.
- Vic ! Ce n'est pas Dam qui a écrit ces lettres ! L'écriture n'est pas la même, elle a été réalisée par un gaucher, or Dam est droitier !
- C'est un fait. Mais rien ne nous dit que ce n'est pas quelqu'un d'autre qui s'est simplement chargé de compléter l'adresse à sa place. Nous n'avons plus le contenu de l'enveloppe, et nous ne pouvons donc pas comparer. C'est fini, Ann'. Dam est parti. Je comprends que cela t'ai donné de l'espoir, mais ceci en est un bien trop mince pour être vrai.

Mes larmes redoublèrent d'intensité.
- Je suis tellement désolée, Vic. C'est moi qui vous empêche tous de passer à autre chose. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je vous répète une énième fois que ce n'était pas Dam, qu'il n'a pas fait cela de son plein gré... Mais je sais au fond de moi que la vérité, nous la connaissons depuis le début, elle était contenue dans l'enveloppe. Dam est parti. Dam nous a quitté, volontairement. Il s'est joué de mon amour, à foutu en l'air des années d'amitié avec vous. Mais mon cerveau de veut pas l'admettre. Je l'aime tellement, Vic, sanglotais-je. Je ne pourrais jamais cesser de l'aimer. Pardon.

Vic était maintenant elle aussi en train de pleurer. Elle prit mon visage entre ses mains, caressa mes paupières gonflées.
- Tu n'as pas à être désolée. Chut... Pleure, c'est normal. Tu sais, aucun de nous n'a aussi la force d'admettre la vérité. Au contraire, nous t'admirons tous. Ton amour te donne du courage, de la motivation. Chacun, je crois, sait que son départ n'était pas normal. Qu'il y'a quelque chose que nous ignorons, que cela ne peut pas être le vrai Dam. Mais nous avons tellement peur que nous préférons nous taire plutôt que de continuer à chercher. Alors, Ann', je crois que tu m'as convaincue : on va essayer de trouver la vérité, coûte que coûte. Même si elle nous fera encore plus mal qu'en ce moment.

Je la serrais dans mes bras, pour la remercier.
- Mais pour cela, il nous faudrait déjà un moyen de contacter le manager. Il a coupé tous les ponts avec nous, mais il est forcément au courant de quelque chose. On sait tous que Dam était son chouchou ; jamais il ne l'aurait laissé s'enfuit ainsi.
Elle se releva, s'empara de son téléphone et se mit à fouiller dans son répertoire afin de trouver le numéro.
La sonnerie retenti quelques secondes, puis s'arrêta. « Le numéro que vous demandez n'est pas attribué ».
Silence de mort.
- C'est impossible. C'était écrit dans la clause du contrat ; que même ce dit contrat rompu, nous devions toujours pouvoir le joindre. Il est également impossible qu'il ai changé de numéro. Le contrat stipulait toujours que nous devions être directement prévenu dans ce cas. Rien n'a été fait. Dans le meilleur des cas, ce changement n'a rien à voir avec la disparition de Dam, et je peux comprendre qu'il ai juste oublié. On va l'appeler sur un autre téléphone, avec lequel il n'a jamais eu d'appels. Si il ne répond pas, la théorie est confirmée. Il a changé de numéros, à oublié de nous prévenir... Je comprends. Mais si il décroche, c'est qu'il a bloqué nos numéros, C'est le signe qu'il y'a réellement quelque chose qui cloche. Et enfin, quand on aura la réponse à cette question, on avisera d'un plan ou non.
- Super. Il y'a une vieille cabine téléphonique en bas de l'immeuble, on peut aller tester ça directement dessus.
Nous sortîmes alors toutes deux de l'appartement en trombes, afin de répondre le plus vite possible à notre hypothèse. Alors que nous dévalions les escaliers, je ressentis pour la première fois depuis à présent plus de deux mois, une faible lueur d'espoir. Un nuage qui se dégageait, et qui laissait timidement apparaître un doux rayon de soleil. Mon cœur battait encore à tout rompre. Dam. Je t'aime, Dam. Et nous serons rapidement si toi aussi, tu m'aimais vraiment. Ou si mes sentiments ne m'ont que leurrée encore une fois de plus, et que tu m'a en réalité bien prise pour une cruche.
Une fois dehors, nous traversâmes la rue, et ouvrîmes violemment la porte de la petite cabine. Vic trifouilla quelques instants dans la poche de son jean afin d'en sortir une pièce pour activer le téléphone.
Cling. Le bruit de la pièce de deux euros glissant dans la petite fente en métal.
Vic faisait nerveusement alterner son regard entre les touches de la cabine et l'écran de son téléphone, sur lequel était affiché le numéro du manager.
Une sonnerie. Puis deux. Trois.
- Allô ?
La voix doucereuse et aiguisée du manager retentit dans toute la cabine.
Incapables de dire un mot, nous raccrochâmes directement, et sortîmes du minuscule espace aussi vite que nous le pûmes.
- Allô Ethan ? fit Vic d'une voix blanche, en appelant notre ami. Viens tout de suite. Demande aux autres de nous rejoindre. Maintenant.

Métro, boulot, Damiano Where stories live. Discover now