Chapitre 17

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Je ne gardais que de vagues bribes de souvenir de ce procès. Après l'annonce du verdict, je n'arrivais plus à me rappeler précisément ce qu'il s'était concrètement passé : on a dû me déposer chez moi, je me suis jetée sur mon lit et endormie. Je crois qu'ils avaient proposé de rester avec moi cette nuit, mais je suppose que j'ai refusé.
Nous étions donc le lendemain matin, et je venais d'ouvrir les yeux en me rappelant de la veille.
On m'appela vers midi : c'était Vic, qui nous donnait rendez-vous au studio pour une réunion de crise, en début d'après-midi.
Sans aucune motivation, ni aucune émotion, je me préparais à y aller. Je m'étais résignée à faire disparaître toutes mes économies dans l'achat du studio miteux en banlieue de la ville, afin de ne pas finir totalement à la rue.
Je comptais annoncer cela à mes amis dès maintenant.
Je ne voulais pas affronter le regard de Damiano tout de suite, alors je lui envoyais un message le prévenant que je me rendrais au studio en métro. Attirer leur pitié me donnait envie de vomir. Je n'étais dépendante de
personne, et j'allais me débrouiller seule.
J'arrivais donc au studio avec quelques minutes de retard, dues à un problème survenu sur la rame dans laquelle j'étais quelques instants auparavant.
- Salut, dis-je à tout le monde en rentrant dans la pièce, où ils étaient tous assis sur le canapé.
Mon ton morose et sans émotion sembla les surprendre.
- Ann' ! Tu... Ça va ? m'interrogea Esther.
Je haussais les épaules en guise de réponse.
Thomas prit directement la parole :
- Je viens d'avoir le manager au téléphone. Il ne comprend pas comment tu as pu perdre une partie du procès. Son avocat et lui s'attendaient à une décision binaire de la part des jurés, et pas à un semblant de partage entre les deux parties. C'est incompréhensible, m'a t-il dit. Mais il ne te conseille pas de faire appel, il dit que ça pourrait encore plus te nuire. En fait, l'avocat choisit par tes parents était bien plus compétant et manipulateur que prévu. On est tellement désolés. Mais ne t'en fais pas, on a déjà pensé à...
Je le coupais directement.
- Non, non ne vous embêtez pas à chercher des solutions. J'avais déjà réfléchi à mon plan dans le cas où une des deux requêtes que je demandais serait perdue. J'ai rendez-vous dans une semaine chez le notaire, pour signer le contrat de location d'un nouvel appartement.
- Hein ? Comment ça ? me demanda Vic. Où est-il ? Il est bien ?
- Oh, il se trouve dans la banlieue, à environ une heure de bus du studio. Mais c'est pas un problème. De toute façon, on a pas le choix.
Le visage de Dam semblait s'être décomposé. Ethan prit la parole :
- Ann', on va pas te laisser faire ça. Je vois très bien le genre d'appartement dont tu parles. Les moins de dix mètres carré, perdus entre des tours d'immeubles interminables, où il n'y a pas d'isolation et où le chauffage ne marche qu'un jour sur deux, même en plein hiver. Je sais de quoi je parle. J'y ai vécu la première partie de ma vie .
Je ne savais pas trop quoi répondre. Mon futur logement était tout ce qu'Ethan venait de décrire. Mais je ne voulais surtout pas que ça se sache ! Non, je n'en avais absolument pas honte, mais je savais pertinemment que mes amis réagirait de manière assez virulente.
C'est ce qui se fit, lorsque Dam prit la parole.
- Non, non, non ! Anna. Tu ne vas pas faire ça. Tu ne vas pas foutre toutes tes économies en l'air, et t'ajouter une nouvelle liste de problèmes pour un appartement délabré. On ne te laissera pas faire ! On a une solution, que...
Je coupais une nouvelle fois la parole à mon interlocuteur :
- Je sais que vous avez sûrement une solution, et vous ne pouvez pas savoir à quel point je vous en suis reconnaissante ! Chaque jour, je remercie l'ancienne Anna déprimée qui a décidé de déménager ici, et qui vous a rencontré. Jamais je n'ai été aussi heureuse qu'avec vous. Mais je refuse de vous mêler à mes histoires familiales, et surtout à vous rajouter des ennuis. Je ne veux être dépendante de personne. Je veux me débrouiller seule. Je vous fait confiance, plus qu'à n'importe qui d'autre, mais quand je vois mes parents, et tous les moyens qu'ils déploient pour me faire souffrir, je n'y arrive plus. Ce n'est pas vous, ça ne sera jamais vous, c'est moi. C'est mes parents.
Plus personne ne me répondit de suite. Vic, Esther et Ethan fixaient le vide, les yeux hagards et tristes. Dam se leva soudain brusquement, et sortit de la pièce en claquant la porte. Je jetais un regard confus aux autres, qui n'en savaient visiblement pas plus que moi.
Après un instant d'incompréhension, Thomas décida de faire comme si rien ne d'était passé et prit la parole.
- On sait que ce tu vis. Et on ne te reprochera jamais rien à ce sujet. Mais il faut que tu comprennes que tu es à un point de ta vie crucial, et le moindre mauvais choix pourrait tout gâcher. Alors écoute nous juste. On ne te force à rien, mais essaye juste d'entendre notre proposition.
Je finis par céder à sa demande. Ethan reprit :
- Ne nous interrompt pas, et écoute juste. Parce-que on sait que notre idée ne va pas forcément de plaire, dit-il doucement. Mais elle me parait bien plus sensée et saine que celle d'acheter le premier studio miteux venu. C'est Dam lui même qui a proposé : son appart est grand, et dispose de trois chambre. Dont deux non occupées, tu comprendras. Dam en est également propriétaire, ce qui signifie qu'en dehors des impôts habituels, il n'y a rien à payer.
Je n'avais pas de mots. Évidemment que cette proposition me convenait. Vivre en collocation avec un de ses meilleurs amis ou jeter toutes ses économies dans un appartement pourri ?Mais comment pourrais-je accepter ? Surtout que l'intéressé venait de partir en claquant la porte, d'un air coléreux que je ne connaissais que trop bien.
- Alors ? s'enquit Esther. T'en penses quoi ?
- J'en pense que... Je... Je ne sais pas trop. Cela signifie vivre avec Dam tout le temps, et j'ai peur de ne pas être à la hauteur.
- À la hauteur de quoi ! Dam s'est proposé directement. Et je sais que tu penses, et je vais répondre à ta remarque sans même que tu ai à la formuler : il fait ça parce-que tu es importante pour lui. Pour nos tous. Et si Dam, que je connais depuis assez longtemps pour le qualifier de solitaire, se propose pour vivre avec toi, c'est pas un engagement à la sauvette. Je pense qu'il le fait pour toi, mais aussi pour lui, conclu Thomas.
- Je... Je crois que vous m'avez convaincu. Mais il faudrait peut-être retrouver Dam, avant tout ça ? Où est-il parti ? Et pourquoi ?
- Je ne sais pas. Mais ce n'est rien contre toi.
Je vais aller le chercher !
Thomas revint donc rapidement, au bout de quelques instants, Dam sur ses talons. Il avait une cigarette négligemment posée sur le coin des ses lèvres, et son crayon noir s'était légèrement estompé sous son œil.
- Alors, vendu ? me demanda t-il.
- Vendu, lui répond is-je timidement.
Son sourire s'élargit aussitôt.
- Alors, pour quand ton emménagement est-il prévu ?
- Je ne sais pas encore trop. Mais je crois que le juge avait mentionné hier une date limite concernant mon départ. Début mars, je crois. Le temps de me laisser trouver un autre endroit.
- Que tu as déjà trouvé ! On peut donc se prévoir le déménagement bientôt, non ?

Son changement soudain d'humeur me laissait perplexe. Il y'a à peine un quart d'heure, il quittait furieusement la pièce, et là, il se
montrait le plus jovial possible.
- Je pense qu'on peut le prévoir bientôt, on sera vite soulagé et débarrassé, comme ça. Le week-end prochain ? Vous pourrez nous aider, les gars ? demandais-je à tous les autres.
- Évidemment, me répondit Vic. Pour rien au monde on ne raterait ça. Mais en attendant, que dites vous d'un resto ? Il est 14h30, je sais, mais personne n'a mangé. Et j'ai très faim.
On accepta tous volontiers sa proposition.

J'étais si heureuse que tout se soit réglé si facilement. Jusqu'à présent, je n'avais jamais eu confiance en personne. Mes parents m'avaient vite faire comprendre que je ne pouvais compter que sur moi même, et une fois que le mécanisme est en marche, le stopper est quasiment impossible. Mais pas totalement. Pour la première fois de ma vie, j'avais conscience d'être entourée de gens qui me voulaient du bien.

Le déjeuner se passa donc dans la bonne humeur, de même que toute la semaine qui suivit. Malgré tout, je n'arrivais pas à me faire à l'idée que j'allais vivre avec Damiano. Comme un coupl... Non ! Non. Comme deux amis qui s'aident dans la galère.
Dès le soir qui suivit cette décision, je commençais à faire mes cartons. Mes possessions n'étaient pas nombreuses, alors une fois que mes vêtements, mes instruments, mes livres, CD, vinyles et tout un bric-à-brac
restant furent emballés en trois jours, il ne me restait plus grand chose à faire. Les meubles restaient là, ils étaient la propriété de mes parents.
Ils m'avaient dit qu'ils avaient prévu de vendre l'appartement, alors je pense qu'ils finiront par s'en débarrasser rapidement. Mais vu toutes les horreurs qu'ils étaient près à me faire subir, embarquer le mobilier me semblait plus être une mauvaise décision qu'autre chose.
Le mercredi soir, Damiano tint à m'inviter chez lui et à me faire une visite guidée, même si j'étais déjà venue des dizaines de fois.
- Tu comprends, c'est pour se mettre dans l'ambiance. D'ailleurs, tes posters sont très sympas, j'ai hâte de les afficher.
- On les mettras où ? Perso, je vois bien celui de Nirvana sur la porte de la cuisine.
-Mmmh... Pas mal. On retient l'idée. En attendant, j'espère que ta future chambre te plaît !
- Évidement, elle est super ! Bien plus grande que celle que j'ai actuellement. Et encore une fois, Dam, merci. Je sais que je me répète, mai tu ne peux pas savoir à quel point je...
- Je sais Ann', je sais. Tu me le répètes quinze fois par jour. Et puis, ça corsera notre pari...
Il releva les sourcils en même temps. Je lui assénais une tape sur l'épaule en riant.
- Bon, je dois y aller. Je boucle ma paperasse. À demain !
Puis prise d'un élan de bonté, je lui plantais un baiser sur la joue. Je partis ensuite dans me retourner, mais en passant devant la vitre je vis son visage qui rougissait.
- À demain, Ann'.

Puis je me couchais directement, emplie d'un bonheur sans nom. J'étais libre.

Métro, boulot, Damiano Where stories live. Discover now