Chapitre 30

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- On fait un scandale. On appelle les médias, on s'arrange pour que ça fasse la une de tous les journaux, proposa Ethan.
Nous étions tous réunis chez lui, assis en cercle afin de mettre en place un plan. Quelques heures avant, nous nous étions rendus au studio, afin de demander une rencontre avec le manager. L'hôtesse de l'accueil lui avait directement téléphoné dans son bureau ; il lui a ordonné de ne surtout pas nous faire monter à l'étage. De ce que nous avions interprété, en tout cas.
Alors nous y avons courus, dans ce bureau. On a tambouriné à la porte durant de longues minutes, jusqu'à en avoir les poings rougis et douloureux.
- Où est Dam ! entendais-je hurler de tous les côtés.
Mais aucune réponse de nous était parvenu. Rongés par la rage et le désespoir, nous étions repartis les bras ballants, mais avec la ferme intention de mener notre propre enquête.

- C'est la seule solution qu'il nous reste, répondit Thomas à notre ami. Porter plainte tout de suite ne sera pas utile, alors commençons à alerter les médias. Peut-être que la pression engendrée par ceux-ci suffira à le faire craquer et à nous raconter la vérité.

Car à présent, il était certain que Dam n'était pas parti de son plein gré. Le manager y était pour quelque chose ! Et nous devions connaître la vérité le plus rapidement possible.
J'intervins alors :
- Mais si on rend l'affaire publique, le risque que cela se retourne contre nous est énorme ! Et cela sous-entendrait aussi clairement que nous sommes séparés : quand bien même nous insisterons sur le fait que ce n'est pas de notre faute, l'annonce d'une rupture pourrait être très néfaste. Et comme je l'ai déjà dit, si le manager a déjà un plan bien échafaudé, il lui sera très facile, avec toute sa notoriété, de retourner cette histoire contre nous.
- C'est vrai, merde.
- Qu'est ce qu'on va bien pouvoir faire ? Il faut agir, et vite. Car, au final, si Dam s'est bien juste fait entourlouper par le manager, on ne sait même pas si il est en vie. J'abuse délibérément, mais tout ça pour dire que l'on a aucune idée de ce qu'il est advenu de lui depuis octobre. On est déjà en février, conclu Esther.

Silence de mort. La vérité, planant au dessus de chacun de nous comme une épée de Damoclès depuis le début, venait de s'abattre sur nos têtes avec une violence inouïe.
La voix cassé, Vic mit fin à la discussion :
- Il est trop tard pour continuer de débattre, et nous sommes tous bien trop fatigués. Ce que je propose, c'est que l'on aille tous se coucher afin de recharger les batteries. On y verra plus clair demain.
- Bonne idée, approuvèrent mes amis.
Sans nous donner la peine de rentrer chez nous, nous dormîmes tous chez Ethan. Vic, Ethan et moi avions prit des coussins que nous avions disposés à même le sol ; après une telle journée, il nous était inimaginable de nous séparer, même pour dormir. Esther et Thomas, eux, étaient allongés l'un à côté de l'autre sur le canapé ; la main de Thomas caressait doucement la joue de celle qu'il aimait.
Cette vision me fit monter les larmes aux yeux. Pourquoi avaient-ils le droit de vivre leur histoire ? Pourquoi la mienne avait-elle du être avortée si brusquement ? Pourquoi ?
Dans un tourbillon d'images se succédant dans mon crâne endolori par la tristesse et l'incompréhension, je revivais sans cesse les instants que j'avais passé avec Dam. Notre première rencontre, dans ce même appartement, alors qu'il m'avait accompagné développer mes photos. Le réveillon de Noël que nous avions passé ensemble, la danse dans laquelle il m'avait entraînée ce soir là. Nos baisers sous le gui, devant les paparazzis. Ce foutu pari, que nous avions mit en place quelques jours après mon agression. Cette même agression, dont il m'avait sauvé. J'en ai presque tout oublié, mais une seule chose me reste en mémoire. Alors que, après le coup que j'avais reçu dans mâchoire, j'étais en train de tomber dans les pommes, j'avais senti la présence de Damiano. Ses bras m'avaient soulevé, ses lèvres s'étaient posées sur mon front avec une douceur infinie. Ses mains avaient caressé mes cheveux, ses paroles rassurantes résonnant encore dans mes oreilles.
Les larmes coulaient à présent sur mon visage. Sa disparition avait créé en moi un vide que je n'avais jamais connu jusqu'à présent. Mais ces derniers jours avaient fait renaître moi de l'espoir : si ce brutal départ s'était fait contre sa volonté, il était donc encore possible qu'il pensait réellement tout ce qu'il m'avait dit ce soir là. Qu'il m'aimait, pour de vrai. Et que, si ce n'était pas mon imagination désespérée qui me jouait des tours, il puisse également être à ma recherche. Ces vains espoirs m'aidèrent à m'endormir.
Le lendemain matin, je fus brutalement réveillée par la main de Vic qui secouait mon épaule. Son teint était livide. Elle tenait entre ses mains un magazine, qu'elle me tendait. Non pas un people comme à l'habitude, mais une vraie revue musicale. Une photo de Dam occupant la totalité de la couverture était en partie recouverte par un grand titre :
« Damiano, de Måneskin à la carrière solo. »
Le regard de Dam sur cette image était perçant, ses pupilles semblaient lire à travers mon âme.
Dans l'incompréhension la plus totale, je tournais maladroitement les pages jusqu'à trouver celle qui contenait son interview.
« Entretien exclusif avec Damiano David, l'ex-leader du groupe rock Måneskin, qui se lance à présent dans sa carrière solo. »
Puis débutait une longue série de questions.
- Damiano, nous avions bien remarqué que Måneskin se faisait muet, ces derniers mois. Était-ce donc lié à votre départ ?
- En quelques sortes, oui. En fait, je n'ai pas vraiment eu le choix. Il y'avait visiblement des tensions que j'ignorais, et dont je n'ai été averti qu'au dernier moment.
- C'est à dire ?
- Et bien... En réalité, nous étions en vacances ce soir là. Après une soirée où nous étions restés en petit groupes séparés, on m'a téléphoné à une heure avancée de la nuit. Pour m'avertir que dans mon dos, les autres membres du groupe avaient décidés de m'en exclure.
- Quelle nouvelle choquante ! Ce que vous avez ressenti à cet instant devait être affreux.
- Bien entendu. Sans aucunes explications de leur part, mes meilleurs amis me demandent par l'intermédiaire de notre manager de quitter le groupe. Je ne ressentais qu'une incompréhension profonde, qui s'est bien entendu fait suivre par une blessure interne sans nom...
- Mais vous voilà de nouveau sur scène ! Vos anciens amis doivent bien regretter leur décision !Qu'avez vous donc au programme ?
- Pour le moment, pas grand chose. Je ne compte pas faire de sorties pendant quelques temps, histoire de me remette de mes émotions. La seule chose que je vous accorderais pour cette interview, c'est une de mes compositions. Une composition ancienne, que j'ai réalisée en 2018. Et que j'ai légèrement modifié ces derniers jours.
- Ce serait un plaisir ! Quand est-ce que sera disponible ce single ?
- Dès demain.
La suite des questions n'était plus très intéressante. Incapable de réaliser un geste, je levais doucement la tête vers mon amie.
- On doit faire vite. Très vite. On rediscutera de tout ça après.
Tout le reste de mes amis devaient être au courant, c'est en me relevant du lit de fortune sur lequel j'étais encore affalée que je me rendis compte qu'ils étaient tous assis, le regard dans le vide ou la tête dans les mains, de part et d'autre du salon.
C'était donc cela, la vérité. Le manager avait monté une histoire de toute pièce afin de faire voler le groupe en éclat, pour ainsi pouvoir s'approprier Dam rien que pour lui.
Mon dieu. Comme il devait nous haïr ! Comme il devait me haïr ! Les larmes dévalaient mes joues à une vitesse folle.
Le manger avait sûrement aussi fait envoyer ces lettes chez nous afin de nous faire, à nous aussi, gober une autre histoire pour être sûr que nous ne reviendrons pas vers lui. Le stratagème était intelligent. Mais que pouvions nous donc faire maintenant ?
Dans le pire des cas, Dam refuserait de nous adresser la parole. Le manager et son armée d'avocats nous dissuaderaient rapidement de commencer une bataille juridique infernale, qui ne ressouderait en rien les liens du groupe.
La seule solution que nous avions était, comme prévu initialement, d'à notre tour contacter les médias.
Afin de leur raconter notre version de l'histoire. Il le fallait, jamais aucun de nous n'aurait pu supporter que des années d'amitié et de travail passionné et acharné se finisse ainsi.
- J'appelle notre ancien chargé de communication, nous dit Ethan. Il sera quoi faire.
Celui-ci nous donna rendez-vous au studio dans l'après-midi, sans poser plus de questions.
Ethan reprit :
- Il m'a dit qu'il nous aiderait du mieux qu'il le pourrait. Qu'il n'avait jamais vraiment senti le manager, et qu'il était prêt à tout pour révéler son vrai visage au grand jour !
- Ouf. C'est déjà cool d'avoir quelqu'un de notre côté, soupira Esther.
Il nous fallait donc maintenant nous armer de patience jusqu'à 14h, heure du rendez-vous. En attendant, je me connectais sur internet afin d'obtenir plus de détails sur la chanson que Dam avait mentionné dans son interview. J'appris alors qu'elle devait être diffusée en live à la télé, dans moins de 5 minutes. Je préviens mes amis, avant que nous nous asseyions tous sur le canapé et que nous allumions la télé.

Deux journalistes discutaient devant la caméra. Au bout de quelques secondes, des applaudissements retentirent. Et pour la première fois en trois mois, je vis le visage de Dam s'afficher en grande devant moi. Mon cœur se resserra aussitôt, et de douloureux papillons s'agitèrent aussitôt dans mon ventre.

Il n'avait pas changé, à quelques détails près. Sa coupe de cheveux était la même, son éternel trait de crayon sous l'œil et ses gestes étaient aussi toujours présents.
Mais alors qu'un zoom se fit sur son visage, ses traits me frappèrent. Ses yeux étaient creusés par la fatigue, et le font de teint avait eu peine à cacher ses cernes toujours visibles. Et surtout, ses yeux ne brillaient plus de cet éclat que je lui connaissait avant. Non, ils étaient éteint. Sa mouvance semblait lasse, sa bouche s'affaissait légèrement sur le côté.
Nous avions tous la gorge noué, le regard fixé sur l'écran. Puis il prit la parole.
- Buongiorno, signori e signore. Je devais aujourd'hui vous interpréter ma nouvelle composition, dont je vous ai parlé l'autre jour. Mais je crois que je ne me sens pas encore assez prêt. Alors, je vais à la place vous chanter une reprise, qui me correspond mieux pour le moment, conclu t-il d'une voix morne.
Cette modification ne devait pas être prévu, vu les regards étonnés des journalistes.
Dès les premières notes, je reconnus la chanson.
- I would say I'm sorry
If I thought that it would change your mind
But I know that this time
I have said too much
Been too unkind...

Boys don't cry, des Cure.
Sa voix emplissait la pièce, et me faisait croire qu'il se tenait à côté de moi. Jamais, je crois, je n'ai autant voulu qu'à cet instant sentir sa présence.
J'avais l'impression qu'il me parlait. Il fixait la caméra intensément ; ce regard me faisait mal.
Il ne lâchait toujours pas la caméra du regard, comme si il savait que je le regardais. Comme si il savait que je l'entendais.

Métro, boulot, Damiano Where stories live. Discover now