Chapitre 36

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Victoria.

Nous étions à présent arrivés sur le seuil de l'immeuble, les bras chargés de pizzas et de bouteilles. Dam me répéta alors pour l'énième fois de la soirée :
- Encore merci pour tout, Vic. Je me demande encore comment vous avez pu me pardonner.
- Roh, Dam. On te l'a déjà dit mille fois : rien n'est de ta faute, rien. Tu n'as pas à te sentir coupable ou redevable de quoi que ce soit ! Alors arrête de faire ton pick-me boy et profite du moment, lui répondis-je avec humour.
Il rit, puis me planta un baiser sur la joue.
- T'as raison. Mais je crois que je ne pourrais jamais m'empêcher de vous le répéter, jusqu'à ce que je sois mort et enterré..
Nous gravîmes alors les escaliers quatre à quatre et déboulâmes dans l'appartement de Dam et Ann', où tout le monde était encore assis à la même place que lorsque nous étions partis.
Dam, après s'être débarrassé de son chargement, sautilla pour s'asseoir directement à côté d'Ann et lui passa un bras affectueux autour des épaules.
En les voyant tout les deux, je me suis soudain dis que, je crois que jusqu'à présent, je n'avais jamais été aussi heureuse pour eux que je ne l'ai déjà été pour quelqu'un d'autre que moi.
Depuis que je connais Dam, c'est à dire depuis bien six ou sept ans, je ne l'avais jamais vu se comporter ainsi avec une fille. Il avait toujours été un peu volage - il se passait rarement un mois sans qu'il nous ramène quelqu'un - , mais jamais il ne s'était mit dans cet état, celui dans lequel il était avec Anna. Cela crevait les yeux qu'il était fou amoureux d'elle. Tout comme elle l'était aussi.
Mon Damiano, c'est comme mon frère, et j'ai toujours eu mal pour lui quand je voyais quelle catastrophe ambulante il pouvait être avec ses relations amoureuses. Dès l'arrivée d'Ann' parmi nous, j'ai bien remarqué que quelque chose ne tournait pas rond de son côté. Les premières semaines, je me rappelle qu'il avait complètement pété un câble ; il ne supportait plus de passer du temps avec nous, et ne nous rejoignait que pour les séances au studio. Il avait aussi piqué une crise de jalousie concernant une soit-disante relation ambiguë entre Ann' et Thomas, ce qui m'avait complètement fait virer : je lui avais clairement indiqué ce jour là, je m'en souviens bien, que si il ne changeait rien à son comportement, je n'hésiterais pas à quitter le groupe. C'était un coup de bluff, bien entendu. Mais il était vraiment infect. Puis, un jour, il redevint soudainement le Damiano habituel, sans préavis : nous étions tous éberlués, car c'était Annqui nous avait confié avoir eu une discussion avec lui. Comment avait-elle réussi à le calmer, alors que même nous, ses meilleurs amis, avions échoués à la tâche ? Nous n'étions pas jaloux, au contraire : c'était la preuve que Anna avait vraiment quelque chose de spécial, que toutes les bonnes ondes qu'elle semblait dégager le jour de notre rencontre étaient bien réelles.
C'est là que j'ai compris que quelque chose ne tournait pas rond ! Dam n'aurait jamais accepté qu'une personne qu'il ne connaissait que depuis peu de temps lui intime des ordres ou des conseils comme ceux-ci. Car, je crois, cela ne faisait qu'environ un mois ou deux maximum que nous connaissons Anna. Et dès cet instant, j'ai compris que Dam ressentait bien plus que de l'amitié à son égard. Je n'en ai parlé à personne, je ne voulais absolument pas brusquer les choses, alors que nous venions à peine de retrouver notre équilibre.
Et je ne voulais surtout pas imposer cela à Ann'.Je suis, de mon côté, immunisée du charme de Dam que je considère comme un frère que je n'ai jamais eu, mais je sais très bien que pas mal de filles succomberaient à lui sans grands efforts. Et malgré des sentiments de Dam qui me semblaient évidents,je trouvais ça cruel d'en informer Anna qui aurait souffert de cette histoire. Car encore à l'époque, il m'était impossible d'imaginer Dam dans une relation saine et stable. Ce n'était pas un briseur de cœur pour le plaisir, même si il a tout à fait conscience de ce qu'il dégage, non. Il ne sait juste pas comment s'y prendre.
Mais petit à petit, plus les mois passaient, plus je me rendais compte que Ann' s'était également mise à développer quelque chose pour Dam. Cela ne sautait pas aux yeux, il fallait y être attentif, mais j'étais assez proche d'elle pour m'en apercevoir. Mais encore une fois, je ne voulais pas brusquer les choses. Anna vivait des choses compliquées avec sa famille ; Dam était un handicapé sentimental. Le cocktail me paraissait trop explosif pour être durable (même si je dois reconnaître maintenant que je me suis bien trompée).
J'aurais également eu le cœur brisé de les voir détruits par une relation trop précoce. Même si je ne connaissais Anna que depuis quelques mois, la relation que j'entretenait avec elle m'avait redonné foi en l'humain, contre lequel je m'étais bâti d'infranchissables remparts ces dernières années.
Anna était la première vraie amie que je m'étais faite depuis longtemps. Créer des liens avec la célébrité rendait les relations très hypocrites, j'avais l'impression que les gens cherchaient à me côtoyer par simple intérêt. Ce n'était pas le cas pour tout le monde, mais cela m'effrayait bien trop pour que je tente une quelconque nouvelle relation avec quelqu'un qui ne m'était pas déjà connu d'avant. J'étais entourée de garçons, et même si je trouve leur compagnie souvent plus agréable que celle la gente féminine par moment, ce manque finissait parfois par se faire sentir.
Et la première fois que j'ai vu Anna, je ne saurais expliquer pourquoi, mais je me suis soudain délestée de toute méfiance et lui ai accordé toute ma confiance dès le premier instant. Peut-être dégageait-elle une aura rassurante qui m'a tout de suite calmée ; je ne saurais trouver d'autres explications à cette soudaine guérison de mon anxiété sociale.
Je me sens bien avec elle, c'est une personne qui dégage, comme je l'ai déjà dit précédemment, une aura rassurante, une aura de bienveillance. Peut-être est-ce également ça qui a fait succomber Dam.
Ces deux là s'attiraient et se repoussaient comme des aimants, c'était assez perturbant. Alors que je me sentais prête à jouer l'entremetteuse avec l'un des deux pour le pousser à avouer ses sentiments à l'autre, une soudaine distance se créait entre eux. Alors je me suis dis qu'il fallait sûrement laisser les choses se faire naturellement. Et avec le recul, je peux me confirmer que j'ai bien fait.

Nous étions alors toujours assis en cercle dans le salon de Dam et Ann' en train de terminer les derniers restes du repas. Nous avions passé la soirée à ricaner, à se raconter des bêtises en profitant de l'insouciance qui nous était de nouveau accordée. Thomas nous fit alors un peu redescendre :
- Il faut que l'on sorte un truc, dans les jours qui viennent. Pour que les gens sachent que l'on revient, maintenant que tout le monde est au courant pour le manager. Ça serait bête de se faire oublier...
- Bien vu l'aveugle, ricana Dam.
Je compris qu'il utilisait le second degré pour cacher une de ses angoisses : celle qu'on lui demande une chanson. Alors qu'il m'avait vaguement confié n'en avoir qu'une dans son répertoire : celle inspirée de la jeune femme d'un ancien concert. Que je soupçonne fortement d'être Anna, les indices que j'ai amassés ne permettent plus d'erreur ! Cela me fait sourire ; l'univers fait décidément très bien les choses : combien de chances avaient-ils de se retrouver ainsi, des années plus tard ?
Puis, à me grande surprise, Dam s'éclaircit un peu la gorge avant de prendre la parole.
- J'ai bien quelque chose. Mais je ne sais pas trop quoi en penser, c'est un son assez vieux et...
Tout le monde, excepté Ann', avait compris de quelle chanson il s'agissait. La fameuse chanson mystère...
- Bon je me lance, conclu t-il en riant nerveusement.
Il s'empara d'une des guitares d'Ann' qui traînait dans un coin de la pièce, et la posa sur ses genoux. Il se racla une dernière fois la gorge, et commença à chanter d'une voix éraillée :
- Ma dimmi le tue verità
Coraline, Coraline, dimmi le tue verità
Coraline, Coraline, dimmi le tue verità
Coraline, Coraline, dimmi le tue verità
Coraline Coraline
Coraline bella come il sole
Guerriera dal cuore zelante
Capelli come rose rosse
Preziosi quei fili di rame amore portali da me
Se senti campane cantare
Vedrai Coraline che piange
Che prende il dolore degli altri
E poi lo porta dentro lei...

Je n'avais aucun mots pour décrire ce que j'entendais. Les paroles étaient si belles, si fluides, emplies d'émotion. Tout faisait écho en moi. Tout comme cela devait également faire écho en Anna. Sûrement même en chacun d'entre nous. Je compris que c'était là bien la chanson qu'il avait dédiée à Anna. Quand il fredonna doucement les dernières paroles, je compris dans son regard qu'il était probablement en train d'aussi penser à ça et qu'il n'était pas vraiment prêt à lui avouer. Je lui souris, pour le rassurer. Il ferait les choses à son rythme. Et il les ferait bien, je le sais.

Quand ses mains relâchèrent légèrement l'instrument, il se mit à fixer chacun d'entre nous, à la recherche de regards qui lui donneraient ou non l'approbation qu'il attendait nerveusement.
Alors que je tournais légèrement la tête, je remarquais que chacun avait, tout comme moi, les larmes aux yeux. Dam aussi. Personne ne savait trop quoi dire, nos émotions avaient prit le dessus. Ethan fut le premier à s'exprimer :
- J'ai pas grand chose à dire, à part que si on sort ça, on est Top 1 jusqu'à la fin du siècle.
Tout le monde rit et approuva la remarque.
Les yeux anxieux de Dam se délestèrent aussitôt de ce poids qui fut remplacé par un éclat joyeux. Il se leva, et reposa timidement la guitare sur son pied, comme si il ne venait pas de nous faire écouter un des plus beaux chefs-d'œuvre qu'il n'avait jamais produit.
Il retourna s'asseoir à côté d'Anna, qui s'essuyait le visage du plat de la main. Il lui repassa le bras autour des épaules et posa sa tête sur son crâne. Blottie contre lui, le visage dans son cou, nous la vîmes alors sourire malgré les larmes qui roulaient le long de ses joues.
Nous avions tous compris, Thomas, Ethan et moi, que la chanson parlait bien d'elle. Et nous avions tous également compris qu'Anna l'avait sûrement elle aussi compris.

Métro, boulot, Damiano Où les histoires vivent. Découvrez maintenant