Chapitre 38

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Ethan.

Quinze heure et trois minutes passées. Une fois garé, je coupais le moteur et reculais mon siège en arrière afin d'attendre Thomas dans une
position confortable. Car, le connaissant, il ne me rejoindrait pas avant une bonne dizaine de minutes. Thomas et la ponctualité, ça a toujours fait deux, aussi loin que je puisse me le rappeler !
Effectivement, lorsque mon tableau de bord afficha quinze heure et onze minutes, celui-ci sortit du hall de son immeuble en trombe, rangeant ses clefs dans sa poche tout en enfilant sa veste.
- Désolé pour le retard, mec. J'ai eu un petit contretemps, me dit-il en rentrant dans la
voiture.
Nous éclatâmes de rire tout les deux. Le contretemps de Thomas était, nous le savions tous, une vaine excuse pour justifier l'inexcusable. Cela faisait des années qu'il nous répétait cela à chaque retard, et nous avions finit par prendre cela comme une bonne blague.
- Bon, monsieur Torchio, reprit-il. Direction le studio ?
- Avec grand plaisir, lui répondis-je tout en enclenchant la clé dans le contact. Dam et Ann' sont déjà là-bas, et Vic arrive en bus.
- Nickel, ma poule. Je viens d'avoir Esther. Elle arrive demain !
- Oh putain, c'est top ça ! Elle nous avait à tous vraiment beaucoup manqué. Et la guérison de son père, de ce que j'ai compris, s'annonce plus que certaine. Qui aurait dit mieux ?
- Personne, conclu t-il dans un sourire ravi.

Cinq minutes plus tard, nous étions en train de nous garer devant le studio. À l'instant où nous mîmes les pieds dedans, une vague de nostalgie s'empara de nous. Retourner au studio, ensemble. Pour s'enregistrer, pour écrire, pour passer la nuit à composer des trucs sans queues ni têtes qui nous feront exploser de rire le lendemain.
La guerre était fini, tout était rentré dans l'ordre, et nous remettions petit à petit les pieds dans notre ancien quotidien, celui qui nous avait à tous tant manqué.
Les retrouvailles avec Dam s'étaient passées comme dans un rêve ; je ne sais pas comment elles auraient pu se dérouler autrement mieux. Dam était pour nous tous le pilier, le mur porteur, la colonne vertébrale du groupe. Au delà du fait que, nous le savions tous, il était considéré par les fans ou plus ou moins fans comme le leader, le maître de Måneskin, il était également pour nous le point central.
Il était le chanteur, donc il est vrai que sans lui, Måneskin n'était pas grand chose. Mais en plus d'assumer ce rôle déjà assez important, il était le ciment qui liait les briques entre elles. Sa personnalité assez forte avait le pouvoir de diriger les répétitions sans que cela en devienne pesant. Malgré des sautes d'humeur de temps en temps, il restait une personne douée d'une bienveillance inébranlable ainsi que d'un désir de perfection jamais assouvi.
Quand Thomas présentait un nouveau riff, il nécessitait par la suite au moins une dizaine de retouches de la part de Dam. "L'arpège devrait peut-être commencer dès le début de la chanson, ça donnerait directement un rythme" " Le sol ne rend pas bien, tente plutôt un do mineur." Et cætera, et cætera. Et même si ce rôle pouvait parfois se montrer presque un peu agaçant, nous étions forcé de constater qu'il avait toujours raison. Alors quand nous l'écoutions, on riait affectueusement comme le ferait un ado face à un parent un peu trop protecteur.
Et surtout, Dam occupait une place en moi assez importante.
Vic, Thomas et lui s'étaient tous rencontrés au lycée. Je ne m'étais ajouté au groupe que parce-qu'il leur manquait un batteur. Et étant le seul disponible, il n'ont pas eu d'autres choix que celui de me prendre. Mais alors que nous nous entendions tous parfaitement bien, j'avais toujours une petite voix dans ma tête qui ne cessait de me répéter que j'étais la cinquième roue du carrosse, que jamais je ne trouverais réellement ma place au sein du groupe. Cela me pourrissait la vie, mais détruisait également
ma confiance en moi. J'essayais de faire abstraction de ce sentiment, mais il reprenait souvent le dessus sans que je ne puisse le maîtriser. Mes amis n'arrêtaient pas de me répéter qu'il fallait que je cesse de m'en faire, mais cela ne faisait pas taire ma douleur ; au contraire. Mes crises d'angoisses devenaient de plus en plus fréquentes. Je ne dormais plus. J'adorais mes amis, et pour rien au monde je n'aurais voulu les quitter ; mais malgré tout, je me sentais toujours comme une tâche.
Dam a tout fait pour essayer de me faire sentir mieux. Il m'a accompagné, rassuré. Puis, petit à petit, ce bourrage de crâne a commencé à fonctionner et je me suis de mieux en mieux intégré, jusqu'à ce que je me sente comme un vrai membre à part entière.
Jamais je ne lui serais assez reconnaissant pour tout ce qu'il a fait pour moi. Je le suis tout aussi pour Vic et Thomas, évidemment. Mais Dam a su adopter l'attitude parfaite, celle qui m'a sauvée.
Et quand il est parti, cette faille s'était réouverte en moi. Je n'osais pas en parler, la situation était déjà assez grave pour que je vienne rajouter par-dessus mes petites histoires personnelles sans grand intérêt. Je ne doute évidemment pas de la fidélité de mes amis, qui, si j'en avais parlé, m'auraient soutenu du mieux que possible. Mais je ne voulais pas être un poids supplémentaire, poids que j'ai eu l'impression d'être pendant des années.

Nous montâmes les marches des escaliers jusqu'à arriver devant une grande porte en bois massive, sur laquelle une pancarte "Studio, ne pas déranger" était affichée. Dam et Ann' étaient déjà à l'intérieur.
Dam nous livra à tout les deux une accolade fraternelle, et Ann' nous fit la bise tout en nous serrant dans nos bras.
Ils rayonnaient. Il n'y avait pas d'autres mots pour le décrire. Quand nous avions pénétré dans la pièce, la musique était à fond et ils étaient tout deux en train de danser ensemble comme des fous. À se demander comment il avaient pu tenir plus d'un an et demi sans s'avouer leurs sentiments ! Mais connaissant Dam, c'était sûrement parce-qu'il n'avait pas conscience lui même de ce qu'il ressentait. Il a probablement tout enfoui en lui, refoulant ses émotions aux maximum. Il a toujours été ainsi, et cela lui a porté préjudice plus d'une fois.
Mais désormais, je pense qu'il a compris la leçon. C'était en tout cas ce que nous pouvions en déduire si l'on s'attardait un peu dans ses yeux ; on y remarquait alors une lueur nouvelle, une lueur qui ne l'avait jamais éclairé comme ça.
Ann' aussi, brillait. Elle qui avait toujours été d'un tempérament réservé, comme si elle voulait tout faire pour paraître invisible, elle était à présent délestée de ce fardeau.
C'est pour cela je crois, que je me suis attaché si vite à elle. Tout comme Vic, j'avais du mal à faire confiance aux gens. Pourtant, Anna avait brisé tous mes remparts dès le jour de notre rencontre.
Peut-être parce-qu'elle était en réalité mon miroir. Que je me suis reconnu en elle, qu'elle reflétait celui que j'avais peur de laisser transparaître. Elle aussi, avait su me réconforter. Alors j'avais également essayé de faire mon maximum pour l'aider à se délester de ce poids qui l'enchaînait tout autant que moi. Et la voir ainsi rayonnante, épanouie aux côté d'un Dam nouveau lui aussi, cela ne pouvait que me rendre plus heureux.

Vic déboula quelques minutes après nous dans la pièce, retirant le casque de son scooter.
- Le bus est pas passé, encore une fois ! Alors j'ai couru jusqu'à chez moi pour prendre mon scooter, mais avec tous les bouchons, ça a rien arrangé du tout, en fait.
- J'ai aussi eu des empêchements de dernière minute, lui répondit Thomas.
Elle éclata de rire face à la fameuse blague.
- Alors, on s'y met ? intervint Dam. Je vous rappelle qu'on a une toute nouvelle chanson à enregistrer.
- C'est parti, lui répondis-je.
Anna nous précisa qu'elle avait avec elle son appareil photo :
- Ça pourrait faire des clichés sympas, pour la promotion du son ! Et puis comme ça, ça me donne l'impression de faire quelque chose, rit-elle. Parce-que bon, j'ai lu l'autre jour dans je ne sais quel people que l'on me comparait à Yoko Ono dans l'ère des tensions entre les Beatles...
Elle semblait prendre cela à la dérision, mais je cru bon de la rassurer tout de même.
- Ils n'ont vraiment rien à dire... Mais bon, si ils nous comparent aux Beatles, c'est une bonne chose !
Tout le monde éclata de rire, et chacun s'installa à son instrument pendant que Ann' insérait une nouvelle pellicule dans son appareil.
Dam et Thomas avaient, durant toute la nuit dernière, élaboré la base des différents riffs et solo qui prendraient place durant la chanson.
Cela avait donc permis d'en déduire les lignes de basses de Vic ainsi que tout ce qui concernait moi et ma batterie.
Nous avions beau écouter Dam chanter Coraline plus d'une dizaine de fois chaque heure, l'émotion qu'elle nous procurait était toujours la même. Ann' avait suggéré à Dam de modifier quelques paroles, afin que la chanson s'adresse et parle à chacun de nous, et non plus uniquement à elle. L'idée était très bonne, et la chanson ne rendait que mieux.
À vingt-deux heure passé, tout était enfin bouclé :
- Reste à déterminer quand la sortir, maintenant, nous dit Vic.
- Dès que possible serait le mieux, non ? Puisque l'on a plus de manager, pour le moment, on est libres de sortir ce que l'on veut quand on veut, lui répondis-je.
- Demain ? répliquèrent Thomas et Ann' en même temps.
Nos regards se croisèrent tous, et sans un mot, nous validâmes tous la proposition.
Dam reprit :
- D'ailleurs, je pense qu'on ne va pas tenir longtemps sans manager... Il faudrait en trouver un autre...
- Anna ? proposa Vic.
Celle-ci vira à l'écarlate, et bégaya un peu :
- Je...Je ne pense pas que cela soit une bonne idée. Mélanger les amis, l'amour avec le professionnel n'est jamais une bonne solution... Surtout à votre niveau. Alors oui, peut-être pourrais-je m'occuper d'un semblant de ce rôle jusqu'à ce que vous en trouviez un autre. Mais être manager à plein temps, non. Je suis bien mieux en tant que photographe, finit-elle avec un petit sourire gêné.
Vic elle aussi rougit un peu :
- Oh, je suis désolée je n'avais pas du tout pensé à ça ! C'était un peu bête de ma part.
- Mais non ne t'inquiète pas ! Au contraire, ça me fait plaisir. Je suis maintenant certaine que vous m'accordez votre pleine confiance, rit-elle.

Nous n'échangeâmes pas un mot entre nous, mais je suis certain que Vic, Thomas, Dam et moi, nous pensâmes alors à cet instant tous à la même chose : " Mais Ann' ? Tu n'as toujours pas compris que nous te faisions totalement confiance depuis le premier jour ?"

Métro, boulot, Damiano Onde as histórias ganham vida. Descobre agora