2. Mater Dixit - partie 1

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~ La parole de la mère

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~ La parole de la mère


Quand elle avait huit ans, Irène avait trouvé une bouteille de lait sous son lit. Elle avait tout simplement oublié de la remettre dans le frigo et elle était restée là pendant des semaines, peut-être des mois. Comme la petite fille avait très soif et que la bouteille était encore à moitié pleine, Irène l'avait débouchée et l'avait portée à sa bouche pour avaler plusieurs goulées sans réfléchir.

La sensation qui l'avait prise à la gorge ce jour-là était exactement la même que celle qu'elle ressentait en ce moment en voyant sa mère arriver dans le tribunal. Un haut-le-cœur la fit se pencher en avant et un gardien dut croire qu'elle tentait de s'échapper, car il l'attrapa par le bras fermement.

Comment une mère pouvait-elle tolérer de voir sa propre fille en prison ? Comment faisait-elle pour défiler, sans même accorder un regard dans sa direction ?

— Maman ! hurla Irène.

Ce violent cri de rage lui était venu comme un poing de côté. Sans crier « gare ». Irrépressible.

Sa mère tourna enfin la tête en direction de la cage de verre et leurs yeux se croisèrent. Le cœur d'Irène manqua un battement.

— Maman ! Tu n'as pas le droit ! Sors-moi de là ! Je t'en prie, sors-moi de là !

Le gardien resserra son emprise sur son bras. Le public, lointain, n'osait plus produire un son et Achille ouvrit la bouche pour intervenir, mais un autre participant lui vola la parole.

— Si elle sort, je sors aussi ! cria-t-il.

— On est tous volontaires, ici, hurla la princesse à sa droite. On a tous signé des papiers. Elle n'a pas le droit. (puis, plus doucement, comme si elle n'en était pas vraiment sûre). Hein ? Elle n'a pas le droit ?

— Ça suffit ! dit Achille. Taisez-vous où nous vous faisons tous sortir ! Madame Monteil, souhaitez-vous...

— ... Non, dit la mère d'Irène. Non, il faut qu'elle reste. Irène, cria-t-elle à l'intention de sa fille. Irène, ma fille, tu dois rester ici et te battre. C'est pour ton bien.

Ses yeux immenses d'hypnotiseuse la fixaient. Un voile d'humidité les recouvrit et lorsqu'elle cligna des yeux des larmes roulèrent sur ses joues. En pleine confusion, Irène sentit les mêmes symptômes lui chatouiller les yeux. C'était plus fort qu'elle : si elle voyait quelqu'un pleurer, même un inconnu, même un acteur à la télé, elle pleurait elle aussi. Elle tenta pourtant de les contenir. Sa rage toujours vive l'y aida. Comment croire que sa mère l'ait enfermé dans la prison pour son bien ? C'était absurde.

— C'est pour ton bien, répéta Mélanie avant de s'adresser à Achille. Continuons, s'il vous plaît.

Le présentateur secoua la tête et bomba le torse. Il reprit en exagérant l'émotion.

— C'est si courageux, dit-il. Malgré l'inscription de sa propre fille, Mélanie a tenu à être là, elle a refusé de se faire remplacer. Elle s'appelle Irène, c'est ça ?

— Oui, Irène.

— Je parie qu'elle s'en sortira. Allez ! Le jeu doit continuer quoiqu'il en coûte. J'appelle donc les autres personnages sans lesquels Ennemis jurés ne pourrait pas être Ennemis jurés. Je veux bien sûr parler de notre duo d'avocats : les jumeaux Perrin.

Irène voulut protester, mais on ne l'entendait déjà plus. Ses mots se perdaient dans les applaudissements et la musique. On ne la voyait plus non plus, les projecteurs déjà une nouvelle cible. Sa scène avait été vite oubliée, balayée par une autre.

Un homme et une femme engoncés dans leurs robes d'avocats firent leur entrée par le fond du tribunal. Dissemblables malgré un évident air de famille, monsieur et madame Perrin se déplacèrent comme un être et son reflet, en parfaite symétrie.

— Regardez, Achille ! énonça la femme en pointant Mélanie avec son index. Les larmes d'une mère pour la rédemption de sa fille. Pour l'espoir. Pour le pardon. N'est-ce pas superbe ? N'est-ce pas du plus bel esprit ? Finalement, c'est cela l'esprit d'Ennemis jurés. C'est une mère bienveillante qui en a imaginé la trame. Même vous, mon frère, vous n'oseriez pas dire le contraire...

Le double masculin de l'avocate pouffa.

— Pfff... Ouvrez les yeux, chère sœur. Les larmes d'une mère pour sa fille ? Nous ne voyons pas la même chose. Moi, je vois dans ces larmes l'illustration des souffrances de toutes les victimes. N'oubliez pas que cinq crimes odieux ont été commis. Des mères, des pères, des frères et des sœurs sont morts. Assassinés. Leurs proches pleurent leur disparition et crient vengeance. C'est pour le bien des victimes, et non la rédemption des coupables, que le jeu a été fondé. La rancune des mères de victime est plus forte que leur bienveillance. C'est cela l'esprit d'Ennemis jurés. N'êtes-vous pas d'accord avec moi, Achille ?

— Joker, dit le présentateur précipitamment, ce qui souleva l'hilarité du public.

Les jumeaux Perrin pouvaient se battre longtemps, déployer les arguments les plus brillants ; rien n'y ferait. Le jeu n'avait pas de moralité. S'il avait pour but de punir les coupables, il ne leur permettrait pas de vaincre et d'être ainsi graciés. Et s'il s'agissait au contraire de montrer la clémence de l'État et d'offrir une seconde chance à de jeunes gens, alors il ne prévoirait pas d'envoyer les perdants sur l'échafaud en octroyant 100 000 francs traditionnels de récompense à sa victime.

Irène observait avec sidération ce spectacle qui parlait d'elle tout en la tenant volontairement à l'écart. Comme par hasard, sa mère tournait le dos aux participants.

« C'est pour ton bien ». Comment avait-elle pu s'abaisser à la supplier ? À quoi s'était-elle attendue ? À ce que sa mère lui vienne en aide ? Qu'elle ordonne sur le champ au public de sortir et aux caméras d'aller se faire voir ? Une fois de plus, elle n'avait rien fait, à part sortir les violons et ressortir cette phrase : « C'est pour ton bien, ma fille ! ».

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now