13. Accuso - partie 2

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Elle avait marmonné sa question sans prendre la peine de sortir la tête de ses genoux.

— Si tu ne peux pas tenir debout, nous pouvons te porter jusque là-bas, répondit une voix de baryton dans laquelle ne transperçait aucune empathie.

— Mais vous ne pourrez pas me forcer à participer.

— Non, mais tu dois t'y rendre. C'est contractuel.

— Je préférerais rester ici. Je veux qu'on me laisse tranquille.

De toute façon, elle était condamnée. Elle ne savait qu'aggraver les choses.

Les claquements des bottes sur le ciment avertirent Irène que le gardien s'approchait. Elle résista à l'envie de relever la tête.

— Je ne veux plus qu'on me filme.

— Tu n'as pas le choix. Tu ne l'as plus.

— Je veux parler à Edmée.

— Elle n'appréciera pas ce caprice, les plannings sont serrés.

— Et que va-t-elle me faire ?

— Te mettre à l'isolement.

— Je ne demande pas mieux.

« La participation aux TIG, aux groupes de parole, aux promenades, aux repas, au procès et aux épreuves ou à tout autre événement inscrit à l'emploi du temps des détenus est obligatoire. Un détenu qui refuse de se plier à cette règle pourra se voir infliger des pénalités, comme des défaveurs lors des procès. »

Irène resserra ses jambes contre sa tête comme pour se faire plus petite. Elle ne voulait pas écouter l'I.A.. Elle ne voulait pas qu'on la punisse encore, qu'on l'accable. Des voix contre elle, encore, toujours des voix contre elle. Pourquoi ne l'aimait-on pas ? Pourquoi tant de personnes pour lui nuire et de lois pour la soumettre ?

Les pas s'approchaient encore. Si le gardien continuait, il allait la toucher.

— Je préférerais rester ici, dit-elle d'une petite voix plaintive.

D'autres bruits de bottes s'ajoutèrent à ceux du premier gardien. Proches. Elle ne les avait pas entendus entrer, mais à présent ils étaient plusieurs. D'autres hommes étaient venus dans sa chambre et étaient en train de l'encercler. Elle sentit d'abord deux ou trois présences supplémentaires, puis davantage, six ? Dix ?

Elle continuait de refuser de lever les yeux. Au contraire, elle fermait ses paupières plus fort encore. À tout moment, elle s'attendait à ce qu'une main se referme sur ses épaules, la soulève.

— Laissez-moi.

— LEVE-TOI !

Irène sursauta face à la violence de ce cri. Elle écarquilla les yeux. Elle ne vit rien d'autre qu'un visage trop près du sien, qui occupait presque la totalité de son champ de vision. La tête d'un homme se trouvait là où aurait dû se tenir le gardien.

Un vieillard ! Ses rides profondes faisaient de sa figure un paysage accidenté, plissé et tordu. Cheveux gris hirsutes et clairsemés. Bouche béante, dégoulinante de sang, les dents à moitié arrachées et un grand vide. Il n'avait pas de langue.

Irène hurla et tenta de reculer, mais le mur dans son dos l'en empêchait. Les yeux du vieillard étaient dirigés sur elle. Mais ils ne semblaient pas réellement la regarder. C'étaient des yeux de morts, qui ne fixaient rien. Ils regardaient au-delà d'elle.

Elle appuyait son dos de plus en plus fort contre la pierre. Le vieillard sans langue ne bougeait plus, mais tout autour de lui, les autres s'approchaient eux aussi. Ils étaient tous affublés de la même tête sans langue et aux yeux morts.

— LEVE-TOI ! IRÈNE ! IRÈNE !

Le vieillard le plus proche tendit vers elle une main-moignon. Ses doigts avaient été tranchés au plus court, tous les cinq. C'en était trop. Irène ferma les yeux en hurlant et en se protégeant la tête derrière les bras.

Quelque chose se referma sur son bras, une emprise qu'une main sans doigts n'aurait jamais dû avoir, ce qui l'obligea à rouvrir les yeux.

Tout d'un coup, sa cellule était presque vide. La main posée sur elle était celle d'une gardienne. Une femme ! Depuis combien de temps était-ce une femme ? Irène enfouit sa tête entre ses mains en suffoquant. Son visage était couvert de transpiration.

— Que t'arrive-t-il ? Bon sang !

Irène vérifia encore une fois derrière la gardienne. Plus de vieillards mutilés et hostiles, plus de cris atroces hurlant dans sa tête. Plus rien qu'une pièce vide, à l'exception d'une femme brune, décontenancée.

— Pardon, pardon, bredouilla Irène en recouvrant ses esprits. J'ai fait un cauchemar.

— Tu n'avais pas l'air de dormir.

— J-je fais parfois des terreurs nocturnes... C'est un peu comme... d-du somnambulisme.

— Je vois, murmura lentement la femme en ayant l'air de penser exactement le contraire. Tu veux bien te lever et venir au groupe de parole. Tu te sens en état ?

— Oui, je vous suis.

Irène se releva sur des jambes vacillantes, à peine capables de la soutenir. Elle n'avait toujours pas envie de rejoindre le groupe de parole et d'affronter les autres détenus. Mais tout était préférable au fait de rester ici toute seule.

En suivant la gardienne, Irène demanda :

— Si je ne vous avais pas suivi ? Il se serait passé quoi ?

— J'pense que t'aurais eu une remontrance de l'I.A.

— Ce que je n'ai pas eu ?

La gardienne se tourna pour toiser Irène. Apparemment, sa question était bizarre.

— Non. L'I.A. a rien dit.

Donc elle était déjà dans son hallucination à ce moment-là. Les médocs qu'elle avait pris la veille au soir étaient sacrément chargés. Elle s'en était doutée à cause de sa réussite lors de l'autohypnose. Elle subissait à présent le contrecoup de leur efficacité. Ce n'était pas la première fois qu'Irène avait des hallucinations médicamentocréatives, pourtant, celles-ci l'avaient particulièrement choquée. Un vieux sans langue et sans doigts. Son inconscient ne se montrait pas aussi violent d'habitude. Quelle vision atroce !

Qu'est-ce que ce serait la prochaine fois ?

Elle constata en arrivant dans le salon du groupe de parole que Marc n'était toujours pas là, mais que les autres détenus si. Les conversations cessèrent quand elle entra dans la pièce et un malaise s'installa, un malaise qui arrivait avec elle, qui venait d'elle et de sa présence. À part Guillaume et François qui jouaient à brûler des trucs dans le feu, tout le monde se tourna pour la regarder.

Elle n'eut pas à se demander longtemps la raison de cet accueil tendu.

— Voilà la tricheuse ! accusa Victoria en se levant de son fauteuil.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now