16. Amor fati - partie 3

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Irène ne frappe plus. Elle n'a pas besoin de porte pour sortir d'ici. C'est une transe. Elle doit sortir de son hypnose. Elle réfléchit à toute vitesse, mais son esprit est troublé par les pleurs de la petite fille, dans son dos. Elle n'arrive pas à se concentrer pour faire revenir la réalité autour d'elle, ni même la porte de l'ascenseur, qu'elle empruntera pour sortir de là et remonter en pleine conscience. Pourquoi n'arrive-t-elle pas à imaginer une sortie ?

— Non ! crie la petite fille. NON !

Irène se retourne pour comprendre la raison de ses hurlements. La veilleuse a perdu de sa luminosité, comme si les piles s'étaient en partie vidées. La fillette n'est plus sur le lit. Une silhouette adulte s'érige au centre de la pièce. Une ombre, mais Irène la reconnaît.

Il est encore là. Le vieil homme mutilé. Irène recule jusqu'à se plaquer contre le mur. Il n'avance pas. Des plaintes gutturales lui échappent. Il émet des sons insensés, désarticulés et grotesques. Il lève lentement sa main vers elle. Les contours d'un moignon se dessinent et s'approchent tandis qu'il boitille dans sa direction.

Il ne peut pas lui faire de mal, il ne peut rien contre elle. Il est un cauchemar, une hallucination terrifiante et très réaliste, mais il n'existe pas. Il ne peut rien lui faire. Il est trop proche. Elle plaque ses mains sur son visage et crie de toutes ses forces.

Elle tomba de son lit sur le sol de sa cellule. La chute la réveilla et stoppa son cri épouvanté.

Elle était couverte de transpiration, fébrile. Elle posa sa main valide sur sa poitrine ; son cœur s'agitait comme un oiseau en cage. Sa respiration haletante cherchait de l'air. Elle quadrilla l'espace : rien à signaler, personne.

Les lumières avaient été éteintes, mais la cellule n'était pas pour autant plongée dans le noir total grâce aux guirlandes qui couraient le long des murs, sous les plafonds et le long des plinthes. Elles rappelèrent à Irène les lumières des salles de cinéma, qui guidaient les personnes dans les escaliers après le début de la projection.

Elle ne parvenait pas à se calmer. Sa brûlure l'avait rendue fiévreuse et elle s'était cogné la tête en tombant de son lit. Et il y avait ses caméras infrarouges qui l'observaient sûrement, toujours. Elle se sentait mise à nue dans le pire moment de son existence, les yeux rougis de larmes, les muscles secoués de tremblements.

Elle avait tellement peur que les hallucinations ressurgissent. L'hypnose était terminée, mais les visions pouvaient la poursuivre en dehors de ses transes. L'effet rassurant des médocs paraissait loin désormais. Et elle n'avait rien appris du tout.

Quand le sifflement suraigu annonça le début de leur nocturne, elle ne s'était pas du tout remise de ses émotions.

Elle se mit sur ses jambes en chancelant, franchit la porte de sa cellule en usant de mille précautions, vérifiant de chaque côté si tout était bien normal, bien conforme à la réalité. Sous la verrière du hall, les passerelles et les charpentes projetaient des ombres dentelées, presque squelettiques. Tout était éclaboussé de lune. Elle aurait pu trouver cela beau si elle n'était pas terrifiée à l'idée que le vieil homme mutilé se cache dans l'obscurité.

— Salut.

Elle sursauta. Une personne venait de sortir de sa cellule et s'avançait lentement vers elle. Irène reconnut la silhouette de Caro, absurdement grande pour une fille. Sa tignasse frisée, à peine sortie du lit, formait un buisson tout autour de sa tête. Elle demanda à Irène si son bras ne la faisait pas trop souffrir.

— Non, ça va, minimisa-t-elle.

François ne tarda pas à les rejoindre. Sa peau et ses cheveux accrochaient la lumière comme les peintures rétroréfléchissantes des panneaux de signalisation.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now