7. Opus est sanitas - partie 2

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Un peu secouée, Irène s'éloigna. Elle sema ses copeaux de bois en serrant les mâchoires, essayant d'ignorer sa gorge serrée à lui faire mal. Elliot s'avança vers elle. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour refouler ses larmes.

— Excuse-moi, dit-il. Je voulais te dire. Toutes les personnes de la zone ne sont pas comme elle.

Irène ne comprenait pas où il voulait en venir.

— Fatiha ne fera jamais confiance à une personne de la ville traditionnelle. Elle te rejettera toujours. Elle te voit comme une personne qui emprisonne les siens, et rien d'autre. Pour elle, tu es un geôlier. Ce n'est pas personnel.

Irène jeta un coup d'œil vers la zonarde. Elle arrachait des mauvaises herbes sans leur prêter attention. Elliot avait beau dire, il y avait quelque chose de personnel dans les attaques qu'on lui avait faites. Mais pour l'instant, Irène était surtout intriguée.

— Toutes les personnes de la zone ne sont pas comme elle ? Que veux-tu dire ?

Un sourire triste se dessina sur le visage d'Elliot.

— Non, dit-il tout doucement. Il y en a qui ne voit pas tous les tradis comme des barbares irrécupérables. En fait, il y a deux clans chez nous. Ceux qui ne détestent pas les murs qui les entourent, parce qu'ils aiment rester entre eux et vivre selon leurs règles. Et il y a les autres.

Les mains d'Irène interrompirent leur geste, les copeaux de bois piégés dans son poing fermé.

— Quoi les autres ?

Elliot regarda autour de lui : le jardinier, le gardien, même les dalles de marbre. Le doute lui fit plisser les yeux, ce qui les rendait encore plus étirés. Ils ressemblaient à présent à deux fentes horizontales. Il y avait autour d'eux trop d'espions potentiels. Trop d'objectifs invisibles.

— Laisse tomber, renonça Elliot, s'éloignant déjà.

— Mais...

— Je voulais juste te dire que je ne pense pas comme Fatiha. C'est tout.

Irène aurait voulu insister davantage, mais un clocher sonna au loin. Instinctivement, tout le monde leva les yeux au ciel. Ils ne voyaient que les nuages gris. Le clocher était trop loin et les murs trop hauts.

— C'est l'heure, déclara Clotaire. Merci pour votre aide, les enfants. Sincèrement, bonne chance pour la suite. Et Gnothi seauton comme ils disent tous.

Irène se pressa de ranger les outils. Elle pensait à la chaleur relative de sa cellule. Cette idée l'encourageait à faire vite. Fatiha se dirigea elle aussi vers la porte qu'ouvrait le gardien, mais pas Elliot. Ses pieds se cramponnèrent au milieu de la cour comme s'il avait des racines sous les plantes des pieds. Clotaire alla le voir, lui demander de bouger. Il refusa.

— Il lui arrive quoi ? demanda Fatiha.

— Je ne sais pas, répondit Irène sincèrement.

Clotaire tenta de lui prendre gentiment le bras et Elliot le repoussa violemment.

— J'y vais ! dit-il.

Il marcha seul jusqu'à la grille, passa devant les filles. Il ne prêta pas attention à elles. Une fine pellicule de sueur recouvrait son visage, ses lèvres étaient devenues trop blanches.

Le gardien l'agrippa par le bras, autant pour le pousser à avancer que pour l'aider à se maintenir debout. Et cette fois, Elliot ne rejeta pas cet appui.

De sa main libre, le gardien poussa la lourde porte d'entrée. Elle claqua lourdement, avec un bruit qu'ils avaient déjà entendu plus de fois en une journée que dans une vie entière.

Ce bruit sembla faire sauter les dernières barrières d'Elliot, ces dernières défenses. Il s'écroula. Le gardien lâcha prise et Elliot se recroquevilla sur le sol, le visage dans les mains.

Irène se jeta à genoux, poussant presque le gardien qui restait sans réagir.

« J'appelle les renforts », tonna une voix synthétique dans le couloir. « Une équipe médicale et de sécurité sera là dans deux minutes. Veuillez rester calme. L'équipe médicale arrive bientôt. Veuillez rester calmes ! »

— Elliot ? chuchota Irène. Elliot, tu m'entends ?

Pas de réponse. Elle ne voyait plus son visage. Il secouait à présent son corps d'avant en arrière en paniquant. Sa respiration erratique donnait l'impression qu'il était à la recherche d'oxygène.

— Qu'est-ce qu'il a ? Il est malade ? demanda le gardien.

— Je crois plutôt que c'est une crise de panique.

Elle disait « je crois » par politesse. Elle ressentait dans ton son être qu'il s'agissait d'une crise de panique. Une autre certitude jaillit sans prévenir des abîmes de son esprit amnésique : elle connaissait une personne qui faisait régulièrement ce type de malaise. Mais qui ? Son esprit se trouvait comme vidé de cette personne. Son nom. Ses traits. Le sentiment de déjà-vu était vif, mais lacunaire. Irène mourait d'envie de creuser ce début de révélation, mais dans l'urgence, elle n'avait pas le temps de méditer sur cette question. Elle laissa sa mémoire procédurale gérer.

— Elliot, tu vas t'en sortir. Je pense que tu fais une crise de panique.

— Mon... mon cœur. J'ai l'impression qu'il va exploser. Je n'arrive pas à respirer.

— Tu vas écouter ma voix. Écoute-la ! Tu m'entends ?

— Je vais mourir. Aide-moi.

— Non, tu ne vas pas mourir. Écoute ma voix. Et tiens, prends ma main.

Irène attrapa les doigts d'Elliot, aussitôt il l'agrippa. Elle eut mal aux phalanges tant il serrait fort. Son sang ne parvenait plus à l'extrémité de ses doigts.

— Tu sens que je suis là ? Tu entends ma voix ? Je ne vais pas te lâcher, je ne vais pas partir, je reste là.

— Tu fais quoi, exactement ? demanda Fatiha.

Irène ignora sa question. Elle poursuivit son entretien exclusif avec Elliot. Il n'y avait que lui qui comptait. Il encaissait un tsunami d'angoisse, qui déferlait sur lui en menaçant de tout emporter sur son passage. Certitude que c'est la fin. Que c'est fichu !

— Tu peux serrer aussi fort que tu veux. Pense à respirer. Si tu bloques ta respiration, tu manqueras d'air et ça va augmenter ton stress. Alors, force-toi à respirer. Fais-le !

Elliot força l'air à entrer dans ses poumons, puis à ressortir. Entre chaque inspiration, il bloquait spontanément sa respiration et Irène lui rappelait de respirer.

En tant qu'hypnotiseuse, Irène connaissait des dizaines d'exercices de respiration et de méthodes de relaxation. Mais elle savait aussi qu'il était impossible d'utiliser ces méthodes chez une personne trop excitée ou trop paniquée. Par exemple, c'était inutile de tenter l'autohypnose pour lutter contre une phobie en plein accomplissement. L'autohypnose pouvait prévenir les crises, mais pas les supprimer en un claquement de doigts.

— Ta peur est légitime, dit-elle. Personne n'aime être enfermé dans un espace qu'il ne connaît pas, pour une durée dont il n'a pas la moindre idée. Tu as peur et moi aussi. Fatiha aussi. On a tous peur. Même toi. Tu n'es pas en train de mourir. Tu as la trouille.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionOnde as histórias ganham vida. Descobre agora