10. Purpura - partie 2

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— Je dois me changer ? dit-elle au gardien.

— Edmée viendra vous chercher pour vous conduire aux douches dans peu de temps. Il faut manger votre petit déjeuner et prendre cette tenue avec vous en partant.

Irène opina. Les souvenirs de son rêve hypnotique de la veille se faisaient de plus en plus lointains. Elle ne se souvenait plus avec certitude de la signification de ce changement de couleur. Fallait-il par exemple associer le violet au groupe des criminels ou à celui des innocents ? Impossible de se rappeler.

Même avec une mémoire intacte, un détail comme celui-ci aurait pu lui échapper. Après tout, elle n'avait presque jamais suivi Ennemis jurés. La plupart des connaissances qu'elle avait sur le déroulement du jeu provenaient de ouï-dire. Soit elle avait entendu sa mère en parler avec ses amis dans le salon ou alors ses camarades de classe s'étaient raconté entre eux les dernières péripéties, mais elle n'écoutait toujours que d'une oreille. Et, pour ce qui était des tenues des prisonniers, des couleurs et de leur signification : elle faisait chou blanc.

Malheureusement, le petit déjeuner n'adoptait pas le thème de Noël, lui. Irène aurait échangé sans hésiter les chansons et les décorations contre une orange et un thé de Noël avec du pain perdu. Elle avait faim et les repas étaient chiches et insipides. Comme la veille, ce n'était pas immangeable, simplement sans goût. La brioche sèche, le chocolat froid. Et le jus d'orange avait un arrière-goût de médicaments qu'elle trouva un peu douteux. Elle préféra même ne pas le finir. Elle ne doutait pas que la production aurait pu ajouter des substances dans les boissons pour les contrôler, que ce soit dans le but de les désinhiber ou de les calmer, selon les besoins. Après tout, elle ne comptait plus les camarades de classe qui prenaient un traitement prescrit par l'équipe éducative. Le médecin scolaire avait vite fait de vous diagnostiquer une apathie chronique ou une hyperactivité socialement problématique.

Le souvenir piquant de la veille refit brutalement surface. Elle se revit gober les médocs. Ils lui avaient laissé un goût d'échec au fond de la gorge.

Edmée arriva avant qu'Irène n'ait le temps de se tourner les pouces. Elle la conduisit jusqu'aux douches où Iphigénie l'attendait.

La joie de la revoir fut vite entachée par la réalité des circonstances. Elles échangèrent un bref sourire et Irène comprit tout de suite qu'Iphigénie savait. Une défiance dans le regard. Un changement par rapport à la veille. Elle aussi avait été réveillée en pleine nuit.

C'était donc officiel. Elles jouaient toutes les deux dans des équipes opposées.

Elles gardèrent le silence longtemps.

— On peut se parler quand même, non ? dit Iphigénie.

— Oui. Je suppose.

— Je ne pourrais pas te donner d'informations sur ce qui s'est passé cette nuit, par contre, ajouta-t-elle.

— Oui, bien sûr. Moi non plus. Mais on peut parler d'autre chose.

— Oui, d'autre chose.

Mais il n'y avait pas tant d'autres choses à dire apparemment. Elles se douchèrent sans rien ajouter. Iphigénie fit remarquer que la température de l'eau lui paraissait moins gelée que la dernière fois. Irène aurait aimé partager son avis. Pour elle, ce fut tout aussi pénible. Aucun progrès de ce côté-là. Tout son épiderme protestait contre cette agression, surtout si peu de temps après le réveil.

En sortant, elles enfilèrent leurs nouveaux vêtements, aux couleurs différentes.

— J'aurais préféré le violet, commenta Iphigénie.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now