19. Reus - partie 3

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Ezéquiel fut presque le dernier à se tourner vers Iphigénie. Il croisa les bras, pinça les lèvres.

— Je ne peux plus continuer. Monsieur Moreau, que faisons-nous ?

— Vous n'avez qu'à écourter, Maître... s'il vous plaît. Nous avons trop tardé à appeler la victime, je le crains.

Ezéquiel s'éclaircit la gorge.

— A-t-elle retrouvé la mémoire ? Comment cela est-il possible ?

— Poursuivez, s'il vous plaît, insista Achille Moreau. Nous couperons les cris au montage. Votre interrogatoire ne sera pas altéré.

— Allons ! Nous savons tous les deux que cette interruption est... théâtrale. Elle sera conservée.

— Comment tu as pu faire ça ? hurla Iphigénie, dont chaque cri mortifiait Irène. C'étaient mes parents qui hurlaient ! Tu n'es qu'un monstre ! Un monstre ! C'étaient mes parents !

L'expression d'Ezéquiel se métamorphosa soudain. Sa contrariété laissa place à de l'empathie. Un sentiment qu'Irène connaissait trop bien pour ne pas admettre qu'elle était sincère. Ezéquiel Perrin était triste pour Iphigénie. Il reprit la parole avec une voix moins assurée.

— Il paraît inutile de maintenir le suspense plus longtemps : l'ennemi juré de Guillaume Boucher est Iphigénie Bain. Elle a toutes les raisons du monde de lui en vouloir.

Dans un silence obséquieux, il traversa la scène pour s'approcher du carré des accusés, au plus près qu'il put d'Iphigénie.

— Quand j'ai étudié votre dossier, Mademoiselle Bain, j'ai été touché au plus profond par votre histoire. Votre témoignage éclairerez sans doute beaucoup la salle et confirmerait à tous et à toutes combien vous ne méritiez pas ce drame, ni vous ni vos parents.

Iphigénie l'écouta en essuyant ses larmes. Elle devait baisser la tête à cause des menottes qui l'empêchaient de lever ses bras trop haut. Irène sentait son cœur se soulever comme s'il cherchait à quitter sa poitrine pour la rejoindre, fusionner avec elle, partager sa douleur ou l'absorber à son compte.

Pas elle. Irène ne voulait pas qu'Iphigénie souffre.

— Dans quelque temps, vous serez obligée de retrouver la mémoire. Vous devrez revivre les évènements de cette nuit-là. Vous devrez être forte, Mademoiselle Bain. Je ne pourrai pas vous aider dans cette épreuve, mais je peux néanmoins vous dire que vous avez eu raison de vous battre, vous avez eu raison de venir ici. Car, aujourd'hui, le meurtrier de vos parents va payer pour ses actes, il va mourir pour ça.

Guillaume poussa un cri de gorge bestial. Ezéquiel poursuivit comme s'il ne l'avait pas entendu.

— Si vous n'aviez pas sacrifié votre mémoire et votre esprit à ce jeu, Guillaume aurait pu s'en sortir avec une longue peine de prison. Et nous savons, vous et moi, qu'il est mentalement dérangé. Nous savons que même au bout de vingt ans, de trente ans, de cinquante ans de prison, même au bout de toutes ces années, il serait ressorti avec la même folie pyromane en lui. Il aurait récidivé. Nous savons, vous et moi, que pour des êtres comme lui, qui ont le diable au corps, il n'y a qu'une issue possible...

Il abandonna Iphigénie pour se focaliser sur le public.

— ... la corde.

Des applaudissements nourris accompagnèrent la fin de sa tirade. Les cris de Guillaume redoublèrent, alors qu'il tirait à nouveau sauvagement sur ses liens. Et une voix, une seule, trop couverte par les bravos pour être perceptible au-delà du carré des accusés s'éleva.

Elliot criait :

— Non ! Ne le tuez pas. Ce n'est pas le Diable. C'est un adolescent !

Il continua de hurler, mais la régie coupa son micro et sa bouche se mit à s'agiter pour rien. Ses mots s'étaient perdus. Il n'y aurait pas de contre-interrogatoire. Guillaume n'aurait pas la parole et l'avocate, Thémis Perrin, n'interviendrait pas. C'était un procès à charge, uniquement à charge, comme le prévoyait le jeu en cas de défaite d'un coupable.

Une partie d'Irène était indignée. Tout comme Elliot. Mais une partie seulement. La souffrance d'Iphigénie obscurcissait son jugement. Guillaume, qui n'avait pas eu de pitié pour la famille de la jeune fille, n'aurait pas la sienne.

— L'interrogatoire est terminé, déclara maître Perrin. Je n'interrogerais pas Iphigénie. Son témoignage n'apporterait rien de plus. Je souhaite passer au réquisitoire. Mais avant cela, détachez-la s'il vous plaît, elle est innocente. Et faites taire l'accusé.

Tandis qu'un gardien bâillonnait Guillaume, un autre ôtait les menottes d'Iphigénie et ouvrit son box. Sans entraves, la jeune fille rejoignit une place à côté du siège vide d'Ezéquiel, dans la partie du tribunal dédiée à l'accusation.

Elle avait changé. Son pas paraissait plus lourd, comme si elle traînait après elle le poids d'une vie détruite. Son regard, plus vide que plein, déjà si mûr, semblait avoir été dépouillé de toute forme de naïveté. Elle avait vieilli.

— Nous arrivons maintenant dans la dernière partie du procès. Le premier de la saison, déclara Achille Moreau. Les détenus ont voté, ils ont désigné le condamné, nous l'avons entendu se faire interroger. Nous avons une idée concrète des faits qui lui sont reprochés. Le réquisitoire de maître Perrin sera dédié à Iphigénie Bain, bien sûr. Il sera adressé à notre public, fidèle et nombreux, mais aussi à vous...

Achille Moreau se tourna vers le carré des accusés.

— Le réquisitoire vous servira d'avertissement, chers détenus, n'oubliez pas pourquoi vous êtes ici. N'oubliez pas que chacun d'entre vous aura droit à son procès, que cela soit à la place d'Iphigénie ou bien à celle de Guillaume. Vous aurez tous droit à votre procès. Alors ce réquisitoire de maître Perrin est aussi pour vous. Enfin...

Achille Moreau montra son dos pour faire face à Guillaume, réduit au silence par un double bâillon : chimique et physique. Se débattant encore contre ses menottes, aggravant ses blessures.

— Le réquisitoire vous servira de bilan sur vos actes, Guillaume Boucher. Écoutez-le et songez à vos victimes. Repentez-vous. Demandez pardon à Dieu en écoutant le Maître. N'attendez aucune grâce, mais écoutez bien et repentez-vous. Peut-être que là-haut, quelqu'un de grand, de plus magnanime que la justice des Hommes vous écoutera et peut-être qu'il vous réservera une place plus miséricordieuse dans l'enfer qui vous attend.

Moreau se tourna encore une fois vers la salle, le public. Les projecteurs crépitèrent pour augmenter l'effet sensationnel de ce moment.

— Ouvrez grand vos oreilles, vous tous dans la salle, vous tous derrière vos écrans de télévision. Écoutez la vérité, le passé révélé. Les raisons qui mèneront ce garçon à la potence. Comprenez pourquoi les choses sont ce qu'elles sont et pourquoi il est condamné et non gracié. Ennemis jurés est un concept qui fait toujours bien les choses. Le concept ne se trompe jamais.

Enfin, pour clore son discours solennel, il se tourna vers le grand siège du juge.

— Ce réquisitoire sera pour vos oreilles, Monsieur le Ministre. Vous reconnaîtrez en l'entendant la justice que vous avez pour mission de rendre. Vous serez le seul à avoir votre mot à dire à la fin de ce procès pour entériner cette décision. Au nom de notre président, de la France et de la tradition, Maître Perrin, nous écoutons votre réquisitoire.

 Au nom de notre président, de la France et de la tradition, Maître Perrin, nous écoutons votre réquisitoire

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Fin du chapitre 19.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now