12. Manducare vel mori - partie 2

8 1 2
                                    


Irène tendit son cou pour mieux voir. De loin, on jurait voir un plat de spaghettis. Mais les spaghettis, eux, ne grouillaient pas.

Iphigénie déclencha le chronomètre avec sa main libre. Hors de question de laisser le temps à Jordan d'encaisser le choc.

— Hé ! dit-il. Attends !

— Vous avez dix minutes, rappela Achille Moreau, lui-même mal à l'aise devant le contenu de l'assiette.

— Attendez ! protesta Jordan. C'est encore vivant ! C'est encore vivant !

— En effet, confirma Achille Moreau.

« Le lombricus verei, plus communément appelé le vers de farine, est un plat de plus en plus consommé dans le Sud du monde en raison de sa facilité de culture et de son riche apport en protéines. » expliqua l'I.A.

« Il est également à la base des pains de viande de la marque Gruin, produit fréquent de nos supermarchés. »

— Mais là, ils sont vivants ! répéta encore Jordan, comme s'il espérait réellement qu'on lui faisait une blague de mauvais goût.

Iphigénie recula sa chaise. Les premiers vers s'échappaient en rampant hors de l'assiette. Le grincement des pieds sur le carrelage coupa la parole du lutteur. Alors, il se frappa les joues avec les mains.

— OK... OK. Quand faut y aller...

Il inspira, ferma les yeux et utilisa sa fourchette pour récupérer une première ration de vers de farine. Sa main tremblait et quelques insectes tombèrent de leur support. Ils avaient une bonne taille : un ou deux centimètres de long. Leur corps annelé s'étirait et rétrécissait comme de minuscules accordéons.

Le tressaillement du bras de Jordan ne l'empêchait pas de rapprocher la fourchette de sa bouche grande ouverte. Plus elle s'approchait, plus des cris s'élevaient parmi les détenus. Il ouvrit grand la bouche et referma ses lèvres sur les vers remuants.

— Pouah ! lâcha Irène qui ne put s'empêcher de fermer les yeux.

Il lui semblait que le coup des vers était inédit dans l'émission. Elle gardait plutôt le souvenir des yeux de rat et de la cervelle de pigeon. Ils se réinventaient donc à chaque fois. Mais l'ordre des séquences n'avait pas bougé. Le premier plat rassurait, le deuxième refroidissait les appétits et le troisième enfonçait le clou.

Irène rouvrit un œil et vit Jordan mâcher. Il avait du courage. Elle-même ne savait pas si elle en aurait eu autant. Il se boucha les narines et avala rapidement. Son menton se fripa comme la coque d'une noix.

— Pouah, fit-il. C'est immangeable. C'est vraiment pas bon.

— Ne te donne pas trop de mal pour rien, dit Iphigénie. Ça ne sert à rien d'entamer les plats si tu sais que tu ne pourras pas les finir. Regarde. Il te reste encore trois assiettes.

— Je te remercie de te faire du souci, ironisa Jordan en portant à sa bouche une deuxième fourchette.

Il avala encore, grimaça et demanda.

— Combien de temps il me reste ?

« Neuf minutes et dix secondes. »

— Neuf minutes et dix secondes.

L'I.A. et Iphigénie s'étaient exprimées en même temps.

— OK. J'y vais au max de mes capacités et toi, tu comptes jusqu'à trente. Top !

Les lèvres d'Iphigénie remuèrent quand elle compta silencieusement. Elle n'avait exigé aucune explications. Jordan avala une nouvelle bouchée pleine à craquer de bestioles infâmes, en continuant de se boucher les narines et de fermer les yeux. Un spasme le secoua et il lâcha son nez pour mettre la main devant la bouche.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu