4. Locus vitae - partie 3

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Deux garçons imposants étaient arrivés dans la salle de restauration. Bâtis de la même façon, ils semblaient sortir du même moule, conçu par une usine à soldats ou à athlètes. Même gabarit donc, avec néanmoins un avantage de taille pour l'un des deux, qui dominait l'autre d'une tête environ. Irène discerna le détail dont avait parlé Iphigénie : les extrémités de leurs doigts bleues. Deux lutteurs de pancrace. Si les producteurs prévoyaient des épreuves physiques pour départager les détenus, alors ces deux-là auraient un sérieux avantage.

Comme Victoria l'avait fait pour Iphigénie et elle, elle se précipita à leur rencontre. Pas question de leur laisser le temps d'entrer en contact avec la table des zonards. Irène observa de loin la nationaliste leur servir son discours.

— Comment peut-elle savoir s'ils ne sont pas des zonards ? s'interrogea Iphigénie.

— Elle les salut, dit François, chez qui Irène sentit une bonne dose de méfiance. Mais ça ne prouve pas grand-chose.

Les réactions des deux nouveaux furent passées au crible : ils saluèrent poing sur le cœur, écoutèrent Victoria, puis observèrent les deux tables successivement, enfin, ils échangèrent quelques paroles avec elle, l'air grave.

Irène se demanda ce qui se passerait s'ils n'appartenaient pas au bon camp. Comment prendraient-ils les airs supérieurs de Victoria et cette mise au ban si rapide ? Se mettraient-ils en colère ?

Finalement, Victoria revint souriante à leur table. Les deux garçons lui emboîtaient le pas.

Irène ne put s'empêcher de ressentir une petite déception. Au fond, elle aurait aimé que quelqu'un s'énerve, que quelqu'un se plaigne de ce clivage qu'on leur imposait.

Elle chassa ses regrets inutiles. Elle devait plutôt se réjouir de voir ces deux-là rejoindre son groupe ; il valait mieux les avoir avec elle plutôt que contre elle. Et puis, peut-être parviendraient-ils à relever le niveau ?

Le plus impressionnant des deux vint s'asseoir à côté d'elle. Elle s'autorisa un rapide coup d'œil. Il ne faisait pas son âge. On lui aurait presque donné vingt ans. Sur ses mâchoires carrées, la peau de ses joues cultivait un début de pilosité. Il se tenait droit, aucun geste parasite ne trahissait sa nervosité, si nervosité il y avait. Il ne souriait pas. Contrairement à son compagnon.

Le deuxième garçon s'installa en face d'Irène et à côté de Victoria. Avec son sourire et sa posture avachie, il surjouait un peu trop la décontraction, sûrement pour leur faire croire qu'il n'était pas effrayé par cette situation, qu'il n'avait rien à se reprocher et qu'il savait exactement comment remporter le jeu. C'était sans doute une stratégie comme une autre. À double tranchant, pensa Irène : certains candidats auraient peut-être envie de s'allier à lui, pour lui voler une part de cette assurance et être portés vers cette victoire dont il n'avait pas l'air de douter, mais il prenait aussi un risque, celui de passer pour le favori, et de devenir la prochaine tête à abattre.

— On se connaît ? glissa-t-il à sa voisine, tout charme.

Victoria leva les yeux au ciel.

— Je ne crois pas, dit-elle sèchement.

— Ah bon ! Moi, j'ai l'impression qu'on s'est déjà vu quelque part. Tu as un visage qui ne s'oublie pas facilement.

Irène n'en revenait pas. Draguer ? Dans leur situation. Sans avoir aucune idée de l'identité de son pire ennemi ! Alors que leur vie était peut-être en jeu et que les révélations à venir risquaient de les détruire en profondeur. Ils avaient tous une épée de Damoclès au-dessus de leur tête ! Et lui, il draguait.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now