6. Oratio aurea - partie 5

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Les règles étaient les règles, et elles s'appliquaient à tout le monde. Alors, malgré son handicap, Caro dut leur parler d'un événement qui avait changé sa façon de penser. La question n'était pas facile, mais la rouquine n'hésita presque pas. Elle aborda, un mot après l'autre, la grande crue de la Seine. Caro avait grandi loin des problèmes environnementaux. Trop loin pour voir, trop loin pour entendre. Parfois, les cendres des grands incendies, portés par les vents sur des centaines de kilomètres, recouvraient les voitures d'une fine pellicule de suie. Elle écrivait son prénom avec son index sans réaliser le moins du monde qu'elle jouait avec les restes d'une forêt calcinée.

— J-je viv-vais dans un au-autre monde. J-j'étais s-si insou... insouciante.

Puis, cinq ans auparavant, il y avait eu la libération des méthanes après la fonte du pergélisol sibérien. Le climat s'était emballé : l'Antarctique avait commencé à fondre et l'élévation du niveau des océans s'était accentuée.

— On est p-passé d-de 12 mm par an à 10 cm par an, c-c'est é-énorme !

Dans les villes côtières, les eaux avaient envahi les rues. Des îles et des pays entiers, qui avaient déjà perdu une partie de leurs terres lors des précédentes décennies, se trouvèrent totalement submergés. Les atolls de Polynésie et les Maldives furent évacués.

— J-j'aurais encore p-pu vivre d-dans le d-déni si mon qua-quartier n'avait p-pas ent-entièrement c-coulé.

— Tu habitais dans le 14e arrondissement ?

Caro hocha la tête, alors que dans ses yeux se jouait une nouvelle lutte contre la montée des eaux, qu'elle essuya d'un revers de manche.

— Ça-ça a b-beaucoup changé m-mon rap-p-port à l'éco... l'éc-cologie. J-j'ai réalisé qu'on n'en f-faisait pas assez.

— Merci, Caro, dit Marc pour clôturer son tour. Nous allons passer au suivant.

Il tendit le téléphone à Jordan qui s'en empara prestement.

— Je me demande où se trouve le mien, dit-il en caressant l'objet. Il me manque tellement. Monsieur ?

— Oui ?

— Vous êtes sûr que je ne peux vraiment pas garder celui-ci un petit peu ?

Marc souriait. Comme Irène, l'animateur ne savait pas s'il devait considérer cette question sérieusement ou bien comme une boutade.

— Désolé, mais non, dit-il finalement. Il faudra lire la consigne et me le rendre tout de suite après.

— Quel dommage ! Alors...

Ses sourcils se soulevèrent de surprise.

— Cette question a déjà été posée, expliqua-t-il.

— Oui, dit Marc gêné. J'en suis désolé. Cela peut se produire parfois. Car le programme est... il n'y a pas tant de questions que ça.

— Je dois faire quoi ? Je recommence ?

— Non, non. Quelle est cette question ?

Irène remarqua la moue embarrassée de Jordan ; il aurait aimé changer, c'était évident.

— C'est écrit : « peux-tu parler d'un livre que tu as beaucoup aimé ? »

Marc tendit la main pour récupérer son téléphone, Jordan le lui rendit en affichant un air affligé très convaincant, mais en une demi-seconde seulement, il changea d'expression, passant de la peine d'abandonner un objet précieux à la lassitude que lui inspirait un dialogue sans intérêt :

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionOnde histórias criam vida. Descubra agora