15. Mundare - partie 2

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Une pierre tomba sur Irène, un truc lourd comme une vie qui s'effondre. La décision des oranges était prise et elle n'avait aucun moyen de lutter pour changer ça. Dans quelques heures seulement, elle serait éliminée. Dans le meilleur des cas, elle retrouverait la vie en morceaux que son ennemi lui avait laissée, sa vengeance lui serait enlevée et elle s'endormirait tous les soirs, seule, avec la certitude d'être une parvenue aux yeux des jeunes de son âge.

Et ça, c'était dans le meilleur des cas, dans le pire, elle allait mourir.

Elle eut envie de s'asseoir sur le carrelage et de ne plus bouger. Frotter le sol n'avait plus aucun sens. À quoi ça sert de rendre propre un monde dans lequel elle n'était plus la bienvenue ?

— Je suis désolé, dit Enzo.

Il avait l'air sincère. Elle n'insista pas. Elle avait perdu la volonté de se battre.

— J'imagine que tu ne vas pas me dire pourquoi je suis fracassé ? ajouta-t-il comme une constatation, sans aucun reproche dans la voix.

Irène secoua la tête.

— Je comprends. Continuons de laver.

Elle s'exécuta, imitant Enzo, mais ses mouvements étaient emprunts de découragement. Ils nettoyèrent la douche suivante, le sol reflétait leur déception dans un silence affligeant.

— Tu devrais tenir le balai autrement, là, tu te casses le dos.

Irène se redressa.

— Tu n'as pas l'habitude, ça se voit.

De tous les détenus, Enzo était pour elle l'un des plus difficiles à cerner. Elle était persuadée qu'il jouait un rôle, sans être capable de définir lequel. Il avait prouvé ce matin-là que sa force morale égalait sa force physique, ce qui en faisait un adversaire redoutable. Pourtant, il semblait traîner un boulet à la cheville dont il était trop fier pour se plaindre.

— Chez moi, j'aide ma tante, dit Enzo comme si elle lui avait demandé quelque chose. Surtout depuis qu'elle ne peut plus le faire.

Il essora une éponge à la main, ses veines ressortirent sur le dos de ses mains imposantes.

— Elle a un cancer. Elle n'a que moi et je devrais être avec elle. Je ne peux pas me permettre de mourir ou d'aller en prison.

— Tu me dis ça pour te faire pardonner ? Tu vas m'expliquer que tu m'élimines uniquement pour retourner auprès de ta tante malade.

Elle avait parlé sèchement. C'était bien la première fois de sa vie qu'elle compatissait aussi peu envers les malheurs d'un autre. Il avait une tante malade qui dépendait de lui. Et alors ! Ils avaient tous leurs problèmes, et elle encore plus que d'autres. Il avait de la chance d'avoir quelqu'un qui l'attende dehors. Elle n'avait pas envie de le plaindre.

— En fait, poursuivit-il, je voudrais plutôt que tu comprennes que j'ai besoin de savoir. Ma tante est tout ce qu'il me reste. Si je suis là... je n'arrête pas de me torturer à l'idée...

... qu'elle ait été assassinée. Elle n'avait pas besoin qu'il termine sa phrase pour comprendre où il voulait en venir.

— Et tu crois que me compétences vont pouvoir te donner une réponse ?

— J'ai vraiment besoin de savoir.

Il posa son balai pour placer toute son attention sur elle. Elle soutint son regard. Ses yeux noirs la suppliaient et elle se rappela qu'ils avaient le même âge, elle et lui. Ses cheveux en brosse et ses oreilles en chou-fleur lui donnaient des airs d'ours solitaire. Si grand, si large, mais sous ses allures de jeune homme déjà viril, Enzo était comme eux tous... encore un ado de seize ou dix-sept ans. Et il avait besoin de sa tante, comme un gosse a besoin de sa mère.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant