17. Deductio - partie 1

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~ Déduction

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~ Déduction

Les chants de Noël tirèrent Irène de son sommeil. Jamais « Vive le vent » ne lui avait inspiré un tel sentiment d'épouvante. Le tintement des clochettes lui annonçait que le jour était arrivé. Elle avait finalement réussi à s'endormir, si l'on pouvait appeler ça dormir. Son demi-sommeil avait été hanté par la douleur, la honte et la terreur. Elle avait refait le passé, encore et encore. Et si elle n'avait pas crié « Maman ! » devant tout le monde ; et si elle avait eu le courage de s'asseoir à la table d'Elliot et Fatiha le premier jour ; et si elle avait révélé ses connaissances à son groupe avant l'épreuve de dégustation ; et si elle avait accepté les Médocs plus vite ; et si elle s'était alliée aux oranges ou aux gris, plutôt que de suivre aveuglément la couleur de son jogging...

C'était affreux de retourner ces deux derniers jours dans tous les sens, mais ça l'était moins que de penser au lendemain.

Au procès, sa mère serait-elle présente ? Interviendrait-elle ? Pleurerait-elle ?

Irène pensait s'être faite à l'idée que sa mère ne l'aimait pas, mais certaines réalités étaient trop cruelles pour être admises ; il subsistait toujours un espoir quelque part en elle, enterré plus profond encore que ses souvenirs oubliés, un vœu qu'elle ne prononçait jamais à haute voix : un jour, elle se rappellera qu'elle est ma mère et elle me prendra dans ses bras en pleurant dans mes cheveux.

Irène serra son coussin contre son cœur, des sanglots incontrôlables secouaient son corps tout entier. Et sa voix intérieure criait « Maman », « Maman, pourquoi ? »

La porte s'entrouvrit et le petit déjeuner glissa sur un plateau en inox. Irène l'observa du coin de l'œil.

Elle repensa au dicton populaire : « Il faut vivre chaque jour comme le dernier. » Quelle bêtise ! Le dernier jour d'une vie est celui où l'on vit le moins. Savoir que c'était peut-être la fin ne lui donnait pas envie de profiter de la vie, au contraire, elle n'avait plus le goût de rien, plus rien n'avait d'importance, elle vivait comme un spectre qui attend sa montée au ciel, déjà plus tout à fait dans le monde des vivants, mais pas encore dans celui de l'au-delà. Entre deux états et finalement nulle part. Elle avait le sentiment de ne pas s'appartenir à elle-même.

Le petit déjeuner refroidit sans qu'elle le touche. En revanche, elle se jeta sur les Médocs et les antidouleurs. Elle aurait pris n'importe quelle drogue. Elle avait envie de planer. Quitter son corps et son esprit. Malheureusement, les doses qu'on lui fournissait ne suffiraient jamais à éloigner une réalité aussi terrifiante. On n'éloigne pas le spectre de la mort avec ça, pas plus qu'un cordon de CRS avec un pistolet à eau.

Quand le gardien vint la chercher pour se rendre aux douches, les larmes avaient séché. Elle traîna des pieds dans les couloirs, insensible aux courants d'air qui lui giflaient le visage. Elle arriva dans les douches à bout de force, crispée sur ses pansements imbibés de transpiration.

Iphigénie s'avança vers elle, l'enlaça à la taille, puis serra. Irène retint sa respiration et tout son corps se contracta, comme face à une agression. Mais ce n'était qu'un geste amical et tendre, complètement inattendu.

Alors les muscles d'Irène se relâchèrent un à un, lentement. Un nœud se forma dans sa gorge. Iphigénie ne fournit aucune explication pour justifier son geste. Et Irène ne lui en demanda pas.

Elle ne saurait jamais si Iphigénie l'enlaçait pour lui faire ses adieux ou si son apparence était si effrayante que la jeune fille s'était sentie obligée d'aller la réconforter.

La petite blonde se décolla mollement d'elle et se déshabilla en silence. Irène n'aurait jamais trouvé la force de se laver sans ce petit moment de douceur. Elle décida de faire l'effort de se dévêtir, d'enlever ses bandages et de se mettre sous l'eau froide. Tout lui paraissait si vain. À quoi bon se laver avant son exécution ?

L'eau glacée coulait sur sa blessure. Une caresse apaisante sur un derme encore à vif. L'avant-bras d'Irène faisait peur à voir : il ressemblait à un écorché dans un livre illustré d'anatomie.

Derrière le verre trempé, la silhouette frêle d'Iphigénie se découpait. Elle savait que la jeune fille souffrait des mêmes maux que les siens. L'eau froide consolait le dos d'Iphigénie comme elle le faisait pour son bras. Elles étaient des partenaires de souffrances. Elles se comprenaient. Mais des partenaires ennemies. Il ne fallait jamais l'oublier.

Iphigénie parla, suffisamment fort pour que sa voix s'entende par-dessus les fracas de l'eau. Elle criait presque. Et malgré ça, Irène perçut de l'émotion dans sa voix. Un point de rupture.

— J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionDonde viven las historias. Descúbrelo ahora