9. Somnus in eo - partie 3

10 1 7
                                    


Elle écarquilla les yeux. Son « toi », c'était elle ? Il parlait vraiment d'elle ?

Il avait dit ça avec un tel détachement, comme s'il confessait avoir oublié son parapluie à la maison parce qu'il croyait qu'il ferait beau temps.

— Quoi ? s'étonna-t-elle.

Il sembla se rendre compte tout d'un coup de l'énormité de sa révélation et du côté blessant que cela pouvait avoir. Quelqu'un de bien élevé s'excuserait, mais il préféra dire que c'était comme ça, qu'il fallait bien que ça tombe sur quelqu'un, qu'elle n'allait pas en faire tout un plat. En fait, c'était elle le problème.

— Bien sûr que j'en fais tout un plat. Qu'est-ce que je t'ai fait ? Pourquoi tu veux m'éliminer ?

Elle se mettait rarement en colère. Elle n'aimait pas ça. Normalement, elle préférait fuir les conflits plutôt que s'énerver. Il y a des personnes chez qui la colère donne un pouvoir. Les autoritaires. Les forts. Ils ont la colère noble. Chez elle, à cause de son physique inoffensif et de sa voix faible, cette émotion ne suscitait chez les autres que moquerie et pitié. Chaque fois qu'elle s'était énervée, elle en était ressortie couverte de honte et de ridicule. Pourtant, cette fois-ci, elle ne parvenait pas à se maîtriser.

— Tu ne m'as rien fait. Ce n'est pas par rapport à un truc que tu as fait.

— Donc, c'est par rapport à ce que je suis.

Elle parlait de son identité, de sa filiation, de son passé. Tout cela à la fois. Inutile de préciser. Son corps tout entier tremblait d'indignation.

— Et toi ? demanda-t-elle à Guillaume. Tu voulais aussi voter contre moi ?

— J'avais pas fait de choix. Et même si j'en avais fait un, je pense pas que je te le dirais comme ça.

— Et toi ?

Caro se désigna du doigt, ses sourcils s'affaissèrent comme ceux d'un golden retriever.

— N-Non.

Elle était persuadée qu'il s'agissait d'un non de politesse. Caro y avait pensé. Comme tous les autres, elle avait dû penser à l'éliminer. Tout ça à cause de...

— Écoutez ! Je vous jure que je ne suis pas pistonnée par ma mère. Je ne voulais même pas venir ici et je ne reçois pas d'aide de sa part.

— Si tu le dis.

Le ton de François puait l'ironie.

— De toute façon, maintenant, elle est dans notre équipe, remarqua Guillaume. Du coup, si sa mère nous aide, ça nous aide aussi, non ?

— Bof ! Si elle est vraiment favorisée, elle va trouver un moyen d'éliminer son ennemi juré au prochain procès. Ça ne nous fera pas perdre, mais bon, ça ne risque pas non plus de nous faire gagner. Elle sera juste partie avant nous, c'est tout.

Ou peut-être pas, songea Irène. Quelle ironie ! Le seul moyen de les convaincre de sa bonne foi était de perdre. Et le seul moyen de gagner était de les convaincre.

Un jour, elle se promenait sur un pont avec sa mère et elle lui avait raconté ce que les gens faisaient aux femmes soupçonnées de sorcellerie au moyen-âge. On les attachait, on les jetait du haut d'un pont et l'on attendait de voir ce qu'il se passait. Si elles se noyaient, elles étaient humaines et paix à leur âme. Si elles survivaient, le peuple considérait qu'elles avaient employé leur magie pour survivre. Donc on les brûlait sur le bûcher.

Elle avait l'impression de vivre la même chose.

— Il n-ne doit p-plus rester... balbutia Caro en tapotant son poignet nu.

Ennemis jurés TOME 1 SuspicionWhere stories live. Discover now