Arc en ciel (bxb) [terminée]

Chapitre 1

Il faisait sombre et froid au fin fond des océans. La lumière du soleil ne pénétrait jamais aussi loin en profondeur. Les quelques créatures suffisamment résistantes pour pouvoir vivre dans ces conditions étaient aveugles. Si elles avaient pu voir, sans doute se seraient-elles fréquemment arrêtées pour observer avec curiosité la plus singulière des constructions. 

Perchée au sommet d'un mont sous-marin, la cité de l'Atlantide était composée d'une série de bulles de verre blindé et de métal agglutinées les unes aux autres à la manière d'un récif de corail. Elle brillait de mille feux dans le noir absolu des abysses.

Dans l'une de ces bulles bien trop nombreuses pour être comptées, un jeune triton à la queue bleue tournait en rond dans un aquarium d'eau de mer dans le vain espoir de calmer sa nervosité.

Hélios adorait nager. Il en ressentait le besoin au plus profond de son être. Mais, ce soir-là, il se sentait prisonnier. Comme ses semblables, le petit triton avait passé toute sa courte existence en Atlantide. Il venait tout juste de fêter ses dix-sept ans et s'apprêtait à apprendre incessamment sous peu à quoi sera consacré le reste de sa vie.

"Il est inutile d'y repenser", songeait Hélios pour ce qui devait être la centième fois. "Il n'y a plus rien que je puisse y faire pour le moment".

Mais cette pensée raisonnable ne l'aidait en rien, bien au contraire.

"Je crois bien avoir mal répondu à la question numéro 3 du concours. Je n'avais pas assez révisé cette partie-là. Quant à l'exercice de lutte, je suis loin d'avoir donné le meilleur de moi-même".

Pris d'une bouffée de panique, il se propulsa en avant d'un grand coup de nageoire. Effrayés, Aristote et Socrate, ses deux poissons domestiques, s'enfuirent aussitôt chacun dans une direction différente. Le jeune triton les laissa filer et continua d'avancer tout droit avant d'atteindre bien vite l'une des parois de l'aquarium. Il fit alors demi-tour et se laissa aller sur le dos. Ses longs cheveux noirs flottaient derrière lui comme des algues. Les poissons revirent bientôt pour l'accompagner dans sa nage, le frôlant presque. Hélios essaya de les caresser du bout des doigts et ils s'éloignèrent à nouveau. Comme toujours, il en fut un peu déçu. Ses parents lui avaient offert Aristote et Socrate lorsqu'il était enfant, alors qu'eux-mêmes sortaient tout juste de leurs œufs. Ils n'étaient pas particulièrement affectueux. Hélios n'était même pas certain qu'ils le reconnaissaient à chacune de ses visites. Certains de ses camarades parmi les plus fortunés possédaient des dauphins avec qui il était bien plus aisé de jouer.

"Je suis sûr que je ne vous manquerai même pas, le jour où j'aurais enfin réussi à filer d'ici", leur reprocha muettement Hélios.

Bien entendu, ils ne répondirent rien.

Le petit triton soupira et effectua un nouveau demi-tour avant de se laisser simplement flotter sur place un moment. Il ne parvenait décidément pas à se débarrasser de son angoisse. Mais comment l'aurait-il pu ? C'était aujourd'hui même que les résultats des tests d'admission devaient arriver pour l'ensemble de sa classe d'âge. L'après-midi était maintenant bien avancée et tout était désormais une question de minutes.

Hélios avait postulé pour rejoindre la formation des Forces d'Intervention Terrestres, encore appelées FIT. On y accédait par un concours complexe qui consistait aussi bien en épreuves écrites que sportives. Les agents des FIT étaient chargés de mener des opérations à la surface de la planète, essentiellement pour veiller à ce que les humains continuent à ignorer l'existence des sirènes et tritons. C'était une profession difficile et prestigieuse mais ce n'était pas pour cette raison qu'Hélios voulait les rejoindre. C'était tout simplement le seul moyen qu'il avait trouvé pour fuir un jour même provisoirement de l'Atlantide, car le jeune triton rêvait depuis toujours de monter à la surface. Il voulait pouvoir admirer le soleil de ses propres yeux, découvrir les merveilles de la nature qu'il ne connaissait qu'en image, ou encore nager dans l'océan tout en contemplant le ciel. C'était devenu chez lui une véritable obsession qui n'avait fait que se renforcer.